Entretien avec Mikael Buch : « partir du cas particulier pour atteindre une forme d’universalité »

Illustration : Nicolas Maury et Carmen Maura dans LET  MY PEOPLE GO ! de Mikael Buch.

Dans le cadre de notre cycle « Cinéma et homosexualité », Carine Trenteun a rencontré Mikael Buch, auteur en 2011 d’un premier long métrage remarqué, « Let My People Go ! ».

J’ai pensé à toi quand on m’a parlé de « l’homosexualité dans le cinéma », car quand nous nous étions rencontrés pour l’avant-première de LET MY PEOPLE GO !, l’homosexualité de ton personnage principal Ruben, interprété par Nicolas Maury, était montrée comme l’hétérosexualité d’un personnage hétéro : elle faisait partie de lui, mais ce n’était pas le sujet du film. Tu m’avais dit que tu ne voulais pas faire un film sur le coming-out. Était-ce justement parce qu’il y avait trop de films où le coming-out, ou une difficulté, était le seul prisme pour qu’un personnage homosexuel tienne le rôle principal ?

De façon générale, je trouve que le cinéma n’est pas fait pour traiter de « sujets » mais de personnages, de récits particuliers plutôt que de généralités. En ce sens, si je montre un personnage homosexuel, je ne cherche pas à parler d’homosexualité, à dire « regardez, l’homosexualité, c’est comme ça ». Je n’ai pas la prétention de parler au nom d’autre chose que de moi-même. La façon sociologique dont beaucoup de films tentent de dépeindre l’homosexualité ne m’intéresse pas du tout. Ce qui m’intéressait en revanche sur LET MY PEOPLE GO ! c’était de commencer le film en montrant un garçon qui s’est déjà trouvé. Le fait de devoir assumer son homosexualité, de chercher une reconnaissance, tout ça est derrière lui. Pourquoi ai-je voulu cela ? Parce que je souhaitais montrer un rapport épanoui à la sexualité. Je trouve que les personnages au cinéma ont un peu trop tendance à devoir « payer » leur sexualité, comme si les cinéastes se plaçaient en dieux moralisateurs qui chercheraient à les punir de leur désir. Dans les films de Chéreau ou de Téchiné, on a souvent l’impression que lorsqu’un personnage tire un coup, il va se tirer une balle dans la minute d’après. Dans la vie, je trouve le sexe jouissif et je ne vois pourquoi je devrais raconter autre chose à l’écran. C’est aussi simple que ça. J’ai envie que mes films soient des invitations au plaisir.

Trouves-tu qu’il existe une différence dans la façon de filmer l’homosexualité entre la France et les autres pays ?

Je trouve que c’est moins une question de pays que de courants et d’époque. Pour moi, il y a d’abord un cinéma qu’on peut qualifier d’underground, et qui aurait Jean Genet comme père fondateur. Un Chant d’amour reste le chef-d’œuvre d’un certain cinéma gay, en ce qu’il revendique une place en marge aussi bien en tant que cinéaste et en tant qu’homosexuel. Ce n’est pas un cinéma qui cherche à se rendre « respectable » aux yeux du plus grand nombre. Il tire au contraire une force du fait d’être en marge. Après Jean Genet, il y a eu Warhol, Arrieta, Morrissey, Soukaz… Ce cinéma-là n’existe plus aujourd’hui. On peut s’en inspirer, on peut même l’ériger en modèle mais la réalité est qu’on ne fait plus de films comme ça, dans cet esprit antinaturaliste de liberté et d’affranchissement par rapport au scénario. C’est paradoxal, dans le sens où filmer aujourd’hui coûte moins cher qu’à l’époque. Mais les temps ont changé et notre rapport à la sexualité n’est plus le même. À partir des années 1970, avec Visconti, Fassbinder, et même Derek Jarman d’une certaine façon, nous passons à une autre époque, où la représentation de l’homosexualité se formule autrement, dans un cinéma plus industrialisé et plus « respectable ». Je n’ai pas de jugement là-dessus, dans le sens où je pense que ça a donné des très beaux films. Querelle de Fassbinder en est une bonne illustration, on y voit la rencontre et donc la différence entre Genet et Fassbinder. On voit bien que la façon que Fassbinder a de s’approprier Genet est de faire un film de studio, avec quelque chose de très installé, de presque délibérément pompier. Le côté brut du premier cinéma gay est alors enterré, au profit d’un cinéma gay réalisé par des cinéastes reconnus dans le monde entier, et qui donne donc à la représentation de l’homosexualité une forme de respectabilité. Ensuite, à partir des années 1980, on assiste à une nouvelle transition opérée notamment par John Waters et Pedro Almodóvar. Ces deux cinéastes ont en commun d’avoir commencé par faire des films underground, délibérément en marge, pour emmener petit à petit leur cinéma vers quelque chose d’à la fois plus populaire et plus post-moderne. Ils sont progressivement rentrés dans l’industrie en pastichant une certaine forme de cinéma populaire du passé. C’est un cinéma de transformistes. Comme les travestis se déguisent en femme, Waters et Almodóvar se déguisent en cinéastes populaires et revendiquent ainsi leur double statut de cinéastes et d’entertainers. À partir de là, la représentation de l’homosexualité intègre une notion de divertissement qui peut être populaire. Et c’est alors qu’Hollywood peut pleinement se l’approprier, même si c’est pour en parler d’une façon toujours plus victimiste ou moralisatrice. C’est intéressant de voir que le Soderbergh sur Ma vie avec Liberace ne sortira pas en salle aux États-Unis. Ça montre que pour exister pleinement dans le cinéma populaire, l’homosexuel se doit aujourd’hui d’être respectable et donc plus normé. Par exemple, il est mal vu de mettre au centre de ses films un personnage principal trop efféminé. On juge que cela donne une mauvaise image de l’homosexualité. J’ai été très frappé, lors de la sortie de LET MY PEOPLE GO !, de voir certains homosexuels se sentir menacés, presque agressés, par le fait que mon personnage principal soit efféminé. Comme si cela allait mettre en danger leur respectabilité sociale. Alors, on fait des films comme The Kids Are All right, pour expliquer à quels point les homosexuels sont des parents formidables. Cela ne m’intéresse pas du tout. Je pense qu’un bon cinéaste gay se doit aujourd’hui d’être un contrebandier, pour lutter contre la pensée normative qui gagne son propre camp. Cela n’empêche de chercher à faire un cinéma populaire. Je veux parler au plus grand nombre, mais pas à n’importe quel prix.

Que penses-tu de l’étiquette « film gay » comme genre cinématographique?

Je dois avouer que le rayon gay de la Fnac me pose vraiment problème. Ce qui me choque quand je vois mon film dans ce rayon, c’est que cela implique que le film ne serait fait que pour s’adresser aux homosexuels, ce qui est totalement idiot. La preuve de cela est que les grands cinéastes universellement reconnus comme Almodóvar ou Visconti ne sont pas classés dans ce rayon. Ces films-là, ayant eu du succès, ont prouvé qu’ils étaient faits pour n’importe quel spectateur. Je parle de la Fnac, cela peut avoir l’air anecdotique mais en fait, ça ne l’est pas du tout. C’est la preuve que, pour certains, si l’on raconte l’histoire d’un homosexuel, on ne cherche à s’adresser qu’à des homosexuels. Comme s’il n’y avait que les juges qui s’intéressaient aux films de procès ! Pour ma part, je passe ma vie à m’identifier à des personnages hétéros ! Je crois que la force du cinéma est justement de partir du cas particulier pour atteindre une forme d’universalité.

Penses-tu que le cinéma peut et/ou doit faire changer le regard, les mentalités sur l’homosexualité ? Est-ce que tu t’étais posé cette question en réalisant LET MY PEOPLE GO ! ?

Oui, je pense que le cinéma a la capacité de présenter des réalités hypothétiques, d’élargir l’étendue des possibles et donc de libérer petit à petit les mentalités. Par exemple, dans Tout sur ma mère, Almodóvar nous parle d’un transsexuel séropositif qui peut néanmoins être père et pleurer en voyant pour la première fois le visage de son enfant. Lorsqu’un film réussit à mettre le spectateur dans la peau d’un personnage transsexuel et séropositif, cela ne peut qu’aider à faire évoluer les mentalités. En cela, je pense que le cinéma politique le plus fort est toujours un cinéma des sentiments. Il n’y a rien de plus efficace politiquement que d’émouvoir le spectateur en lui parlant de personnages qui sont très loin de lui. Mais attention ! Je ne parle ni de pitié ni de tolérance. Je parle d’empathie, ce qui est radicalement différent.

Quand je lis des critiques de films où les personnages féminins ne sont pas à leur avantage, si c’est un réalisateur qui les filme, il sera souvent qualifié de « misogyne » mais si c’est une femme, on dira « qu’elle prend un parti pris audacieux ». Est-ce tu ressens un regard différent de la presse et du public LGBT quand c’est un réalisateur gay qui filme l’homosexualité ?

Non, je ne le ressens pas tout à fait comme ça. Je crois que la différence ne vient pas de la sexualité du réalisateur, mais de la façon dont la sexualité est traitée à l’écran. Peu importe que Stephen Frears soit gay ou pas. Il a raconté des histoires d’amour entre garçons d’une façon émouvante et personnelle. Le fait d’être homosexuel n’empêche pas de tomber dans l’homophobie, comme le fait d’être une femme n’empêche pas la misogynie. Après, ce que la presse fait de cela, je n’ai pas envie de généraliser là-dessus. Il est clair que certains critiques se posent en police de la pensée. Mais ce sont des mauvais critiques. Ils n’ont pas compris que le meilleur cinéma n’est pas fait des meilleures intentions. Lorsque Buñuel raconte, dans Belle de jour, l’histoire d’une femme qui se prostitue pour trouver son plaisir, cela est-il misogyne ? Il peut y avoir débat. Pour ma part, je ne pense pas que le film soit misogyne dans le sens où il parle d’un sentiment humain, de quelque chose qui dépasse la femme ou l’homme. Je peux très bien m’identifier au personnage de Séverine, à son besoin de se sentir vivante, alors que je suis un homme. Pour continuer d’explorer les mystères du cœur humain, les grands films courent parfois le risque d’être mal compris en allant contre la bien-pensance la plus élémentaire.

Dernièrement, tu as réalisé Je ne baise qu’avec des mecs clean. Comment s’est passée cette collaboration avec Yagg et le magazine Prends-moi pour cette campagne de prévention ?

Oui, j’ai réalisé un petit spot dans le cadre d’une campagne de prévention pour l’usage du préservatif, mais je ne suis pas le seul. Cela s’intègre dans une série de petits films proposés par une dizaine de réalisateurs. J’aime bien la façon créative et assez fraîche que Yagg a d’aborder la prévention. Ils avaient fait une vidéo où la pornstar François Sagat apprenait au spectateur à mettre une capote et du gel. J’avais trouvé ça bien de tenter de rendre la chose sexy et joyeuse. Donc, lorsqu’ils m’ont contacté, j’ai dis oui tout de suite. Mais ce n’est pas un film, c’est un spot de prévention. Je ne veux pas paraître cynique en disant cela, mais pour moi ce sont deux choses différentes. Lorsque je fais du cinéma, je ne cherche pas à transmettre un message, à dire aux gens ce qu’ils doivent faire dans la vie, même s’il s’agit de quelque chose d’aussi vital que de mettre un préservatif. Je crois que le cinéma a à voir avec le trouble et avec le fait de prendre la mesure de la complexité des choses. À l’opposé de ça, une campagne de prévention doit être tout sauf trouble, elle doit être limpide pour faire passer son message de toute urgence. C’est une autre logique. Cela ne m’a pas empêché de m’impliquer à fond dans la création de cette vidéo et de tenter d’en faire quelque chose de très personnel. Je suis ravi de l’avoir fait et je le referais si on me le redemande.

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