C’est la fin de l’année, c’est relâche. Le bon moment pour se mettre sous la couette et regarder des petits films qui ne paient pas de mine, mais portent fièrement le sceau du divertissement. Premiers pas dans la mafia en est un digne représentant. Aujourd’hui le nom d’Andrew Bergman ne dit pas grand-chose, pourtant à l’aune des années 70 le relatif succès littéraire de ses polars ont attiré le monde du cinéma. Ses talents de conteur lui ont permis de travailler autant avec Mel Brooks (Le Shériff est en prison) qu’avec John Cassavetes (Big Trouble). Ancien universitaire, auteur d’une thèse sur le cinéma américain au temps de la dépression et une biographie sur James Cagney, Bergman a un solide bagage cinéphile. Une fois qu’on lui a permis de mettre un pied à Hollywood, il ne s’est pas fait prier pour s’y installer. Ce faisant il a fait le choix de préférer à l’indépendance artistique (Cassavetes) les pitreries qui font la marque de Mel Brooks. On ne va pas se le cacher, pour Bergman le cinéma ce n’est pas bien sérieux.
Pour autant, avec le temps, on retiendra un film : Premiers pas dans la mafia. Succès public familial des années 90, il a eu avec lui une presse également bienveillante, et ceci, il faut bien l’avouer grâce à la présence imposante et spectrale de Marlon Brando. Il y avait tout à craindre de la rencontre d’un cinéaste dilettante et d’un monstre sacré du cinéma., et pourtant le résultat est une réussite de direction d’acteur. La solution adoptée par le cinéaste est de faire absolument confiance à sa star, laissant à l’acteur une totale liberté de jeu. Quant à Brando, on peut penser qu’il ait vu dans cette parodie un moyen de soutenir une vision paradoxalement plus réaliste et sombre de la réalité de la mafia dans les années 90. Oui le film et l’acteur jouent avec le public sur la figure de Vito Corleone, et Brando cabotine avec un vrai plaisir partagé. Mais c’est pour mieux souligner, dans l’œuvre de Francis Ford Coppola, le caractère factice, artificiel, cinématographique éloigné de toute réalité. Car ici son « Vito Corleone » (Carmine Sabatini dans ce film) détonne tant tout est ancré dans le quotidien de Clark Kellogg (Matthew Broderick). Jeune étudiant wasp, coquille vide servant de miroir au spectateur moyen. Le comédien qui l’incarne est lui associé à la comédie populaire par son rôle culte de Ferris Bueller. La structure du récit rappelle d’ailleurs l’œuvre de John Hugues, mais l’essence du comique ne se repose pas uniquement sur ce carambolage « Ferris Bueller meets Vito Corleone. » Non, Bergman prend un vrai plaisir à ancrer ses personnages dans la réalité historique des spectateurs.
Par petites touches, le cinéaste évoque ainsi les liens des mafias avec le mouvement fasciste, tout comme la mutation du crime organisé à l’aube des années 90. Si la pègre a toujours aimé le cinéma jusqu’à parfois le financer, c’est que cet art n’a eu de cesse de mythifier ses crimes et participer à créer des légendes mafieuses. Avec Premiers pas dans la mafia, Bergman, tout en respectant la figure cinématographique de Vito Corleone, inscrit la mafia dans la banalité et son caractère diffus dans la société américaine. On est plus dans les bas fonds ou dans un milieu clos du crime vivant dans l’opulence : le jeune spectateur moyen est confronté au crime organisé dans son monde douillet. Au même moment les mafias italiennes bouleversaient leur stratégie économique en sous traitant le trafic de drogue à des clients capables de diffuser le produit plus facilement dans leur entourage d’une classe moyenne urbaine. C’est ainsi que la cocaïne s’est démocratisée pour exploser aujourd’hui. L’argent engrangé par les profits monumentaux provenant de ce commerce a permis au même moment aux membres importants du crime organisé de placer leurs enfants dans les prestigieuses universités mondiales, en particulier celles qui se situent aux USA créant de ce fait une bourgeoisie mafieuse. C’est donc avec malice que le cinéaste introduit le spectateur dans ce nouveau monde via le jeune premier Matthew Broderick.
Arrivant à New York de sa campagne profonde, Clark Kellogg est un étudiant qui rentre pour la première fois en fac de cinéma. À peine arrivé, il est pris en charge par un taxi clandestin qui lui fait un rapide cours de marxisme : ce qui se joue dans la ville moderne, c’est la guerre des classes, et lui est au milieu de ce conflit. Kellogg va devoir faire un choix : celui de tisser des liens avec la mafia qu’il perçoit comme spectateur et l’idéalise comme le public du film : Le Parrain. En s’approchant du crime organisé il va voir un autre visage de la mafia : celui de la fille de Carmine Sabatini, Tina (Penelope Ann Miller). Si le père est un cliché du mafieux, sa fille est intégrée, c’est une représentante de la bourgeoisie mafieuse. Une scène doit retenir notre attention : le surgissement de Penelope Ann Miller dans le cadre d’un cours universitaire auquel assiste le personnage de Matthew Broderick et lors duquel est projeté Le Parrain. La jeune fille maîtrise les codes universitaires, mais s’impose au professeur, car son nom lui confère une autorité supérieure à celle de l’enseignant autant qu’à l’institution universitaire. Si le prof de cinéma est surpris par cette intrusion, il baisse de ton lorsque Tina se présente. Sabatini est un nom qui fascine autant qu’il fait peur. Larry London (Maximilian Schell) fantasme l’imagerie mafieuse en tant qu’homme de cinéma, mais il craint la mafia en tant qu’acteur de l’économie légale. Tina Sabatini de son côté ne détonne pas au sein de l’amphithéâtre, elle peut être vue comme une étudiante comme les autres. Elle n’ignore pas non plus l’autorité universitaire, elle répond au prof lorsqu’il lui pose une question. Elle n’est en rien impertinente. Mais elle a conscience de ce qu’elle représente et de son pouvoir, inutile de lever la voix ou de menacer frontalement le chercheur, elle ne fait que lui parler et cela suffit : elle est la fille d’un puissant criminel qui terrifie la ville. C’est une scène aussi forte que juste qui surprend tant le reste du film est consacré à la comédie familiale ou burlesque. Andrew Bergman fait surgir du réel au sein de la fiction. Il est d’ailleurs assez facile de voir dans le portrait du professeur une sorte d’avatar fictionnel du cinéaste. C’est autant l’universitaire que l’écrivain fasciné par le crime qui s’exprime à travers le corps de l’acteur. Le metteur en scène n’a plus qu’à placer l’actrice sur une marche surplombant Schell, et à lui faire dire deux phrases anodines. Et pourtant, comme Clark fera remarquer à Tina, toute son attitude était conçue comme une menace contre le professeur. C’est là, la véritable puissance de la mafia.
Cette façon d’inscrire le crime organisé dans la banalité fonctionne d’autant mieux qu’en plus de nous permettre, nous spectateurs, de faire nos premiers pas dans la mafia, Andrew Bergman choisit de mettre de côté l’aspect le plus spectaculaire des films de mafieux : les meurtres et le trafic de drogue. Il préfère insister sur un aspect moins médiatisé des mafias, mais tout aussi nocif que le commerce de la cocaïne : le trafic des animaux, ici un reptile désigné comme un très rare varan de Komodo. Si aujourd’hui les préoccupations écologiques sont assez communes et deviennent parfois des arguments publicitaires permettant à peu de frais de se laver les mains du désastre écologique, ces préoccupations n’étaient pas si partagées à la fin des années 80. C’était même assez osé de parler de crime organisé et d’écologie. Si le geste est sincère, il est malheureusement encore assez superficiel, on ne sait pas très bien sur quel pied danser. Alors qu’il présente au début l’oncle éco warrior (qui n’hésite pas à prendre les armes pour faire fuir les chasseurs) comme un redneck un peu bas du front, il use du précieux lézard comme d’un ressort comique un peu facile (il ne s’agit évidemment pas d’un varan de Komodo, allant jusqu’à 3 m, mais d’un cousin beaucoup plus petit). On était aux prémisses d’une prise de conscience écologique mainstream et de la menace que fait peser le crime organisé sur la biodiversité. Le discours ambigu fragile et naïf ne s’en ressent que d’avantage. Pour autant, Premiers pas dans la mafia est un solide divertissement plus intelligent qu’il n’en a l’air. On n’en demandait pas mieux.
Premiers pas dans la mafia d’Andrew Bergman avec Marlon Brando, Matthew Broderick, Penelope Ann Miller et Maximilian Schell. Actuellement sur Ciné Plus