Ce mois de décembre se tenait au Forum des Images le fameux Carrefour de l’Animation annuel. Une édition plus que spéciale, puisque nous avons eu l’occasion d’y célébrer les cent ans de l’animation japonaise en grande pompe façon Big Foot. Projections surprises, invités exceptionnels, conférences passionnantes… On a été gâté, très clairement. Et pas seulement sur l’animation japonaise, puisque nous avions aussi du cinéma colombien au programme, du Blue Sky et du cocorico français.
Histoire de revenir sur ces cinq jours cosy dans les sous-sols de Paris, je vous propose un petit récapitulatif de ce que nous y avons vu*. Le tout agrémenté d’un petit sommaire histoire de guider les plus pressés et pressées d’entre vous, parce que je suis (trop) gentil.
*Je dis nous, mais en vérité j’étais tout seul. Je me nounoie
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QUAND BLUE SKY SE FAIT VÉGANE ET S’ATTAQUE A LA MASCULINITÉ TOXIQUE: FERDINAND
Présenté à la fois au sein du festival et dans la programmation habituelle Ciné-Kids du Forum des Images, Ferdinand est un film que personne n’attendait. D’ailleurs, au moment où j’écris ces mots il est déjà sorti, et tout le monde l’a déjà oublié. Voilà ce que cela fait de vouloir exister dans un calendrier 100 % dominé par les sorties Disney : entre les films d’animation, les Pixar, ses films live, les Marvel et les Disney… Que reste-il ?
Même sans être très bon, Ferdinand parvient à ressembler à du cinéma… Bonne surprise, donc. Dommage que personne n’aille voir ce film.
Pourtant, Ferdinand est un film bien plus intéressant que le laisse penser sa bande-annonce trompeuse. Peut-être pas un très bon film, soyons honnêtes, mais un film qui reste intéressant, et qui mériterait d’être vu par beaucoup d’enfants.
Ferdinand, c’est un jeune taureau qui ne connaît qu’un monde : celui de l’écurie Del Toro qui élève les animaux pour la corrida en Espagne. Déjà, pesez ces mots un instant. Mettez sur la balance, et regardez que ça représente, de parler de corrida dans un film pour enfants… Il fallait avoir des grosses couilles de taureau pour oser un truc pareil.
Je n’utilise pas cette expression sexiste au hasard : c’est en vérité là que réside le cœur du film. Tous les taureaux apprennent à se battre et à devenir le plus fort, le plus viril le plus costaud, parce que la vie c’est comme ça. Il faut être choisi pour la corrida, et gagner dans l’arène pour survivre. Sinon, on est envoyé… à l’abattoir. C’est là le deuxième sujet du film : Ferdinand est certifié vegan. Sauf que notre Ferdinand chouchou, lui, ne veut pas se battre. Même s’il est taureau massif et cornu, tout ce qu’il souhaite, c’est sentir le parfum des jolies fleurs.
A côté de cela, le tout est structuré de la manière la plus classique qui soit, l’animation n’a rien qui vaille réellement le détour, et l’humour tombe souvent à plat. Ce n’est pas une grande réussite artistique, c’est clair. Là où l’émotion devrait primer, la mise en scène est trop souvent didactique. Mais les messages qu’il transmet eux, sont clairs, maîtrisées, et ne tombent pas dans la pédagogie forcée. Même sans être très bon, Ferdinand parvient à ressembler à du cinéma… Bonne surprise, donc. Dommage que personne n’aille voir ce film.
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L’ANIMATION RENCONTRE LE CINÉMA EN RÉALITÉ VIRTUELLE : NOTES ON BLINDNESS
Pour rester sur les animations habituelles du Forum des Images, un petit mot sur les « Samedi de la VR » : tous les samedi après-midi, le Forum organise des projections de petits courts-métrages en réalité virtuelle. La qualité est donc largement dépendante du programme, bien évidemment : si vous tombez sur une œuvre pas tip top, vous risquez d’être déçus. A l’inverse, si vous tombez sur un truc EXCEPTIONNEL comme Arden’s Wake (que j’avais vu à Annecy et qui a été diffusé au Forum aussi par la suite), vous risquez de vouloir abandonner toute vie terrestre et vous réfugier dans le cinéma VR.
Hull n’est pas né non voyant ; cela veut dire qu’à partir des sons qu’il reconnaît, il recrée des images mentales autour de lui
Pour rester dans le cadre du Carrefour de l’Animation, la programmation du jour était donc centrée sur l’animation : un petit court interactif dans l’univers de Zombillenium, ainsi qu’une longue œuvre expérimentale adaptée de Notes on Blindness. Le principe est relativement simple : à partir des textes de John Hull, qui a documenté sa perte de vue au fur et à mesure des années, des animateurs ont créé des animations 3D basées sur la perception sonore. Le but étant de recréer l’expérience progressive de cécité décrite dans les textes, en plongeant le spectateur dans la réalité de John Hull.
En effet, Hull n’est pas né non voyant ; cela veut dire qu’à partir des sons qu’il reconnaît, il recrée des images mentales autour de lui. De la même manière donc que les animateurs ont créé des images mentales autour du spectateur, en 360 degrés.
Difficile de parler de cinéma plutôt que d’une expérience pour un tel projet, et c’est tant mieux : s’il n’est pas interdit et même intéressant de débattre sur le rapport de la VR au cinéma, il serait d’autant plus mal avisé de limiter cette technologie à simplement cela. Elle est, justement, technologie : elle ne demande qu’à être explorée.
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MICHEL OCELOT PRÉSENTE SON PROCHAIN FILM ET DYNAMITE L’INDUSTRIE FRANÇAISE
Papy Cool
Malgré son focus sur le Japon, le doute n’est pas permis : le clou du spectacle, la grande réussite de cette édition du Carrefour des Images, c’est bien la venue de Michel Ocelot. Pas pour une simple conférence, attention ! Monsieur Kirikou était là pour présenter les « Secrets de Fabrication » de son prochain long-métrage, prévu pour octobre 2018, Dilili à Paris.
L’appellation « Secrets de Fabrication » n’est pas anodine ; il s’agit en vérité d’un « Work in Progress », mais Ocelot déteste, vomit, abhorre ce genre d’anglicisme. Le festival a donc changé le terme rien que pour lui… Cela vous montre l’importance du bonhomme, déjà.
Papy rebelle, qu’on devrait l’appeler, qui déjà sur Kirikou avait foncé la peau des africains lorsque la direction de France 3 lui avait conseillé de l’éclaircir pour ne pas choquer le public…
La présentation de Michel Ocelot a d’abord été difficile à suivre ; avant même de nous parler de son long métrage, de son histoire, il a décidé de nous montrer des photos de Paris. Pendant vingt minutes, la salle 300 du Forum a regardé les photos de « voyage » de Michel Ocelot dans Paris, dans un silence semi-religieux, semi-perplexe. 17 000 photos, prises sur plusieurs années, un peu partout : des égouts à l’Opéra de Paris.
Ainsi le réalisateur nous montrait comment Paris, la ville et ses personnes, lui ont ouvert leurs portes à un moment où le cinéma d’animation ne savait que faire de lui. Ocelot est en effet revenu sur sa carrière avec une certaine aigreur, précisant que s’il n’avait fait que si peu de longs métrages, c’est qu’on ne l’avait pas laissé faire autrement.
Une fois le scénario de Dilili à Paris terminé, Ocelot est allé voir ses collaborateurs habituels, qui ont tous refusés le projet. Le CNC lui a dit, selon ses propres dires, « de revoir sa copie ». En voyant que personne n’osait toucher à son film, Ocelot en a conclu qu’il devait vraiment avoir pondu quelque chose de génial. Finalement, ce sera le grand manitou de MacGuff qui récupérera le projet : Jacques Bled. Et au vu des extraits que nous avons vu, il est fort probable que tous celles et ceux qui ont dit non au film risquent de s’en mordre les doigts… Un « manque de courage », d’après monsieur MacGuff.
Car au bout d’une bonne demi-heure de présentation, enfin on nous éclaire sur le film et son histoire : Dilili à Paris, qui sera le troisième long métrage seulement de la longue carrière de Michel Ocelot, est une histoire de mystère et de disparitions dans le Paris de 1900. Dilili, petite fille noire fraîchement débarquée à Paris et passionnée par Jules Verne, se retrouve mêlée à une affaire d’enlèvements d’enfants au sein du Paname de la Belle Epoque. Là-dessus, Ocelot s’est fait plaisir bien salement et a décidé d’intégrer à son histoire toutes les grandes personnalités artistiques et intellectuelles de l’époque : Marie Curie, Sarah Bernard, Louise Michel, Pablo Picasso, Toulouse-Lautrec… On lui a reproché d’avoir mis trop de personnages dans son scénario, il en a donc doublé le nombre. Vous commencez à cerner le personnage, non ? Papy rebelle, qu’on devrait l’appeler, qui déjà sur Kirikou avait foncé la peau des africains lorsque la direction de France 3 lui avait conseillé de l’éclaircir pour ne pas choquer le public…
MacGuff oblige, Ocelot en a donc profité pour transformer ses contraintes en créativité : l’animation est donc un mélange de personnages 3D, de personnages 2D, qui se mouvent dans un décor en prises de vues réelles… Oui, vous avez bien deviné, ce sont les fameuses 17 000 photos de Michel Ocelot qui ont été utilisées ! Le patchwork fonctionne à merveille dans les extraits que nous avons pu voir.
Tout au long de la présentation, une chose apparaît clair aux yeux de tous : Michel Ocelot n’est pas qu’un vieux monsieur empli de malice. C’est probablement le vieux monsieur le plus malicieux au monde ! L’homme ressemble à son cinéma, et ce même si cela lui déplait. Lui qui aimerait qu’il n’y ai pas de « style Ocelot », est bien trop fier, bien trop cohérent dans tout son travail pour échapper à la qualification d’auteur. Dans son talent et sa détermination, dans sa conscience sociale et politique (une longue tangente a été consacré au patriarcat et aux violences faites aux femmes), Michel Ocelot n’est pas différent des intellectuels et artistes de la Belle Époque qui le fascinent. Il est finalement l’héritier de cette France rêvée, celle dont on a de plus en plus de mal à croire, celle qui est censée combattre l’injustice et apporter l’égalité là où nous le voyons plus. On peut toujours rêver, comme dirait l’autre… Michel Ocelot, en tout cas, ne s’en prive pas.
MUTAFUKAZ: ENTRE JAPON ET FRANCE, LES ÉTATS-UNIS DÉGUEULASSES DE RUN
Dans la belle et (trop) grande ville de Tokyo se trouve un immense parc sacré, rempli de temples et de moustiques assassins (j’ai failli mourir là-bas, demandez-moi de vous raconter un jour si vous me croisez quelque part). Dans ce parc se trouve un des plus beaux symboles de l’amitié entre la France et le Japon : deux murs d’alcool se font face. D’un côté des tonneaux de vin français, de l’autre de saké japonais.
Et pourtant, si on devait symboliser nos liens forts aujourd’hui, on ne passera probablement pas par la boisson, mais par l’animation : depuis ses débuts, l’anime (et le manga) aura toujours une place spéciale en France. Lors de ce Carrefour de l’Animation au Forum des Images, aucun autre film du festival ne symbolise aussi bien que Mutafukaz cette connexion franco-nippone.
C’est un peu comme si on voyait Training Day dopé à la coke et animé par les créateurs de Viewtiful Joe.
Adapté d’une bande dessinée de Guillaume Renard, plus connu sous le nom de Run, il a été entièrement animé au royaume de l’anime. C’est un véritable projet du cœur pour Ankama, qui a mis la main au portefeuille pour obtenir une esthétique qui fasse honneur à l’univers déjanté de la BD : c’est donc le studio 4°C qui s’en est chargé, surtout connu chez nous pour Amer Béton et Mind Game.
Le résultat ? Une histoire franchement trash qui ne peut être mieux définie que par le mot « métissage »… C’est un français qui parle des États-Unis à travers d’une animation typique de la culture japonaise, le tout enrobé dans une grosse dose de pulp branché SF façon Matrix/Dark City. Je vous avais prévenu ! Du métissage, quoi. Avec un héros à la tronche étrange, des méchants d’une société secrète en mode Men In Black version hentai, un sidekick en mode crâne qui brûle parce que pourquoi pas… Et des taudis. Des ghettos. Des noirs et des latinos aussi stéréotypés que les autres personnages du film, tous armés et violents. Beaucoup de fusillades, beaucoup de sang. Une violence limite parodique, dont l’extrême côtoie dans ses meilleurs moments le loufoque : la bande de lutteurs mexicains protecteurs du monde, c’est de loin la meilleure idée du film.
La démarche a le mérite d’être intéressante, même si elle ne sera pas du goût de toutes et tous : les États-Unis de Run, à travers la ville de Dark Meat City, sont vous l’avez compris, monstrueux. C’est un peu comme si on voyait Training Day dopé à la coke et animé par les créateurs de Viewtiful Joe. Sauf qu’en plus, c’est fait par un étranger : parler de la culture d’un autre de cette manière-là, il y a une forme de mauvais goût qui n’est finalement pas déplaisante. Au fond, quand on connaît l’œuvre de Run, on trouve là une des clés de ses obsessions : il aime représenter le pire en grossissant toujours les traits. Du pessimisme parfois mal placé donc, mais qui a le mérite d’avoir sa propre originalité.
Au moment où j’écris ces mots, le film commence à avoir une chance de sortir en salles. En cas de succès, pouvons-nous espérer davantage de collaborations artistiques entre nos deux pays ?
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LE SAVIEZ-VOUS? LA RESTAURATION DE FILM D’ANIMATION JAPONAISE EN OCCIDENT.
Voilà ici un autre pilier de la collaboration franco-nippone. Parmi les nombreuses rencontres et conférences du Carrefour, nous avons eu droit à une intervention assez courte mais très plaisante de Benoit Spacher, responsable avec ses collègues de la sauvegarde du patrimoine d’animation du 20ème siècle.
En effet, il n’existe aucune entreprise de restauration du patrimoine artistique au Japon. Du moins, pas pour le cinéma d’animation. La sauvegarde n’est pas dans l’intérêt du pays actuellement, les initiatives sont donc prises en occident, par les amoureux et admirateurs en somme. Non sans difficultés ! Il n’est pas forcément aisé de faire entendre aux hautes sphères que l’animation mérite d’être préservée, surtout quand les hauts placés ne la connaisse qu’à travers le Club Dorothée.
Malgré cela, on finit bien par y arriver, pour le plus grand bonheur des cinéphiles et des étudiants, qui pourront ainsi travailler sur des supports de qualité et raffermir les liens qui existent entre production d’antan et productions futures.
Cette intervention fut donc l’occasion pour Spacher de nous présenter le travail effectué sur Conan, le fils du futur, série d’animation très méconnue d’un certain Miyazaki. On peut d’ailleurs supposer qu’il s’agit d’un argument de poids quant à l’obtention d’un feu vert pour la restauration : pour beaucoup, Miyazaki et les studios Ghibli représentent la seule chose à sauver au sein de l’animation japonaise.
*crache par terre avec mépris envers tous ses élitistes mal lunés*
Retirons donc de ces informations que notre fascination parfois déplacée pour la culture japonaise a aussi du bon : et qui sait, peut-être qu’un jour des japonais viendront à leur tour restaurer les bobines des films de Christian Clavier.
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LE JAPON A L’HONNEUR : LA PRESENCE DE KEIICHI HARA
L’un des grands bonheurs du Forum des Images cette année était la présence du réalisateur d’animation Keiichi Hara. Surtout connu chez nous pour Miss Hokusai et Colorful, le grand homme – qui l’est aussi par la taille – avait donc pour rôle de parrainer cette édition à la gloire de l’animation japonaise.
la parenté du cinéma de Keiichi Hara avec celui du grand Ozu, notamment dans le traitement du quotidien, est flagrante.
Bon, léger problème, le type est arrivé en France, et à peine débarqué est allé voir ma collègue et camarade Caroline Vié pour annoncer que vraiment, l’animation le barbe. Miyazaki, Takaahata, Kon, il s’en tamponne l’oreille avec une babouche. Monsieur Hara se tient peu au courant de l’évolution du cinéma d’animation, parce qu’il ne l’intéresse pas beaucoup. D’ailleurs, s’il le pouvait, il ferait des films en live action, de sa propre confidence. Autre moment amusant, il a souhaité à Masaaki Yuasa une longue et belle carrière lors de la cérémonie d’ouverture, ignorant probablement que le réalisateur qui avait commencé comme artisan sur les films de Keiichi Hara avait depuis atteint les sommets de l’animation japonaise, étant adulé dans le monde entier. Preuve que très clairement, Keiichi Hara préfère regarder ailleurs qu’en direction des dessins animés.
Loin de moi l’envie de le blâmer pour cela ; le type fait ce qu’il veut. En revanche, cela permettra d’éclairer une large partie de son cinéma : Colorful notamment, qui a été projeté sur grand écran lors du Carrefour, prend une autre dimension lorsque l’on sait que l’animation y est pensé comme une solution avant tout. Dès lors, la parenté du cinéma de Keiichi Hara avec celui du grand Ozu, notamment dans le traitement du quotidien, est flagrante… Parenté qu’il a également confirmé lors de sa conférence.
C’est sans doute pour cela que je trouve que Miss Hokusai est à ce jour sa plus belle réussite : on sent qu’il y a réussi à conjuguer ses influences et ambitions qui lui viennent du cinéma live action avec une animation qui garde du sens, et ce d’autant plus que le dessin vient servir le propos. Keiichi Hara n’a pas annoncé de projets à venir, mais si jamais il se décide à sortir de sa cabane* et refaire un film, nous serons très curieux de voir où cela le mènera.
*Quelqu’un m’a dit lors du festival que Keiichi Hara habite dans une cabane dans les bois. Je ne sais pas si c’était une blague ou non, mais j’ai décidé de ne pas faire de recherches et vous le présenter comme un fait.
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QUEL AVENIR POUR L’ANIMATION JAPONAISE? LES FILMS DE YUAASA, NAOKO YAMADA ET DE MAKOTO SHINKAI.
Et justement, parlons maintenant du futur. Pas celui que l’on voit dans le Blade Runner de Watanabe, dans Code Geass ou Ghost In The Shell.
Celui de l’animation japonaise, qui a été évoqué largement lors d’une table ronde avec des intervenants d’Animeland, CrunchyRoll et Eurozoom.
il y a une véritable fracture dans le système traditionnel, un modèle économique obsolète et dangereux pour l’avenir, qui fait forcément venir le changement de ceux qui ont déjà du pouvoir.
En effet, après avoir retracé brièvement l’évolution du marché et de son exportation (de la télévision noir et blanc, à la couleur, au marché vidéo, puis au cinéma et enfin tout récemment… à CrunchyRoll et autres plate-formes de streaming spécialisées).
Nous sommes en effet à un tournant : c’est la fin des Studios Ghibli. Je vais être honnête ici et avouer que je n’ai pas forcément tout compris, mais je pense avoir de quoi résumer l’essentiel. En gros, le studio était déjà en grand danger après que Miyazaki a annoncé son dernier film, Le Vent se Lève. Après cela, le studio n’a sorti qu’un seul film, très beau et très peu vu, Souvenirs de Marnie.
Depuis cette période, le réalisateur de Souvenirs de Marnie, Yonebayashi, a décidé se tirer avec une grande partie des artistes du studio et d’en fonder un nouveau, le Studio Ponoc. Leur premier film sort d’ailleurs très très bientôt, et sa distribution joue énormément sur la parenté avec Ghibli.
Entre temps, Miyazaki a décidé de sortir de sa retraite pour la cent cinquantième fois, prouvant une fois pour toutes qu’il est le Michael Jordan du Japon, et s’apprête à sortir un film en animation 3D…
C’est ce qui illustre un des éléments de ce renouveau de l’animation japonaise : il passe par les anciens. Miyazaki se diversifie et touche à la technologie moderne, les producteurs de Dans Un Recoin de Ce Monde font un Kickstarter, pendant que la jeunesse s’embourbe dans des métiers d’animateurs payés 600 euros par mois et sans grand espoir d’ascension sociale. C’est qu’il y a une véritable fracture dans le système traditionnel, un modèle économique obsolète et dangereux pour l’avenir, qui fait forcément venir le changement de ceux qui ont déjà du pouvoir.
Bien sûr, le cas Makoto Shinkaï a été évoqué : avec Your Name et ses succès précédents, il se présente comme le seul jeune réalisateur à avoir le vent en poupe actuellement. Le studio qui le produit tente actuellement de lancer la carrière d’un autre jeune réalisateur, dont le film Fireworks a été diffusé en cérémonie de clôture par la grâce d’Eurozoom. Malheureusement pour le distributeur français, qui se bat pour l’animation japonaise avec intelligence et qualité depuis des années, le film est franchement catastrophique. Si l’animation est très jolie, l’histoire manque à peu près de tout, et surtout de personnages. Ce qui précisément, faisait la force de Your Name. Espérons donc qu’Eurozoom n’ait pas trop misé sur cette nouvelle sortie, qui contrairement au film de Makoto Shinkaï ne risque pas de bénéficier du superpouvoir du bouche à oreille, aka le seul moyen de faire sortir le cinéma d’animation japonaise de son public cible et dialoguer avec des sphères cinéphiliques plus larges.
Le cas Masaaki Yuasa est également intéressant. Le type est quasi inconnu du grand public, alors que les aficionados sont raides dingues de lui depuis 2004 et son Mind Game. Ses collaborations avec d’autres géants, comme les créateurs d’Adventure Time ou Shinichiro Watanabe sur Space Dandy, lui ont valu encore plus de respect. A Annecy à l’été 2017, son nouveau film Lou et l’Île aux Sirènes a été célébré sans qu’aucun autre ne puisse même s’imaginer être son égal. Lors du Carrefour d’Animation du Forum des Images, son prochain film (Night is Short, Walk on Girl) a été présenté en ouverture, et a absolument calmé toute la salle. Véritable monument d’humour, totalement hallucinant dans son utilisation de la 2D en maltraitant la technique jusque dans ses limites les plus absolues, ce nouveau film est une œuvre magique et magistrale… Qui n’aura jamais la chance d’être diffusé sur grand écran. Il sortira chez nous courant 2018, directement en format vidéo.
C’est que des grands comme Yuasa n’ont pas la moindre chance au cinéma, personne ne se déplace pour aller voir ses films. Lou et l’ïle aux Sirènes, qui a remporté le Cristal au festival d’animation d’Annecy, a été un flop catastrophique en salles… Pourquoi prendre des risques en distribuant un autre projet encore plus chelou dans nos salles ? L’avenir du cinéma d’animation japonaise n’est donc pas entre les mains des expérimentateurs de génie, qui ne savent pas d’adresser aux masses.
Arrive alors Naoko Yamada. Réalisatrice, ce qui est très rare dans le cinéma japonais et encore plus dans l’animation, elle a créé avec A Silent Voice l’un des plus beaux films de l’année 2017. Une histoire d’amitié, de fragilité de la jeunesse, sur les difficultés de la communication… Un film où rien n’est jamais facile. Tout sonne vrai. Nous vous en avions déjà parlé lors du festival d’Annecy, et il se trouve bien placé dans mon top 10 de l’année, je ne vais pas donc pas trop me répéter ici. Yamada possède le genre de voix qui peut plaire à un public large et friand de cinéma doux et vrai. Qui plus est, son utilisation de l’animation, de la musique et du montage sont inventifs sans être casse-cou : Naoko Yamada est irréprochable. Elle raconte les émotions avec une pudeur et une élégance qui la place au dessus de la masse.
Pour ces raisons, j’ai tendance à croire qu’elle a de quoi représenter l’avenir du cinéma d’animation japonaise. Malheureusement, son film sortira uniquement en format vidéo chez nous, probablement handicapé par sa durée rédhibitoire (2h11) pour être diffusé dans les salles obscures… Mais Naoka Yamada ne fait que commencer sa carrière. J’ai donc, grâce à elle, confiance en l’avenir. Parce que merde, 2018 commence, il faut bien s’accrocher à quelque chose.
QUEL BILAN ?
Il me reste donc à terminer ce papier en remerciant le Forum des Images de m’avoir invité à cette très belle édition, ainsi que pour leur accueil chaleureux et les jolies rencontres qu’il m’a permis. Mon article ne couvre pas l’intégralité du festival, car il m’a été impossible de tout faire malheureusement, mais j’espère vous avoir cher lectorat donné envie de découvrir les futures éditions de ce Carrefour annuel. En espérant de nouvelles collaborations entre Cinématraque et le Forum à l’avenir, bien sûr !