Chers lecteurs,
D’abord, merci d’être chaque jour plus nombreux à nous lire. Cela nous touche beaucoup. J’ai plus ou moins arrêté la critique de films. Je suis producteur, et je ne peux pas me permettre de me faire trop d’ennemis. Ni trop d’amis, d’ailleurs. Mais de temps en temps il y a un film dont j’ai vraiment envie de parler.
Aujourd’hui, ce sera Les Combattants de Thomas Cailley. Je l’ai vu deux fois pour être sûr de ne pas dire trop de conneries, et je vous encourage à en faire autant. C’est une indéniable réussite qui donne envie. J’en ai tiré quelques conseils, qui vous aideront à faire un bon premier film. Si votre projet respecte ne serait-ce que la moitié de ces conseils, n’hésitez pas à me l’envoyer en vue d’avoir enfin un producteur à la fois drôle et brillant.
- DOCUMENTEZ-VOUS ! Sachez que, même s’il ne connaît rien à rien, le spectateur sent quand on se fout de sa gueule. Ici, les menuisiers s’y connaissent en bois, l’économiste givrée s’y connaît en économie, les militaires en préparation militaire, etc.
- ENTOUREZ-VOUS BIEN : Cela ne sert à rien de travailler avec le producteur de Coppola s’il n’est pas follement amoureux de votre projet. Choisissez toujours un co-scénariste senior qui a vraiment envie de bosser avec vous, et un producteur pour qui ce film sera autant un challenge que pour vous. Thomas Cailley s’est adjoint les services de Pierre Guyard, dont c’est le premier long métrage en tant producteur. Son autre bon coup, c’est d’avoir pris son frère comme chef-opérateur. C’est génial de pouvoir travailler avec quelqu’un en qui vous avez totalement confiance, qui ne comptera pas ses heures (au-delà de 507) , et qui vous comprend à demi-mot.
- Prendre d’excellents comédiens et les faire jouer dans leur registre. Le contre-emploi n’est une bonne idée que s’il n’est pas un vrai contre-emploi. Par exemple, je n’imagine pas Nathalie Baye en SDF, si la seule ambition du réalisateur est de me prouver que Nathalie Baye est capable de jouer une SDF, je m’endors. Adèle Haennel et Kevin Azaïs sont parfait et, en regardant leurs interviews, on s’aperçoit qu’ils jouent comme ils parlent. Dans le film, ce sont les situations et les dialogues qui surprennent. S’appuyer sur des acteurs, c’est s’appuyer sur leurs qualités naturelles. Par exemple, Adèle Haenel est très douée en natation, on l’avait déjà vu dans Naissance des pieuvres et L’Homme qu’on aimait trop, et maintenant dans Les Combattants. Elle serait parfaite dans un biopic de Laure Manaudou ou Camille Muffat.
- Ne pas avoir peur d’être drôle: Même dans un film tragique le spectateur peut avoir envie de rire. Vous ne rompez pas le contrat avec le spectateur en le faisant rire. Si si je vous le jure et j’insiste parce que c’est un grand défaut chez beaucoup d’auteurs cette peur d’être drôle. La salle a rit les deux fois ou j’ai vu le film et moi aussi.
- Sensualité : Je comprends parfaitement que, dans la vie, on aime baiser tout de suite, mais au cinéma on peut faire attendre le spectateur et le surprendre. Le désir est l’une des choses les plus étranges au monde. Certains disent même que les voies du désir sont impénétrables (alors que bon, hein).
- Se rendre compréhensible : Attention, scoop, plus les gens comprennent votre travail, et plus ils sont à même de l’aimer. La finesse, l’érudition, sont extrêmement utiles, mais dans le back office de votre projet. Le film, c’est le spectateur qui le voit : si les mots utilisés sont faciles à comprendre, vous avez rempli une première condition qui vous conduit à la seconde –>
- Surprendre : Les Combattants nous emmène dans des univers qu’on ne connaît pas, dans des situations qu’on a même du mal à imaginer. Qui aurait envie d’aller passer des semaines dans une forêt au milieu de nulle part pour faire de la « survie » ? Pas moi.
- Soigner la musique : La bande originale des combattants est très originale, on sent justement qu’elle a été composée pour le film. D’ailleurs, je me suis renseigné, il y a eu une mise en compétition pour choisir, les gagnants étant les très bons Lionel Flairs, Benoir Rault et Philippe Deshaies.
- Raconter une histoire symphonique. Ici, on a deux personnages principaux, donc deux personnages = trois lignes narratives, et avec trois lignes on peut faire un pain tressé délicieux. Les Combattants, c’est trois histoires qui s’entrecroisent, celle de Madeleine, celle d’Arnaud et enfin leur histoire commune.
10. Il n’y a pas de 10. J’espère que j’ai réussi à vous surprendre
Bref, allez voir ce film en salles, et les autres aussi d’ailleurs.
Les Combattants, Thomas Cailley, avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, William Lebghil, France, 1h38.
Effectivement, faudrait être difficile pour ne pas aimer « Les combattants » tant au-delà de la maîtrise de l’image et de la narration, tout le monde peut se retrouver. C’est un film qui n’exclue personne, du public de « film d’auteurs » au public de comédies potaches, et même les spectateurs d’Enquête Exclusive. Ajoutons à cela un dépaysement total (c’est-dire sortir de Paris ou du nombrilisme tricolore des drames pas dramatiques à quadras désabusés pour aller filmer nos forets, fallait y penser), avec des putains de répliques servies par une interprétation tellement juste : ça devrait cartonner.
Quelle joie d’avoir vu ce film en avant-première ! Pour une analyse du film et, en bonus, la vidéo de la rencontre avec Thomas Cailley et Adèle Haenel: http://marlasmovies.blogspot.fr/2014/08/les-combattants-engagez-vous.html
très bonne analyse d’un excellent film.
Merci Romai.
That’s a genuinely impressive answer.