[Annecy 2025] Rencontre avec Leela Varghese, co-réalisatrice de Lesbian Space Princess

Lesbian Space Princess. Quand j’ai vu le titre de ce film annoncé par Marcel Jean en sélection du Festival d’Annecy cette année, je savais qu’il fallait absolument que j’aille le voir. Sinon, j’aurais été un traitre à ma propre communauté. Je n’avais vraiment pas besoin d’en savoir plus. Rien que le titre et la première image du film dévoilée (celle ci-dessous) ont achevé de me convaincre : un film queer, pop et coloré, c’est tout ce qu’il me fallait. Puis le synopsis est arrivé : Saira, une princesse de l’espace est contrainte de quitter sa vie tranquille et de se lancer dans une quête galactique pour sauver Kiki, son ex-petite amie chasseuse de primes des M’âliens blancs hétéros. Ouais, vous avez bien lu.

Lesbian Space Princess est aussi déjanté qu’il en a l’air. Une princesse anxieuse et avec peu de confiance en soi (bref, moi) qui traverse l’espace avec un vaisseau — un tas de débris, plutôt, avec une IA bien rétrograde. Des aliens qui sont une parfaite concentration de toute la culture meme autour des gymbros/manspreaders/cinéphiles bros/ouin ouin on peut plus rien dire. Pendant une heure et demi, les vannes pleuvent à n’en plus finir, et c’est un vrai plaisir de pouvoir découvrir une œuvre queer positive d’une telle ampleur à Annecy.

J’ai donc profité de la fin de festival pour poser quelques questions à ses réalisatrices, Leela Varghese et Emma Hough Hobbs, à distance. Leela s’est dévouée à la tâche et parle pour elles deux : collaboratrices sur le film, elles sont aussi… en couple !

Est-ce que c’était votre première fois au Festival d’Annecy ?

Oui ! C’était un rêve devenu réalité. Sérieusement, c’est un endroit tellement beau, et le festival a été un moment incroyablement sain. On a passé un super moment.

Des lesbiennes dans un space-opéra animé : sincèrement, je voulais voir votre film dès que j’ai vu son titre annoncé lors de la conférence de presse du festival. Quelle est l’origine de cette histoire ?

On a réalisé ce film dans le cadre d’un laboratoire de cinéma à petit budget, basé à Adélaïde, en Australie-Méridionale (là d’où on vient). Ce programme soutient les nouvelles voix dans l’écriture et la réalisation de longs-métrages. Le titre nous est venu en premier  et on a un peu construit tout le reste à partir de là. Comme on peut s’en douter, le film ne se prend pas trop au sérieux. Mais dès le départ, on savait qu’on voulait faire quelque chose qui nous ressemble : kitsch, déjanté, drôle, super queer, et plein de cœur. On voulait vraiment créer une comédie ancrée dans la joie queer. Et on avait aussi le sentiment que des voix comme les nôtres étaient encore trop peu représentées dans l’animation adulte — surtout en tant que scénaristes-réalisatrices — et on voulait, à notre échelle, contribuer à changer ça.

Aviez-vous déjà en tête les personnages de Sairi et Kiki quand vous avez commencé à réfléchir à ce film ?

Plutôt Kiki, en réalité. Au tout début, l’idée ressemblait davantage à une version queer de Cowboy Bebop. Mais on a vite décidé qu’on voulait une protagoniste comme Saira, qui nous ressemble vraiment, avec ses galères, ses failles, tout ça. Et à partir de là, on a simplement essayé de créer quelque chose d’un peu différent, qui surprenne un peu quand on entend ou voit le titre du film pour la première fois.

En tant que partenaires à la fois romantiques et créatifs, comment êtes-vous parvenues à équilibrer votre intimité à cette sorte de chaos que peut être une réalisation à deux ?

Pour être honnête, ça a été difficile. Tout n’était pas encore parfait pour cette fois : c’était notre première collaboration de ce type. Ce n’était pas simple, parce qu’on avait chacun plus d’expérience dans des domaines différents (Emma dans l’animation, et moi dans la comédie et la direction d’acteur·ices), ce qui a créé pas mal de tensions. Mais en même temps, nos compétences se complétaient vraiment bien, et ça s’est senti à l’écran et dans le résultat final. Cela dit, sur le plan pratique, ça a été compliqué de trouver un équilibre entre nos deux voix. Et ça a aussi rendu la relation amoureuse un peu chaotique par moments — haha — mais on apprend de ce projet, et on continue de progresser.

J’aime beaucoup l’identité visuelle du film, pleine de couleurs et profondément pop. Est-ce que c’était ce que vous avez toujours eu en tête ? Ça m’a rappelé des shows comme Sailor MoonAdventure Time ou bien le récent She-Ra sur Netflix. Est-ce que vous aviez des références particulières ?

Ah oui, absolument ! Le style visuel est basé sur l’univers graphique d’Emma, qu’elle décrit toujours comme très centré sur la couleur, un peu façon Adventure Time ou Zim l’envahisseur. Pendant l’écriture du scénario, on a regardé plusieurs des films d’animation préférés d’Emma, mais aussi une bonne dose de comédies romantiques que j’adore ! Un autre gros point de référence côté anime, c’est Utena, la fillette révolutionnaire.

Le film opère un vrai basculement : on passe de la recherche de l’autre à la reconnexion avec soi-même. Quel rôle joue, selon vous, l’amour de soi dans les récits queer aujourd’hui ? Et pourquoi était-ce important de le mettre en avant ?

On voulait vraiment que le film soit un rappel, pour chaque personne queer, de l’importance de s’aimer soi-même. Grandir en tant que minorité peut vraiment influencer la façon dont on se perçoit, surtout quand on passe son temps à chercher l’acceptation. En ce moment, notre famille trans se voit retirer des droits humains fondamentaux. On devrait tou·te·s avoir le droit d’être libres d’être qui l’on est. C’est difficile, quand tout semble jouer contre soi — mais il faut essayer de trouver cet amour de soi, et ne laisser personne nous le prendre… pas même notre propre cerveau.

Entre Clitopolis, les gym bros et l’écho à la déprime de Bella Swan dans New Moon… Comment avez-vous décidé de quelles vannes finiraient dans le film ? Est-ce qu’il y a des références qui étaient un peu too much et que vous avez laissé tomber ?

Honnêtement, tout ce qui est resté dans le montage final, c’est simplement ce qui nous faisait rire. Du scénario à l’écran, presque rien n’a été coupé (à part une toute petite scène avec une chanson) ; au contraire, on a même ajouté des blagues grâce aux improvisations géniales de notre casting. On n’avait ni le temps ni le budget pour vraiment expérimenter : il fallait que ça marche tout de suite, et qu’on s’y tienne. On ne s’est pas trop pris la tête sur l’humour : on a juste suivi ce qui nous semblait authentique et en accord avec notre sens de la comédie.

J’ai trouvé très agréable que le film ne tourne pas autour du coming out. Il démarre dans un univers pleinement queer et laisse simplement les personnages vivre leurs vies — chaotiques, drôles, touchantes. Est-ce quelque chose que vous aimeriez voir plus souvent, en tant que créatrices ou spectatrices ?

Eh bien… disons qu’il y a quand même une histoire de coming out pour certains personnages (on pense que tu vois de qui on parle !). Mais oui, c’était un point central dans notre pitch : un univers où le coming out est hors sujet, et où les personnes queer règnent sur la gay-laxie. Il y a tellement plus dans les vies queer que cette seule question. Nos existences sont pleines de luttes universelles, et nos angoisses ou nos insécurités ne sont pas toujours liées au fait d’être queer.

Est-ce qu’il y a des personnages queer dans la pop culture que vous aimez particulièrement ?

Emma a toujours été une grande fan de Shinji Ikari dans Evangelion. Et évidemment, toutes les deux, on adore Utena et Anthy de Utena, la fillette révolutionnaire. En tout cas, on apprécie quasiment tous les personnages d’un show qui se révèlent être queer. C’est toujours assez excitant de regarder quelque chose sans rien savoir et de réaliser peu à peu que le personnage auquel on s’identifie le plus est en fait queer, lui aussi !

Est-ce que vous vous voyez revenir à cet univers que vous avez créé ? Dans une suite ou un spin-off, peut-être ?

Tout dépendra de la réception du public. Mais rassurez-vous, nous continuerons à créer des choses qui auront la même voix, et le même ton. En ce moment, on a même pas mal de discussions plutôt marrantes sur le fait de créer un jeu vidéo autour de Lesbian Space Princess !

Si le vaisseau de Saira et Kiki s’écrasait à Annecy pendant le festival, qu’est-ce qu’elles feraient ?

Saira irait dans un hôtel, se fabriquerait un tas d’avions en papier mais serait trop anxieuse pour les jeter. Kiki, elle, irait boire une bière et flirter avec les serveuses françaises… et toutes les autres personnes queer séduisantes qu’elle croiserait dans un bar !

Est-ce qu’il y a un souvenir particulier du festival que vous aimeriez partager ? Des films que vous avez particulièrement apprécié ?

Il y en a tellement ! On a adoré l’ambiance d’Annecy. Quelqu’un dans le public m’a touché sans faire exprès avec son avion en papier pendant notre séance, et j’ai adoré ça ! C’est un honneur, comme on est à Annecy. On aime beaucoup cette tradition du lancer d’avion pendant les séances. La cérémonie de clôture, l’esprit qui se dégage du festival, et tous les animateurs qu’on a pu rencontrer étaient vraiment magiques et inspirants. Le milieu de l’animation est vraiment sain et attentionné.

On a pu voir Endless Cookie et The Square, les deux films qui ont été récompensés dans notre sélection, Contrechamp. Ils étaient tous les deux magnifiques, à leur façon. Leurs prix sont amplement mérités. Nous envoyons tout notre amour aux équipes qui ont travaillé sur ces films !

Interview réalisée à distance. Merci à Leela Varghese et Emma Hough Hobbs pour leur disponibilité. Propos traduits en français par Gabin Fontaine. 

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