The Bay : l’aliénation par l’image

Ne nous y trompons pas : The Bay n’atteint pas ses objectifs horrifiques. Pas une seule fois nous ne sommes révulsés par ce que nous y voyons, et il faut vraiment se forcer pour y sursauter. Le manque d’enthousiasme du réalisateur face au genre est ici manifeste. Passez votre chemin, si vous pensez qu’il s’agit d’une série B idéale pour profiter du beau temps et dévoiler à votre belle vos plans les plus vils. Elle risque surtout de s’y ennuyer, et d’apprécier moyennement vos tentatives d’attouchements.

Pour autant, The Bay s’avère assez intéressant quant à ce qu’il révèle des ambitions de Jason Blum. Avec The Bay, le producteur ajoute une nouvelle pierre à l’édifice d’une possible encyclopédie de l’image de l’horreur. Connu pour défendre un cinéma très graphique (Des Hommes sans loi, Lords of Salem, le Hamlet d’Almeyra), Blum a, depuis quelques années, enchaîné les films d’horreur œuvrant ouvertement dans le palimpseste. Alors qu’Insidious lorgnait vers les films Hammer et l’épouvante à la Bava, s’inscrivant dans une relecture du cinéma bis des années 70, le beau Sinister cherchait à renouer avec l’horreur des années 80-90. The Bay, quant à lui, semble une étude de l’épouvante des années 2000, inaugurée par The Blair Witch Project et enterrée par Paranormal Activity. Une franchise initiée, évidemment, par les roublards Oren Peli (Chroniques de Tchernobyl), Steven Schneider (La Voix des morts) et le bourrin Brian Kavanagh-Jones (Safe). Tous aux manettes, forcément, de The Bay. On atteint ici l’overdose de l’image-témoin, autant que de celles simulant le home-movie, les caméras de surveillance ou des chutes provenant de téléphones portables ; overdose encore de technologie face-time, de skype ou de caméras embarquées par les forces de police. Film de producteurs, The Bay l’est indéniablement et, dans le genre, est loin d’être le plus bête. Mais de toute évidence, on se trouve ici en présence d’un film dépassant largement son concept de départ ; pour sa team de producteurs, il n’était donc pas question de refiler le bébé à un tâcheron.

C’est là qu’intervient Barry Levinson. Revenu d’entre les morts, le cinéaste, dont la carrière est attachée aux années 80 (Le Secret de la pyramide, Good Morning Vietnam et Rain Man), n’a jamais réussi à revenir sur le devant de la scène, malgré deux films estimables (Bugsy et Bandits). Levinson a ce regard de vieux briscard qui a vu l’image échapper aux mains des alchimistes – les artistes – pour envahir le monde, d’une façon que l’on pense incontrôlable mais qui, au contraire, est au service du pouvoir. Seul un cinéaste confirmé pouvait faire ressortir, d’une histoire de virus assez convenue, une parabole sur l’image comme nuisance et virus mortel. La punchline qui, sur l’affiche française, sert de sous-titre au film, nous aura prévenus : la panique se nourrit de la peur. Le film joue sur la contamination des esprits par les histoires de conspirations, qui se développent à vitesse grand V grâce à l’internet et arrangent bien l’idéologie en place. Du virus, nous ne saurons rien, si ce n’est qu’il s’agit de la mutation d’un parasite. Mais pourquoi a-t-il muté ? Le mystère demeure, les images sont devenues incontrôlables : on soupçonne autant l’industrie agro-alimentaire que le gouvernement ou le complexe militaro-industriel. Les franc-maçons ne sont pas loin. Ce qui demeure, ce qui ici est concret, tangible et dangereux, n’est pas la réalité de ces complots, mais le fait que la réalité devient illisible, en raison de la contamination du réel par l’image : celle-ci contrôle l’émetteur qui, lui, ne semble pas la comprendre. Face à une image omniprésente, la peur de la manipulation devient panique. Barry Levinson semble regretter que l’image devienne aliénante, d’autant plus que si celle-ci a été « démocratisée » grâce à des services et des technologies qu’on ne peut que saluer, ces avancées sont destinées à rendre l’émetteur plus dépendant encore. Si bien que les images nous contrôlent bien plus qu’on ne les manipule.

The Bay, de Barry Levinson, avec Kristen Connolly, Christopher Denham, Nansi Amuka, Etats-unis, 1h28.

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