Momo : Tombé dans l’oreille d’un sourd

C’est parfois assez traître un festival de cinéma en province. On sort d’un film français sympa (le Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, peut-être un poil sur-récompensé dans les festivals à travers le monde mais très efficace et impeccable dans son approche morale d’une épouse confrontée à l’impossibilité de s’éloigner de son mari violent). On se détend dans un ciné-concert reprenant brillamment le vénéneux The Lodger d’Hitchcock version originale. On pantoufle un peu devant un petit film anglais sans génie mais sans prétention non plus (À l’heure des souvenirs, qui contentera aussi bien les fans de gros casting juteux que ceux de belles maisons de campagne). Et soudain, comme cet implacable rappel de la cruauté du destin et de l’ordre naturel du monde, il apparaît sans crier gare, au débotté.  

LE CHRISTIAN CLAVIER MOVIE DU FESTOCHE 

Comme si l’univers devait te sortir de ta bulle de confort cinéphilique au moment où tu commençais à t’y sentir bien, Clavier is back sur vos écrans et par coïncidence dans vos threads Twitter (ça tombe bien maintenant on a deux fois plus de place pour s’y indigner). 

La perspective de se présenter avant tout le monde dans la salle pour s’infliger le nouvel opus du Michel Sardou du septième art n’avait rien de bien fameux. La bande-annonce, tombée sur le coin de nos nez dès ce mardi sans crier gare, envoyait la sauce. Et sa réception résume d’emblée le malaise principal qui tourne autour du film. Car si beaucoup de ceux qui ont vu le trailer ont considéré le personnage principal du film comme souffrant de handicap mental, il n’en est rien. Le garçon n’est pas handicapé mental, il est sourd. 

Le problème, c’est que le film ne semble même pas lui-même faire la différence. Loin ici de faire une comparaison ou une hiérarchie quelconque évidemment mais surdité et handicap mental, ce n’est pas pareil. D’où cette impression de gêne encore plus douloureuse de voir ce garçon être constamment comparé à un « taré », un « crétin » ou un chien battu. La description des sourds faite par le film est effroyable tant la corrélation avec une quelconque forme d’inadaptation sociale est constante. Et rassurez-vous, les sourds ne sont pas les seuls à prendre car le même traitement de faveur est réservé aux aveugles à travers le personnage de la fiancée du jeune homme incarnée par Pascale Arbillot (ah et ça rigole aussi un peu des vieux aussi, mais bon on va pas faire l’inventaire détaillé). 

Le handicap est réduit ici à une simple fonction d’anomalie comique, à peine contrebalancée par une vague sous-intrigue traumatique à peine effleurée, parce que ce serait con de faire un film un petit peu profond la où on peut s’arrêter au spectacle de kermesse scénarisé par Patrick Sébastien. Les rares moments où l’on rit devant Momo, on rit contre le film, devant une incroyable séquence où Clavier pédale comme un dératé sur un Vélib filmée comme sur une nappe de musique folk digne des meilleures Sundanceries, devant des répliques grotesques sur des Chocapic ou des assiettes de parmesan et devant une résolution finale aussi désinvolte que dégoulinante de sentimentalisme. Car en plus d’être offensant, le film est aussi terriblement paresseux, ce qui le rend plus antipathique encore. 

Et pourtant au final, au moment de se gratter devant une 78éme vanne que tu pardonnerais pas à ton tonton raciste « parce que ça va il donne quand même 60 euros à Pâques », la résignation laisse la place à une nouvelle approche philosophique. Et si au final la filmographie de Christian Clavier depuis la sortie de route d’On ne choisit pas sa famille en 2011 avait sa place dans un festival de cinéma ? Attendez deux secondes avant de me déballer vos tweets en 280 caractères, je m’explique. 

Il y a quelque chose dans l’œuvre récente de Clavier qui relève d’un jusqu’au-boutisme absolu. L’acteur de droite préféré des Français (au sens « moins d’extrême-droite qu’Alain Delon ») s’est mué en une créature filmique bigger-than-life, une forme d’hybride entre ses deux personnages des Visiteurs : le rustre, beuglant mais sympathique Docteur Jacquouille et l’imblairable bourgeois Mister Jacquard. Deux rôles au demeurant formidables séparés mais qui une fois unis font l’effet d’une abomination esthétique équivalent au « peanut butter and jelly » qu’adore le pays de Donald Trump. Tout le monde aime ça sans qu’on sache trop pourquoi et on suppute qu’en fait personne peut supporter ça mais veut pas le dire trop fort. Si ça marche autant, c’est qu’il doit y avoir une raison. 

Au fil des ans, Clavier s’est imposé comme un stakhanoviste de l’étron comique, un LeBron James du tas de fumier subventionné : pas toujours sur le devant de la photo au final, mais indispensable au show. Pas un écart dans cette ligne de conduite qui lui a permis d’aligner, sans une goutte de sueur sur le front, On ne choisit pas sa famille, Les Profs, Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, Une heure de tranquillité, Babysitting 2, Les Visiteurs : Lorant Deutsch Edition et cet exceptionnel trio cuvée 2017 en guise d’apothéose: Si j’étais un homme, À bras ouverts et donc Momo. L’équivalent du Marvel Cinematographic Universe mais porté par un seul super-héros, capable de susciter le malaise quasi instantanément. La filmographie 2011-2017 de Christian Clavier, c’est comme le Décalogue de Kieslowski où on aurait remplacé les dix commandements par un bingo des oppressions. Elle n’a pas sa place dans un générateur de scénarios aléatoires  (bien qu’on salue l’initiative d’Adrien Ménielle en la matière). Elle a sa place dans une rétrospective. Et à la Cinémathèque française pourquoi pas. 

Momo de et avec Sébastien Thiéry, avec Christian Clavier, Catherine Frot, Pascale Arbillot, sortie en salles le 27 décembre.

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