Retour sur le 30e Festival du film, Entrevues de Belfort

Il y a trois Belfort, il y a celui du Lion, du Che, politique, économique, territoire des banques sortant de terre, tels des champignons. Il y a le plus connu des jeunes, celui des Eurockéennes, l’alcool, la drogue et le rock’n’roll. Et il y a Belfort plus irréel, hivernal, où l’étranger doit affronter des températures sibériennes et une brume opaque. Un monde idéal pour le cinéphile qui, entre deux séances, peut se laisser aller à la rêverie, s’imaginer évoluant dans l’univers de Silent Hill. Lorsqu’on arrive au Festival Entrevues de Belfort, on entend presque la radio qu’utilise le héros créé par Keiichiro Toyama et l’on s’attend évidemment à affronter nos pires cauchemars. Pour l’amateur de films d’horreur, c’est un vrai plaisir. C’est d’ailleurs, il y a trois ans, avec la venue de John Carpenter que notre tout jeune site avait eu l’idée d’y faire escale. Rendez-vous manqué, malheureusement, mais l’année suivante on n’avait pas loupé la venue de l’immense Kiyoshi Kurosawa.

Les Entrevues de Belfort ne sont pourtant pas un festival spécialisé dans l’horreur, mais c’est depuis 30 ans, un festival qui célèbre toutes les cinéphilies. Concentré dans un seul espace, le Festival transforme un multiplex en cathédrale du cinéma. Y sont développées une compétition internationale, des rétrospectives inédites (l’année dernière Satoshi Kon, cette année Bong Joon-Ho) et des entrevues, donc (Carpenter il y a trois ans, Kurosawa, Brisseau l’année dernière, Iosseliani, Forgeard, Bozon cette année). Enfin une sélection dont la thématique est le temps ainsi qu’une dernière consacrée au jeune public. En 10 jours, il est évidemment impossible de tout voir. Mais on a largement l’occasion de se faire plaisir…

On ne va pas vous mentir, on n’avait pas la super forme quand on a débarqué là bas, la faute à un mois de novembre assassin. Cette année, nous avons privilégié la compétition internationale, plutôt que les autres rétrospectives et programmation. On ne remerciera jamais assez les sélectionneurs d’avoir choisi pour notre arrivée (ils ont fait exprès, c’est sur) de projeter John From, du cinéaste portugais Joao Nicolau. Le réalisateur de L’épée et la rose nous revient avec une bluette adolescente qui fait chaud au cœur. En décrivant le fantasme qu’une ado reporte sur son photographe de voisin bien plus âgé est un film charmant, dont le délire pop emporte tout sur son passage. En compétition, au contraire du public et du jury,  c’est bien la légèreté qui a gagné notre voix. On retiendra, alors, Chigazaki Story de Takuya Misawa, long métrage japonais, sorte de relecture kawaï des amours tortueux des contes des saisons d’Eric Rohmer. Avec cette histoire de prof volage et de jeunes étudiantes on pense forcement à Hong Sang Soo, héritier du cinéaste français.

Nous n’avons pu couvrir que quatre jours sur les dix proposés et si nous n’avons pas réussi à voir Bienvenue à Madagascar, nous sommes assez réservés sur l’autre grand vainqueur du festival, Ben Zaken.   Représentatif de la compétition internationale, ce film israélien n’a finalement d’intéressant que son casting composé de non professionnels très bien dirigés. Si nous avons été bien plus séduits par la légèreté luso-niponne, ce n’est pas parce qu’on en avait bien besoin, mais surtout parce qu’en face les thèmes plus profonds et lourds étaient servis par des films de peu d’envergure ou maladroits. Ainsi, difficile de suivre la cinéaste franco-libanaise, Miriam El Ajj dans Trêve, piège qu’elle tend à sa propre famille. Si l’on n’a pas trop de mal à prendre nos distances avec ces portraits de vieux phalangistes libanais, on éprouve une gêne devant le dispositif de la réalisatrice qui nous évoque le déplaisant The Act Of Killing. La palme du film cliché revient tout de même au film Mexicano-Canadien, Yo de Matias Meyer. Meyer s’engouffre dans la veine autrichienne du cinéma mexicain, celle de Michel Franco, cherchant imposer un climat violent et glauque. Mais ici, tout parait artificiel, épate Bourgeois. Si vous aimez voir des poules se faire vider de leurs entrailles, ce film est pour vous.

Ces films avaient en outre l’atout d’être proposés en double programme accompagné à chaque fois d’un court-métrage. On retiendra évidemment le très maitrisé La révolution n’est pas un diner de gala. Quelques semaines après les massacres parisiens, Youri Tchao Débats, nous offre un film reflétant bien l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, où la jeunesse se vautre dans la destruction nihiliste et le vote fasciste, sans avoir l’espoir de croire qu’un autre monde est possible. Il reste quoi ? L’amour ? Et c’est pire que tout. C’est aussi ce qui interroge Soufiane Adel et Pierre Alex dans leur proposition, plus expérimentale, radicale et en colère : Vincent V.. Deux films, deux images de la jeunesse qui cherchent plus que tout à réinventer un monde dans un présent sans espoir.

Vincent V. n’était pas en compétition dans la section court-métrage, mais associé bizarrement avec le très conservateur L’architecte de Saint-Gaudens, proposition artistique emmenée par l’intéressant, mais encore inégal, Serge Bozon. Une nouvelle fois, le cinéaste de Mods nous amène dans son univers eighties, mais il est cette fois accompagné par la chorégraphe Julie Desprairie, ainsi que de l’architecte et musicien Mehdi Zannad. A eux trois, ils construisent une œuvre qui intéressera sans doute un musée d’art moderne, mais qui reste bien trop hermétique pour s’ouvrir au monde. Encore une fois, le geste est osé, mais un peu vain. Dommage. On retiendra, par contre l’excellent court-métrage multiprimé Antonio, Lindo, Antonio, beau portrait d’une grand-mère portugaise au caractère trempé et de son fils parti au Brésil sans donner de nouvelle. Un film épatant, autant dans le choix des personnages que dans l’histoire racontée et dans la façon dont la réalisatrice, Ana Maria Gomes, maitrise ses cadres et son montage. C’est sur cette belle note lusophone que l’on quitte une nouvelle fois le Festival de Belfort, et qu’on espère bien s’y retrouver l’année prochaine…

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