HER, Elle et Lui à la sauce Siri

Encore une histoire qui finit mal. Elle, une voix. Lui, une âme seule. Eux, la rencontre d’une présence et d’un corps, le temps d’un film : telle est la promesse du dernier Spike Jonze. Le papa de la sublime adaptation Max et les Maximonstres revient nous tourmenter avec le destin de Theordor Twombly (Joaquin Phoenix), un hipster trentenaire dont le métier  consiste à écrire pour ses clients les lettres qu’ils souhaitent adresser à leurs proches. Le ton est donné, l’ère de la distanciation amorcée, époque nouvelle où l’authenticité des émotions et des sentiments s’évanouit. Le décor, sans cynisme aucun, est planté.

Elle, c’est Samantha, un système d’exploitation

De la fenêtre de son appartement, la ville de Los Angeles, étrangement composite, s’étend à ses pieds ; lui, nous apparaît alors comme un homme en cage. Son insularité, c’est elle qui vient la suspendre. Elle, c’est Samantha, un système d’exploitation dont Theodor fait l’acquisition ; un système si sophistiqué, la technologie ayant progressé à pas de géant, qu’elle est dotée d’une personnalité et même d’un devenir, toujours plus humain. Elle développe des désirs, imite le souffle des femmes, apprend à être une compagne de premier choix.

« aimer, c’est aider l’autre à devenir la meilleure version possible de lui-même »

Theodor Twombly sous nos yeux et Samantha dans nos oreilles, expérience immersive au possible, vont se lier jusqu’à s’aimer. Et déjà ne faut-il pas s’arrêter sur ce dernier terme ? S’aimer ? S’agit-il vraiment d’amour ? Peut-on « aimer » de manière conventionnelle quelqu’un de non-conventionnel ? C’est ce que le film nous met au défi d’appréhender, avec ses vertus et avec ses dangers. Murmurée et précieuse, cette relation s’apparente à un don du ciel pour Theodor. Cette voix, si drôle, si tendre est le remède idéal pour panser les plaies encore béantes d’une rupture douloureuse. Inventive, Samantha est une force, un élan. Comme le crie si bien Steve Carell dans Dan in Real Life (Coup de foudre à Rhode Island, Peter Hedge) : « aimer, c’est aider l’autre à devenir la meilleure version possible de lui-même ». Aussi est-ce exactement l’effet de Samantha sur Theodor. Et réciproquement. L’enthousiasme de ces amants extra-ordinaires nous emporte alors dans un tourbillon de sentiments, de sourires et de frustrations. Ce tourbillon, ce tourment les mènent à traverser les affres des relations amoureuses, les moments de crise comme de déchirements. Synthétique, l’union de Samantha et Theodor en est troublante de vraisemblance. Tout y est : les silences qui durent, les absences qui pèsent et les mots qui blessent.

la question du corps et de la corporéité

Très vite, la question du corps et de la corporéité de l’échange amoureux se pose. Faire l’amour, pour dire celui que l’on éprouve pour l’autre, sentir son corps se refermer sur soi. L’auteur de l’audacieux voire délirant Dans la peau John Malkovich pousse toujours plus loin la question d’un amour incorporel, d’une présence intangible. Avec un principe aussi original, le film de Jonze est un véritable pari. Le réalisateur compose, sur une toile restreinte, par petites touches, un tableau singulier d’émotions qui sont autant de liens entre le virtuel et l’actuel. Joaquin Phoenix, dont on se rappelle encore l’émouvante prestation dans Two Lovers, embrasse toujours plus fort un rôle complexe, admirablement accompagné de la voix charismatique de Scarlett Johansson. Fil tendu entre Amy (Amy Adams) et Catherine (Rooney Mara), la relation de Theodor et Samantha tente d’acquérir une consistance, voire une légitimité, un poids pour exister.

la forme de l’infinité des possibles

Contant une histoire sans trace, où l’amour retrouve un temps la forme de l’infinité des possibles et l’emportement d’un élan vital, le film semble néanmoins, et par instant, se refuser à sa propre audace et buter contre l’idiote finitude de l’Homme comme s’il n’y avait qu’une seule manière de s’aimer. Reste que cette relation entre cet homme et cette « voix » accomplit la persévérance de deux êtres : désormais et pour toujours, ils seront les meilleures versions d’eux-mêmes.

Her, Spike Jonze avec : Joaquin Phoenix, Scarlett Johanson, Amy Adams et Rooney Mara. 2h03.

 

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