Sunhi : la pente mélancolique de Hong Sang-soo (Nobody’s Girlfriend Sunhi)

C’est à l’évidence d’une ritournelle – dans laquelle il serait évidemment question d’amours passées, déçues ou inassouvies – que prétend désormais le cinéma de Hong Sang-soo. Lequel ne conçoit plus, à la longue, que des carnets de croquis, des recueils d’études préparatoires – ne préparant à vrai dire qu’elles-mêmes, Hong n’étant pas homme à fantasmer sur un magnum opus à venir –, l’affaire d’une poignée de figures et de motifs, un baiser, une balade au parc, un homme et une femme côte à côte – sur un banc – ou face à face – dans un bar.

Soit ici Sunhi, ravissante étudiante en cinéma courtisée par trois hommes, chacun s’efforçant, régulièrement, de la cerner en quelques mots ; tâchant, faute de pouvoir la toucher (seule réelle effusion au programme, une étreinte, brève et sans lendemain, sur le pas d’une porte), de l’enlacer en pensée.

Jamais, sans doute, la musicalité de ce cinéma-là n’avait semblé si évidente. Avec ses gimmicks (la mélodie nostalgique qui ponctue le film à trois reprises, rappelant la version discount de la 7ème de Beethoven dans Haewon et les hommes, souligne le pathétique des situations mais, par l’incongruité de ses interventions, en sape dans le même temps les effets), son travail de la répétition, des variations (c’est une même ligne mélodique, aux arrangements vaguement changés, que reprennent les protagonistes : « Sunhi est réservée, intelligente, elle a un sens artistique… Elle est un peu bizarre, parfois… »), son récit polyphonique culminant en un doux canon – à la fin, Sunhi s’en va, laissant entre eux ses trois soupirants, réduits à ressasser, dans un même plan cette fois, les quelques qualificatifs dont ils l’avaient auparavant, chacun leur tour, affublée ; liés désormais par l’absence de la jeune femme (le possessif du titre original, Our Sunhi, s’entend alors comme un commentaire ironique), et par ce portrait de groupe, inachevé, incomplet, erroné surtout (qu’a-t-on compris de Sunhi en définitive, si ce n’est qu’elle semble douée pour « disparaître » ?) ; liés enfin par leur égarement, sur lequel ils ont tâché, en vain, de mettre des mots. Comme si, après qu’ils l’avaient saisie par la manche, la jeune fille s’était dégagée, ne leur laissant entre les mains qu’une maigre étoffe d’adjectifs : « Sunhi est réservée, intelligente… »

Rien qui témoigne ici d’une quelconque aigreur, et pourtant : avec ses personnages captifs de boucles narratives et stratégies d’échec, prostrés autour d’une poignée de lieux – toujours, les mêmes bar, parc et université –, croisant leurs peines de cœur à chaque coin de rue, voués au statu quo (chez Hong Sang-soo, on passe d’étudiant à enseignant sans s’en trouver fondamentalement changé, et l’on parle de films que, probablement, l’on ne tournera jamais), et simples vecteurs de mots dont ils se croyaient auteurs, Sunhi trahit une noirceur qui, si elle a toujours traversé le cinéma de Hong, semble, depuis Haewon et les hommes, y prendre ses quartiers.

C’est que, dans Sunhi comme dans Haewon… – deux portraits de jeunes filles un peu perdues, flottant au gré des rencontres –, tout semble s’articuler autour d’un abandon, originel (rupture d’avec un ancien amant) ou à venir (départ envisagé pour les États-Unis dans le cas de Sunhi, quand la mère de Haewon partait s’installer au Canada – d’où le titre original du film, Nobody’s Daughter Haewon). Ici réside, sans doute, le léger avantage de la frêle Sunhi sur la grande et mélancolique Haewon : on ne sait si Sunhi est la fille de quelqu’un, mais elle n’est assurément la créature de personne, pour fausser ainsi compagnie à trois nigauds recroquevillés autour du vide laissé par elle – trois petits garçons désœuvrés.

Sunhi, Hong Sang-soo, avec Yu-mi Jeong, Seong-gyun Lee, Jae-yeong Jeong, Corée du Sud, 1h28.

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