Le Jardin Zen : la mère à boire

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Naoko Ogigami n’est pas parmi les cinéastes japonais contemporains les plus connus par chez nous, et pourtant elle mériterait largement de l’être. Son neuvième long-métrage, Le Jardin Zen, est un très bel exemple de tout ce qu’il y a de surprenant et singulier dans son cinéma. Comme ni son titre français ni son affiche ne le laissent entendre (je ne comprends pas du tout la stratégie marketing de Art House pour ce film je l’avoue), Le Jardin Zen suit pendant deux heures environ une femme ménopausée solitaire qui trouve un sens à sa vie en rejoignant une secte.

Rien de vulgaire ou de voyeuriste, ni de sensationnel dans l’approche de la réalisatrice ; on pourrait pourtant s’y attendre au vu du cadre. Au fond la présence de cette secte, entièrement organisée autour de l’eau (elle vend sa propre eau supposément purifiante et soignant tous les problèmes en extorquant donc des fortunes à ses fidèles) n’est qu’une excuse pour explorer un personnage fascinant.

La scène qui introduit le film pose Yoriko, interprétée par la géniale Mariko Tsutsui (beaucoup la connaissent de ses rôles chez Sion Sono ou chez Koji Fukada, mais les puristes se souviennent d’elle dans un petit rôle du J-drama Hanazakari no Kimitachi E) comme une femme extrêmement maniaque.  Naoko Ogigami ne le dit pas ouvertement, ni dans des dialogues ni dans sa mise en scène. Elle suggère dans les premières minutes, par des inserts et des silences, une atmosphère particulière au sein de son domicile. Et tout ceci avant que la secte n’entre en compte dans l’histoire, posant bien les fêlures pré-existantes qui seront exploitées ensuite.

LE JARDIN ZEN - Cinema Utopia Toulouse Borderouge et Tournefeuille
De loin la plus belle partie du film : celle qui concerne ce personnage secondaire à gauche.

La réalisatrice fait avec Le Jardin Zen un étrange numéro d’équilibriste, jonglant (je mélange deux métaphores circassiennes si je veux, merci) tour à tour avec un humour noir particulièrement sec, et un drame plus frontal. Il y a évidemment de quoi rire face à un personnage dont la névrose est encouragée par son entrée dans la secte. Ses obsessions d’ordre troublées par le retour de son mari qui l’avait abandonnée des années auparavant sont sources de gêne, mais aussi d’un grotesque savoureux.  Le plus surprenant étant qu’à partir de tout cela, elle parvient néanmoins à amener son récit et son personnage vers le positif. Le dernier quart d’heure est contre toute attente très touchant, et libère le film d’un poids qui était jusqu’ici conséquent mais qui ne manque pas dans sa conclusion.

Plus haut dans l’article, je disais que la secte n’est qu’un prétexte, mais ce n’est pas tout à fait exact. Bien sûr, Naoko Ogigami s’en sert dans ses bascules narratives pour montrer comment Yoriko peut ignorer le soutien réel de personnes autour d’elle tout en se vautrant dans les mensonges rassurants du culte. Mais c’est aussi un vrai motif esthétique qui sert à explorer la thématique du film. Le fameux jardin zen dont il est question dans l’étrange titre français (je n’en démords pas, Art House vous prenez des décisions étranges…) est en réalité celui de Yoriko, un karesansui en japonais. C’est-à-dire un jardin sec, dans lequel les pierres et le sable blanc viennent symboliser l’eau par la simple suggestion de ses mouvements.

Ainsi Naoko Ogigami s’empare de l’image communément associée à ce type de jardin, c’est-à-dire un ascétisme pieux et un rapprochement de la nature visant à démontrer un apaisement (le fameux zen en question), pour en faire un masque. Un simulacre qui dissimule les troubles d’une femme ménopausée dont la vie est franchement triste, et qui cherche à tout prix à garder le contrôle. Chaque attaque sur cette maîtrise fragile est alors d’une violence inouïe pour elle, que cela soit le retour de son mari ou la visite de son fils qui s’est mis en couple avec une femme plus âgée et malentendante.

le jardin zen hamon ripples
Moi tous les jours en 2024 (il pleuvait tout le temps c’était horrible laissez-moi voir le soleil un peu je sais pas)

La métaphore n’est pas très subtile, mais elle fonctionne : le jardin sec ne peut que simuler l’eau, il ne la sera jamais vraiment. Les bouteilles d’eau de la secte sont parfois périmées, et surtout sont vidées de toute réelle substance par leur nature. Lors de scènes de disputes (les seuls passages vraiment ratés du film hélas), les personnages apparaissent pieds dans une eau fausse, générée grossièrement en images de synthèse. Ces scènes, qui donnent au film son titre en japonais (Hamon, ou ondulations, rien à voir avec un ancien candidat du PS trahi par Manuel Valls), alourdissent à nouveau la métaphore : l’eau, c’est la vie. Et de toute évidence, tous les protagonistes principaux en manquent cruellement.

C’est à ce titre que la conclusion est particulièrement réussie. Toute en contrastes, Naoko Ogigami ramène la vie avec la pluie et les larmes. Une cinéaste qui décidément mérite d’être suivie de près.

Le Jardin Zen, un film de Naoko Ogigami. Au cinéma le 29 janvier 2025.

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