Qui aurait pu penser que logés en salle 30 de l’UGC les Halles un lundi soir d’après Noël, une quinzaine de curieux verraient sous son vernis de comédie populaire un peu concon le plus beau film de l’année 2015 ?
Pas moi. Pas vous non plus, sinon on n’aurait pas été qu’une quinzaine.
Le Nouveau du titre, c’est Benoît, un gamin bien trop malin pour être con et donc faire fi de ses principes, condition sine qua non pour rallier la meute, à savoir les connards d’élèves populaires de son nouveau collège. L’aigreur, c’est le vécu qui la fait remonter, là.
Le Nouveau, c’est aussi Rudi Rosenberg, réalisateur ici d’un premier film formidable mais sous-distribué, lesté d’une bande-annonce laissant à penser qu’il est une énième comédie française à attendre en streaming et souffrant surtout de la mainmise absolue de Star Wars sur l’actualité cinématographique du moment. Je suis à deux doigts de vous le spammer. L’aigreur, ce sont les 3 500 000 spectateurs qui ont été voir Les Profs 2 et qui en parlent comme d’un « film générationnel » qui me la font remonter, là.
Le Nouveau, c’est moi, c’est toi, c’est nous face aux meutes. Ce sont tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont été confrontés à ce dilemme : doit-on faire semblant pour rentrer dans le moule ?
Dans son nouvel établissement scolaire, Benoît n’a pas de copain. Débarqué du Havre, il a juste un tonton un peu rigolo (Max Boublil, parfait, et qui après le déjà mésestimé – quoique bien inférieur à celui-ci – Les Gamins, laisse à penser qu’il a un putain de flair pour choisir ses rôles) pour lui remonter le moral dans cette nouvelle jungle. Places déjà prises au réfectoire, railleries dans la salle de classe, il débarque dans une mécanique déjà bien trop huilée, et va devoir, pour obtenir l’acceptation du groupe, monter la hiérarchie en démarrant par le bas. C’est ainsi qu’il commence à fréquenter les inadaptés, parmi lesquels l’incroyable Joshua.
Joshua est un mec tout droit sorti d’un buddy movie à l’américaine. Toujours tout seul, toujours tout sale, il est ce formidable personnage qui manquait à la comédie française. Joshua est l’Alceste du Petit Nicolas, ce personnage un peu chelou mais très gentil sur qui en apparence les railleries n’ont plus le moindre impact. Mais dans sa chambre, il monte des vidéos se moquant des « populaires » et fait des listes de personnes qui lui ont fait du mal. Il est le personnage qui, évidemment, donne des airs de Superbad au film, notamment au détour d’une scène-hommage où les deux héros s’avouent leur amitié avant de s’endormir.
Le film franchit avec brio tous les obstacles auxquels se sont heurtés les films d’ados de cette année en France : il n’est jamais vulgaire (Les Profs 2) ni didactique et se perdant dans son vaste sujet (A 14 ans). Il réussit l’exploit tout au long de son heure et demie de sonner parfaitement juste. Du fait probablement de cette grande idée de ne presque pas laisser entrer dans le cadre les adultes.
Les seuls ayant un tantinet les faveurs de la caméra sont les parents de Benoît, au détour d’une première scène les discréditant totalement et les réduisant ensuite au silence, puis les profs, véritables bruits de fond du film comme de la pré-adolescence, et le tonton rigolo, mais en est-ce seulement un, d’adulte ?
Les véritables stars du film (Boublil n’a que 15 minutes de jeu à tout casser), ce sont les gamins. Plus géniaux les uns que les autres, ils insufflent à l’histoire un réalisme que l’on n’a pas l’habitude de voir dans le registre comique. De fait, le film transforme l’essai de la gravité. La jungle qu’est le collège, la cruautés de ses occupants, il en rend parfaitement compte sans en faire des caisses. Et c’est au détour de regards moqueurs, de refus de demandes d’amis Facebook, de petits mensonges a priori sans importance, de récits de speeches que l’on dira pour que tout aille mieux le lendemain dans le lit avant de s’endormir, qu’il nous remémore la difficulté du passage à l’âge ado.
Et il y a cette dernière scène. Que l’on peut révéler sans spoiler quoi que ce soit, où l’on voit ces gamins chanter dans une chorale. Extrêmement faux. L’on n’en entend d’abord qu’un seul. Il a choisi un truc dans les aigus et la voix qui ne s’y prête absolument pas. C’est très très moche. Les choeurs s’ajoutent. C’est moins pire. Et la caméra commence à filmer les visages, rieurs, amusés. Le tout tourne au sublime, pourtant tout le monde chante toujours aussi faux.
En une scène, Rudi Rosenberg dit tout du déclic que beaucoup ont un jour vécu. Ce moment si puissant où l’on prend conscience de combien on est plus heureux sans se soucier du regard des autres, en se mettant à la marge de la meute. Et le spectateur d’en être récompensé. Du battage médiatique autour d’Aladin et consorts il a su s’affranchir pour aller dénicher cette petite perle, logée en salle 30. Cette chorale est sa récompense, et sa gorge de se serrer. Sur le papier c’est assez cucul, sur l’écran c’est assurément la plus belle scène de cinéma de l’année.
Le Nouveau, de Rudi Rosenberg – En salles