La Danza de la Realidad : Jodorowsky, magicien du souvenir

Belle surprise que ce retour au 7ème art de l’avant-gardiste Jodorowsky. Propulsé au rang de cinéaste culte par les adeptes des « midnight movies » dans les années 1970s, le réalisateur chilien a par la suite transposé son univers fantastique et symboliste dans la bande dessinée et la littérature. A 84 ans, il revient avec La Danza de la Realidad, beau film poétique où l’on reconnaît immédiatement la touche surréaliste de son auteur, mais qui gagne en profondeur et en maturité : le réalisateur livre, au crépuscule de sa vie, une fable singulière sur l’enfance et la famille, dont la beauté des images le propulse au rang des plus grands.

Le récit est ancré dans la ville de naissance du réalisateur, à Tocopilla, au Chili. On y suit le parcours du jeune Jodorowsky entouré des différentes figures tutélaires qui ont peuplé son enfance, entre un père autoritaire et une mère exubérante. Le parti pris est clairement autobiographique (les personnages de Jodorowsky enfant et de son père sont d’ailleurs interprétés par le petit-fils et le fils du réalisateur), mais le réalisateur replace son histoire dans un univers onirique et symbolique.

Cet univers à l’imaginaire prolifique est peuplé de freaks et autres personnages hauts en couleur qui, à l’instar de El Topo ou La Montagne sacrée, rappellent la monstruosité de l’existence : dictature, violence, racisme ou maladie semblent hanter la mémoire du réalisateur. Hommes troncs, nains, oracles punks et autres mendiants mutilés sont donc autant d’images symboliques déformées par le prisme du souvenir, dévoilant l’étrange inquiétude qui sourd du bonheur de l’enfance.

Mais ce qui différencie La Danza de la Realidad des premiers films de Jodorowsky et le hisse au-delà est cette alchimie trouvée entre performance plastique et propos intimiste, dans une exubérance toujours justifiée. Si les motifs restent invariables, on est loin de la surenchère transgressive et provocatrice des premiers films cultes du cinéaste, ancrés dans la temporalité traumatique des années 1970s. Jodorowsky se livre ici à une introspection sous forme de rêverie poétique à l’imagerie foisonnante, dans laquelle l’émotion l’emporte sur la provocation. En témoigne la relation entre la mère et son fils, d’une ambiguïté toujours contenue, avec notamment cette scène magnifique dans laquelle le jeune garçon et sa mère s’enduisent de cirage pour mieux se fondre dans l’obscurité et dompter les ténèbres dans une parade joyeuse et effrénée.

On pourra peut-être regretter quelques longueurs, lorsque le regard du père se substitue pendant une partie du film à celui de l’enfant, digression pas forcément nécessaire au regard de la puissance d’évocation des images d’enfance. Mais peu importe. De ce film plastiquement magnifique et d’une grande intensité émotionnelle, on retiendra surtout cette belle idée : celle du dialogue entre le réalisateur et son double enfant, seule et même personne dont la dualité s’impose. Car l’homme n’est plus l’enfant qu’il a été, mais porte en lui les réminiscences de son souvenir. La dernière image restera gravée dans nos mémoires : sur une barque conduite par la Mort, le réalisateur serre son double enfant contre lui, ce même enfant pourtant resté sur le rivage les regardant s’éloigner. Du grand cinéma.

La Danza de la Realidad, Alejandro Jodorowsky, avec Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Jeremias Herskovits, Chili, 2h10.

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