Chasseuse de Géants : Is This The Real Life? Is This Just Fantasy?

  1. Lorsque je me suis retrouvé devant Chasseuse de Géants en projection presse, deux choses m’ont frappé d’entrée de jeu. La première, c’est que mon cerveau embrumé m’avait induit en erreur et que j’avais confondu ce film avec un autre : j’étais persuadé de voir Mortal Engines, une super production Peter Jackson. Rien n’est plus traître que la mémoire !

le film ressemble un peu à Quelques Minutes Après Minuit.

La deuxième, c’est que le film ressemble un peu à Quelques Minutes Après Minuit. Et par un peu, je veux dire, beaucoup. Voire énormément. Vous pourriez déjà me faire confiance et me croire sur parole ; le paragraphe précédent est un sacré aveu de faiblesse et donc une preuve de mon honnêteté. Mais si ça ne suffit pas, jugez plutôt : les deux films racontent comment un enfant fuit un traumatisme de la réalité et fait face à un géant. Nous avons donc droit à une invasion de la fantaisie dans un monde très réaliste, où le monstre remplit son rôle antique : celui de montrer ce qui va mal. Les raisons du traumatisme sont identiques dans les deux films, et certaines scènes sont également similaires à un point où il est difficile de ne pas en rire… Pourtant, pas de quoi faire la mauvaise langue : il s’agit d’un malheureux hasard qui nous a donné deux œuvres très originales en même temps. Chasseuse de Géants est adapté d’un roman graphique de Joe Kelly (qui a écrit pour DC Comics, notamment Empereur Joker et Président Luthor que je vous recommande), sorti trois ans avant le roman Quelques Minutes Après Minuit. Les deux films ont été en développement en même temps, mais le film de Bayona a simplement été plus rapide à sortir. Le danois Anders Walter, dont Chasseuse de Géants est le premier long-métrage, nous a clairement avoué sa frustration vis à vis de la situation dans laquelle il se trouve.

« Il a des oreilles de lapin comme moi le gamin dans Quelques Minutes Après Minuit ? Non ? Et ben arrête de me faire chier alors… »

Une frustration que nous comprenons aisément, parce que son film ne fait pas du tout le poids face à celui de Bayona. Attention, soyons clairs : Chasseuse de Géants est bien plus intéressant que Quelques Minutes Après Minuit. Ce dernier dénature la pureté de l’œuvre originale et en fait un tire-larmes de par sa mise en scène certes inspirée mais surtout manipulatrice. Il a fait un carton, rien de surprenant là-dedans. Le film d’Anders Walter aussi, n’est pas surprenant ; il est bourré de défauts plus ou moins impardonnables. Ce qui l’empêchera d’être un succès, c’est sa lenteur : un manque de rythme insupportable dans l’enchaînement des séquences qui rend le tout extrêmement laborieux. Et c’est bien dommage, car toutes ces boursouflures ne lui retirent aucunement ses qualités.

une œuvre imparfaite mais attachante

Pourquoi alors penser tant de bien d’une œuvre bancale et imparfaite ? Parce que Chasseuse de Géants reste bien un film original. Le premier long-métrage d’Anders Walter est une œuvre imparfaite mais attachante qui mêle monstres de fantaisie avec les illusions et désillusions d’une enfance meurtrie. Rares sont les œuvres filmiques où l’on voit une enfant accomplir ce que l’héroïne accomplit ici. Elle s’appelle Barbara Thorson, a douze ans, et est persuadée de protéger sa ville contre l’invasion des géants. Toute la forêt, la plage, sa maison et son école sont couverts de pièges et runes magiques qu’elle a créé. Persuadée d’être, à l’aide de son marteau magique la protectrice de tout ce beau monde, elle est aussi persuadée d’être plus intelligente que le monde entier. Le genre d’intelligence froide et fermée que l’on connaît si bien chez les jeunes qui ne vont pas bien du tout. Barbara parle davantage le sarcasme que l’anglais, et elle ne pardonne jamais le moindre faux-pas, que cela soit à sa sœur, sa seule amie ou à sa psy. (Petit aparté : les plus observateurs auront remarqué que je n’ai cité que des personnages féminins. C’est parce que dans ce film, il n’y a globalement que des personnages féminins. Plutôt cool, non?)

Barbara est le genre de gamine que l’on trouve insupportable très rapidement, pour peu que l’on refuse de voir combien elle souffre… Et sa fantaisie est tout à fait cohérente. En tant que petite geek, elle a été nourrie aux héros adolescents qui passent leur temps à sauver le monde pendant que les adultes ne comprennent rien à rien. Au final, elle est probablement une des ados les mieux écrites de ces vingt dernières années, ce qui ressort malgré un jeu pas toujours affiné de la comédienne Madison Wolffe.

Une image du roman graphique, par J. M. Ken Nimura.

La deuxième raison qui me pousse à défendre ce film envers et contre tout, c’est son esthétique ; rare sont les adaptations de romans graphiques qui ont su trouver une atmosphère visuelle qui fonctionne au cinéma. La simple transposition fonctionne très mal, on a pu le voir en France à travers les adaptations récentes de Gaston et Spirou et Fantasio, qui visuellement sont très proches de leurs styles d’origines et donc absolument ignobles à l’écran. A l’inverse, la destruction totale d’un style visuel risque de tout rendre chiant à mourir. Et comme je l’ai dit plus haut, Chasseuse de Géants est quand même déjà un peu chiant. Comment Walter est-il parvenu à obtenir un film avec une identité visuelle propre, et surtout riche et intéressante ? Ce succès, vous allez voir c’est con comme un ballon, tient du choix de lieu de tournage : pour représenter la Nouvelle Angleterre, la production a choisi l’Irlande.

On reconnaît l’Océan Atlantique, le climat tout moche, les plages vides et tristes, les maisons en bois blanc, mais tout paraît légèrement faux. Le film existe dans ce décalage qui offre à l’histoire de Barbara Thornton la quantité de fantaisie nécessaire pour naviguer entre ses désillusions et l’affreuse réalité qu’elle ne veut pas affronter. C’est cet entre-deux qui permet à une poésie de s’installer et au film de charmer le spectateur… Sans lui, Chasseuse de Géants serait, au mieux, oubliable. Avec lui, il s’en prend à ma mémoire si traître dont je parlais au début de cet article, et me rappelle qu’au même âge que Barbara, j’avais vécu quelque chose de similaire et l’avait évacué comme elle, à travers des fantasmes héroïques loufoques. Si un film fait ressurgir ces souvenirs enfouis en moi, c’est probablement qu’il doit avoir réussi son coup.

Chasseuse de Géants, avec Madison Wolffe, Imogen Poots, Zoe Saldana,

Sortie le 6 juin uniquement en DVD, pas de sortie cinéma.

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