Adieu au Langage : chant du cygne ou ritournelle du cynisme ?

Le social, le visible, l’amour, la métaphore, l’invisible, la nature, l’homme, la vie, la mort, le langage. Jean-Luc Godard.

Il serait vain de chercher à déterminer toutes les significations de ce petit objet expérimental, coloré et abscons. Ce qui frappe, d’emblée, c’est l’étrange sensation de nouveauté et de déjà vu qui cohabitent dans une troublante harmonie.

Godard s’empare d’une forme nouvelle, la 3D, et comme à son habitude, innove, invente, révolutionne. Ainsi, ce parti pris audacieux et réussi de dissocier la vision de l’œil droit de celle de l’œil gauche, qui aboutit à un prodigieux gag forçant le spectateur à loucher à mesure que les personnages, chacun affectés à l’espace d’un des deux yeux, se séparent ou se retrouvent à l’écran. C’est un peu compliqué à se représenter, mais l’effet obtenu est admirable, et donne naissance à une sensation visuelle et comique tout à fait nouvelle. Par ailleurs, l’étalonnage de l’image créé des effets de couleurs vives sur l’eau, les fleurs, les reflets, dans des plans qui séduisent par leur plasticité chromatique. Le cinéaste surprend véritablement dans un ou deux mouvements de caméras nouveaux, audacieux, et pourtant si simples. Celui, par exemple, dans lequel la caméra se tourne à l’horizontale vers un miroir pour représenter l’image renversée des deux amants, puis se repositionne à la verticale.

Le film fait preuve d’un humour malicieux, cynique, jouant avec les mots et les étymologies, l’image et le son. Le réalisateur suisse exprime explicitement, non sans un certain plaisir, son dégoût pour la jeune génération de prétendus intellectuels, dont les paroles ne sont rien de plus que du « caca » (je cite), lâché bruyamment dans la cuvette des wc. Le personnage qui apparaît le plus souvent à l’écran est un chien, parce que « les chiens sont les seuls animaux qui vous aiment plus qu’ils ne s’aiment eux-mêmes », dixit Darwin. Cet animal, ici doué de raison, magnifié par la caméra, témoigne du regard pessimiste de Godard sur l’âme humaine, incapable de s’apercevoir qu’elle se perd, fonce dans le mur, la barbarie.

Malheureusement, ni l’originalité ni l’humour du film ne parviennent à le sauver de  cette  vieille tradition Nouvelle Vague rabâchée sans cesse par l’un de ses inventeurs. C’est dépassé, et ça en devient presque épuisant. Refus des personnages, refus de l’action, échec de l’émotion. Aucun plan ne dure plus d’une minute et les séquences s’enchaînent avec la rapidité d’un cinéaste qui estime n’avoir plus de temps à perdre dans la contemplation. Une voix off mystérieuse, tantôt masculine, tantôt féminine, énonce des phrases, ou des bouts de phrases mystérieuses avant de se faire couper la parole par un montage qui refuse encore et toujours le synchronisme entre l’image et le son. Le rythme syncopé, Nouvelle Vague, déjà vu, qui sépare des seins, des fesses, un bateau, des nuages, des fleurs, s’accompagne d’une infatigable pluie de références lourdes et pompeuses. Byron côtoie Richelieu, Nosferatu, Che Guevara, Monet… Oui, Godard, tu es un intellectuel, on le sait.

L’Adieu au langage fait figure de chant du cygne, celui d’un cinéaste désabusé qui rejette encore et toujours les mots, cette manière si classique (si mainstream dirait-on aujourd’hui) d’exprimer ses idées, ses émotions. Dans toute son oeuvre, Godard a expérimenté, cherché, (réussi d’ailleurs), à dire les choses autrement, à inventer son propre langage. Cette fois, en feignant d’y renoncer, il arrive malgré tout à le réinventer.

Oh langage ! Ah dieux ! La fin est proche, Godard nous salue, dans ses mots à lui.

Adieu au Langage, de Jean-Luc Godard avec Héloïse Godet & Zoé Bruneau – En salles

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2 thoughts on “Adieu au Langage : chant du cygne ou ritournelle du cynisme ?

  1. Texte très juste. JLG est comme Johnny, il peut faire n’importe quoi, tout lui est d’avance pardonné. Vous dites bien ce que le film peut avoir d’amusant (notamment sur la 3D, dont l’utilisation relève en effet de la plaisanterie, de la raillerie) et en même temps, vous avez raison, la pluie de citations assomme, empêche de penser. Freestyle d’un côté, pensum de l’autre. Voir ma critique ici: http://alphaville60.overblog.com/2014/05/notes-sur-adieu-au-langage-de-jean-luc-godard.html

  2. Première critique intelligente que je lis au sujet de ce film qui ne me semble être rien d’autre qu’in bon gros troll à l’adresse des pseudo-cinéphiles exempts de tout jugement personnel qui se précipitent tête en avant dans cette simili mascarade juste parce que « c’est GODARD quoi ! »
    Merci Louise !

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