Cinéma et homosexualité : un parcours en 10 films (2/2)

Un chant d’amour, Jean Genet (1950).

Unique film de Jean Genet, Un chant d’Amour (1950) est peut-être le premier à montrer sans détours une histoire d’amour entre deux hommes, en prenant un parti érotique. Le décor : un couloir de prison, des cellules. Les portes sont fermées, la communication entre les corps est impossible. Un gardien épie les hommes à travers le judas, il fantasme. Un désir aveugle anime les deux prisonniers ; seul moyen de communication, un petit trou dans le mur, par lequel passe une fine paille, moyen d’un partage des bouffées de cigarette. Ils dansent, tapent sur les murs et le gardien, voyeur / spectateur d’une vie amoureuse sacrifiée, ne reste pas de marbre… Trente ans avant Querelle de Brest (1982) de R.W.Fassbinder, et toute l’esthétique qui en découlera (Pierre et Gilles, Mondino, Gaultier…) Jean Genet pose une première pierre, pour laquelle il sera censuré, son film étant jugé pornographique. Pendant de plus de 20 ans, le film est projeté en clandestinité, en France comme au Etats Unis, jusqu’à sa réhabilitation en 1975. Genet refusera toute commercialisation de son film – 27 ans après sa mort, c’est toujours le cas. Il m’en reste la première image : le gardien porte son regard sur le mur extérieur, les deux prisonniers essaient de se passer une fleur. Les bras trop courts, ils n’y parviennent pas. Et, depuis ces images de 1944, quelques phrases de Lou Reed : « You hit me with a flower, you do it every hour ». 70 ans plus tard, Un chant d’amour n’en finit pas de résonner. Jérôme Wurtz.

Le Droit du plus fort, Rainer Werner Fassbinder (1975).

Le droit du plus fort réunit deux des ingrédients majeurs du cinéma de Fassbinder : lutte des classes et homosexualité. Franz Biberkopf, interprété par le cinéaste, prolo et homo dans l’âme, gagne au loto et se fait introduire dans la petite société de la bourgeoisie homosexuelle, par intérêt de cette dernière pour son argent. Franz tombe amoureux d’Eugen, fils d’industriel – c’est là que commence ce conte tragique. Franz croit à cet amour, quand Eugen profite de son argent : appropriation violente par la bourgeoisie, jalouse de la fortune d’un prolétaire. La force du film réside dans ce choix de normaliser la relation amoureuse entre deux hommes et, de fait, de montrer les rapports de force à l’oeuvre dans la société. L’homosexualité n’est plus un fantasme : elle est vécue, actée par Fassbinder, dans une esthétique naturaliste, pour mieux dénoncer une exploitation économique et amoureuse. Le Droit du plus fort serait-il un prélude aux quinze heures de l’adaptation de Berlin Alexanderplatz ? Fassbinder porte le nom du personnage principal du roman de Döblin, manière de revendiquer  son état d’exploité dans une société ne se souciant guère des prolétaires, à plus forte raison s’ils sont homosexuels. Jérôme Wurtz.


Le Droit du plus fort par mySkreen

My Own Private Idaho, Gus Van Sant (1992).

C’est l’un des plus beaux films de Gus Van Sant. Sans détours, le réalisateur filme amoureusement River Phœnix (Mike), tel James Dean dans La Fureur de Vivre, et partage avec nous cet amour. GVS nous montre, sans complexe, qu’une caméra n’est pas qu’une question d’hétérosexualité. GVS nous plonge dans le Portland des michetons et dans les paysages de l’Idaho, filmés avec autant de justesse et d’amour dans leurs formes et couleurs sensuelles, une matière d’inspiration où ils nous livrent toute la fragilité et l’intimité de Mike. L’imaginaire américain n’est pas ici un retour au temps des pionniers, mais à l’époque des aventures de Kerouac, Ginsberg et Burroughs. L’écriture syncopée est une profession de foi pour une nouvelle Amérique où les marginaux de tous bords ont leur place. Ce voyage nous conduira dans les terres de Fassbinder et Pasolini, des références porteuses d’un discours et d’une cohérence à ce projet fou. L’amour de Mike pour Scott (Keanu Reeves) vous touchera sans détour. Jérôme Wurtz.

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Velvet Goldmine, Todd Haynes (1998).

On n’a certes pas attendu le troisième film de Todd Haynes, auteur trois ans plus tôt d’un Safe assez désarmant, pour soupçonner le paysage pop de recouvrir moult déclarations passionnelles à peine assourdies par l’électricité musicale. Reste que Velvet Goldmine fut bien, lors de sa sortie en 1998, le premier film à interroger avec fougue et décomplexion les relations ambiguës des figures émergentes du glam-rock des seventies telles qu’Iggy pop, Lou Reed et David Bowie. À travers les yeux d’un journaliste et fan, le retour sur les lignes de vie accidentées de deux personnages clairement inspirés de ces icônes fait coïncider en un beau vertige fascination et attraction. L’homosexualité n’est pas ici un « cas » et encore moins une pathologie, mais le lieu d’une explosion de signes. Pareilles festivités amoureuses ne sont pas légion, pareilles liaisons heureuses entre cinéma et imagerie pop non plus. Sidy Sakho.

Les Amours imaginaires, Xavier Dolan (2010).

Les œuvres de Dolan pourraient être autant de manifestes de la communauté LGBT, tant il en explore les problématiques, en osant des partis pris esthétiques forts. Ici, Dolan décortique la notion de désir : Francis et Marie tombent amoureux de Nicolas. Leur trio devient vite malsain, chacun tentant d’interpréter à sa manière les mots et gestes de celui qu’il aime… Situation assez fréquente pour tout gay que de douter de l’hétérosexualité de l’autre mais aussi cas typique d’amour impossible. Dolan reprend le classique triangle amoureux en l’inscrivant dans l’ouverture sexuelle. On ne saura jamais vraiment si Nicolas est bi ou non, et là est toute son ambiguïté : séducteur, manipulateur ou passif ? Nicolas, obscur objet du désir, incarne d’abord un  exemple de cristallisation stendhalienne. Le désir, compulsif et obsessionnel, tente vainement de se justifier. C’est ainsi qu’un anonyme expose une échelle sociologique de l’homosexualité, confortant la fixette de Francis. Sans la vénération de Francis et Marie, Nicolas perd tout intérêt car l’important, c’est le désir. Ils aiment follement l’amour. A la manière de Dolan qui s’aime sans doute plus qu’il n’aime ses personnages. Il se regarde jouer comme il se regarde filmer. Pas étonnant qu’il se masturbe : branlette physique autant qu’intellectuelle ? Anne-Cécile Favier.

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