Shadow : Zhang Yimou a passé la Muraille

Tout commence par des cartons de texte. Beaucoup de texte. Trop de texte pour ouvrir un film. Mais c’est sans doute fait exprès… Déstabiliser. Surprendre. Amener de l’inconfort pour forcer le regard à évoluer. C’est trop gros pour ne pas être volontaire, tout ça. Il faut bien l’entendre : ce nouveau long métrage tant attendu du réalisateur chinois, célèbre pour House of Flying Daggers, Ju Dou encore Raise The Red Lantern, a comme un goût de revanche.

Une revanche contre l’occident et son industrie cinématographique, une revanche évidemment contre La Grande Muraille. Personne n’a oublié le fiasco absolu de cette coproduction entre la Chine et les États-Unis, que Yimou a refusé pendant plus de dix ans avant de finalement céder. Un projet pensé dans sa narration pour le public américain, avec des gentils héros blancs aussi forts que des superhéros qui viennent sauver les gentils chinois un tout petit peu moins forts que des superhéros. Zhang Yimou, lui, s’est éclaté sur la mise en scène, et notamment en 3D, c’est indéniable. Mais bon… Le film ne lui ressemble pas. Trop facile, trop rentre-dedans, trop convenu. Bref, trop Hollywood. Il est évident que la production a cherché en permanence, dans ce film, le regard du spectateur, afin de ne jamais le contrarier. Une œuvre, osons le dire, franchement nulle à chier.

Arrive alors Shadow, écrit par Zhang Yimou lui-même cette fois. Sorte de fresque théâtrale en costumes qui puise autant dans la tragédie shakespearienne que dans le film de baston bien gore, voilà le réalisateur tel qu’on le connaît. L’histoire est affreusement compliquée, mais après tout on s’en fout puisque les grandes lignes ne le sont pas : le roi du royaume de Pei veut récupérer la ville de Jinghzou, que possède le royaume de Yang. Le commandant de guerre de Pei, Ziyu, provoque en duel le commandant ennemi pour récupérer la ville.

« C’est l’heure d-d-d-d-duel ! »
« Pourquoi tu bégaies Jean-Charles ? »

Jusque là, tout va bien ? Attention ça se complique : Ziyu est en vérité un homme nommé Jinghzou (comme la ville), utilisé par le vrai Ziyu pour manipuler tout le monde et prendre le pouvoir en même temps que sa revanche contre le roi et tous les autres. En somme, c’est son ombre… Shadow.

Pour faire simple, tout le monde manipule tout le monde dans une immense partie d’échec entre le roi de Pei et le vrai Ziyu, tandis que les pions – donc premières victimes – sont le faux Ziyu, sa fausse femme (et vraie meuf de Ziyu), et la sœur du roi Pei. Les échecs, ainsi que le Yin et le Yang sont au cœur de l’esthétique du film. L’image, inondée par la pluie constante accompagnant la tragédie qui se déroule, est si désaturée qu’on croirait presque à du noir et blanc.

À voir, Shadow est déroutant. La première heure ressemble à du théâtre filmé, tant dans le jeu emphatique de Zheng Kai en roi et Deng Chao en Ziyu (qui joue aussi son ombre Jinghzou !) que dans les scènes très longues. On ne rentre pas facilement dans l’intrigue, c’est d’ailleurs précisément le sens de déroutant ; on ne sait plus trop où on est. Puis, lorsque l’on comprend que c’est probablement très volontaire de la part du réalisateur, qui se complaît dans ces démonstrations, on finit par s’interroger. Sur nos attentes. Sur notre regard.

La deuxième heure, plus classique, voit sa force décuplée par le classicisme (ouais, classique et classicisme c’est pas pareil, qu’est-ce que vous me voulez à la fin) de la première. C’est l’heure des combats ultras chorégraphiés, du sang, de l’action et du gore. C’est l’heure où, après avoir incarné ses décors de cinéma d’un théâtre très shakespearien, Yimou montre enfin la violence que ce même théâtre suggère sans jamais offrir de plein fouet. Et ici, on peut vous dire que ça fouette.

Le faux Ziyu, prêt à te fouetter la gueule avec son parapluie sa mère.

Dès lors, tout le tragique de chaque personnage s’en retrouve décuplé ; on ne peut que s’émouvoir pour ce pauvre faux Ziyu, condamné à une vie qui n’est pas la sienne. On ne peut que trembler pour la vie de la femme du vrai Zyu, Xiao Ai, perdue entre deux hommes. On ne peut enfin qu’enrager face aux injustices et la fatalité qui condamnent la sœur du roi, Quingping, à une vie sans libre arbitre. La conclusion du film, surprenante, est aussi le témoignage d’une grande amertume. Peut-être celle d’une expérience ratée avec The Great Wall, d’un réalisateur qui a cru devenir l’ombre de lui-même en essayant de parler plus directement à un public occidental. Shadow prouve pourtant bien que Zhang Yimou est sacrément bon quand il ne s’adresse pas à nous…

Shadow, de Zhang Yimou, est diffusé à l’Etrange Festival au Forum des Images. Date de sortie encore inconnue.

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