Mr Turner : On se fait une toile ?

C’était tout simplement incroyable. Tous ces photographes autour de moi clamant mon nom et moi, fier comme un coq, paradant au milieu du long tapis rouge que j’admirais sur mon écran dans mes tendres années. Pour mon premier jour à Cannes, fouler ces marches sur lesquelles les plus grandes stars du monde ont posé leurs augustes pieds avait quelque chose d’irréel. Je n’osais m’arrêter et profiter du moment de peur de passer pour un touriste. C’est moi la star après tout. Tête haute, poitrine bombée je franchis les marches une par une en prenant soin de ne pas me vautrer (là pour le coup, j’aurais eu mon quart d’heure de gloire, cela dit), et en essayant de repérer les célébrités qui ont la chance de partager ce moment avec moi. Un dernier regard derrière moi pour contempler le tapis vu d’en haut et je m’engouffre dans le palais. C’est fini, merci de m’avoir lu.

Un film ?

AH OUI ! En effet, il y a un bien un film après la montée des marches, tu es bien renseigné, dis moi. C’était Mr Turner de Mike Leigh et c’était très bien.

Je connaissais en tant qu’esthète averti l’œuvre de Turner (du brouillard et des bateaux, non ?) mais je ne connaissais pas du tout l’homme et je fus bien surpris. Au lieu de l’homme de culture raffiné et sophistiqué que j’attendais, Mike Leigh nous présente un rustre bourru et grognon s’exprimant principalement par des grognements. La personnalité de Turner est l’un des atout majeurs du film. Son mauvais caractère affiché en permanence contraste avec l’aristocratie anglaise guindée ce qui déclenche régulièrement les rires de la salle. Timothy Spall est parfait pour le rôle même si on peut se demander s’il n’en fait pas trop de temps en temps. Le film commence alors qu’il est déjà connu et on échappe donc au récit des origines. On assiste plutôt à sa vie quotidienne entre son père et sa gouvernante et à sa rencontre avec Mme Booth qui l’accompagnera jusqu’à la fin. Les personnages secondaires sont plaisants mais un peu fade,s tant le film tourne autour de Turner. Seule la domestique arrive à tirer son épingle du jeu puisqu’elle réussit à nous toucher en prononçant à peine quelques mots.

Évidemment, la principale difficulté d’un biopic centré sur un peintre est pour le cinéaste de rendre compte sur l’écran de l’art pictural. Comment restituer la force d’un art fixe au cinéma qui est par essence l’art du mouvement. Mike Leigh utilise deux leviers principaux pour cela. Les tableaux de Turner sont omniprésents dans le film : on les voit pendant la création, exposées dans les musées ou rangées dans l’atelier de Turner. Une scène notamment qui voit un invité chercher l’éléphant de la toile sur Hannibal nous fait entrer dans le tableau par un effet de zoom assez saisissant qui appuie la force de l’oeuvre représentant des hommes minuscules face aux éléments. La caméra de Leigh va alors dans le même sens que le pinceau de Turner et le cinéaste rend ainsi hommage au peintre en filmant ses tableaux. Mais là ou Leigh est particulièrement brillant, c’est qu’il utilise aussi l’œuvre de Turner pour construire beaucoup de ses plans. Certaines vues sont à couper le souffle et la lumière est magnifique d’un bout à l’autre. Lors d’un changement de plan entre un zoom sur un tableau de Turner et un paysage, j’ai même cru pendant cinq secondes que je contemplais encore la toile (et j’étais sobre, je vous vois venir). On sent que Mike Leigh a pris beaucoup de plaisir à essayer se glisser dans la peau de Turner, et c’est un plaisir partagé.

Mr Turner est donc un film de toute beauté sur un personnage charismatique et savoureux. Le film ne surprend cependant pas dans son intrigue et reste très académique comme la majorité des biopics. Il est cependant très réussi et Mike Leigh rend hommage à Turner de fort belle manière.

Pourquoi le film aura-t-il la Palme ?

– Parce qu’un biopic, ça plait toujours

– Parce que Mike Leigh a de nouveau prouvé en conférence de presse combien il est chouette

Pourquoi le film n’aura-t-il pas la Palme ?

– Parce que les biopics, ça va finir par aller

– Parce que c’est quand même vachement long (ceci étant l’avis d’un autre rédacteur)

Mr Turner, un film de Mike Leigh avec Timothy Spall, Paul Jesson – Sortie prochainement

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