The We and The I

Avec son nouveau film, The We and The I, Michel Gondry approche la perfection de son art. Il a imaginé son film comme un entre-deux, une sorte de récréation pour sortir des structures de production imposantes. Sur le moment, c’était un moyen de s’échapper du tournage de The Green Hornet. Le film a permis, par la suite, à l’hyperactif réalisateur de se ressourcer, avant de se confronter à une autre vision (plus européenne) de la méga-production (L’Ecume des Jours). The We and The I démontre qu’à l’instar de Steven Soderbergh, Michel Gondry maîtrise parfaitement les moyens de productions. Qu’il travaille à Hollywood, Belleville ou Harlem, l’auteur s’oblige à une même exigence : respecter toute la chaîne de production. C’est à cette seule condition qu’il peut se permettre d’arriver à l’idée qu’il veut développer. La cohérence et la réussite de son œuvre viennent également de là. On est loin du fantasme de l’artiste bricoleur. Ce qui est vrai pour ses œuvres de fiction l’est également pour ses documentaires : The We and The I se pose justement comme un pont entre les deux rives de son oeuvre.

Tournant le plus souvent dans l’urgence et la spontanéité, Michel Gondry se permet de mixer le style « cinéma-guerilla » à ses ambitions expérimentales. Et ça marche. Tiré des expériences vécues par les acteurs (non-professionnels), The We and The I joue de ses influences visuelles. Admirateur de Cassavetes, il a le même désir d’improvisation, sa caméra cherche à percer les failles humaines ; il a compris que le montage doit laisser vivre à l’image les accidents créateurs qui se révèlent à travers le jeu des acteurs. Mais par ses cadrages, le choix du casting féminin et ses intertitres malins, c’est l’école new-yorkaise des comics underground qui est convoquée. Ces jeunes filles plantureuses semblent sortir d’un fantasme de Robert Crumb, quand ce n’est pas un axe de caméra qui reproduit la case d’une bande dessinée. Il ne serait pas étonnant, à ce propos, que Gondry ait été un lecteur de Raw, revue créée par Crumb. Ce n’est pas la moindre des réussites du cinéaste que d’avoir réussi a créer une certaine homogénéité en usant de partis pris très éloignés. Gondry créateur de forme, c’est une chose entendue, et c’est à cela, souvent, que l’on limite le commentaire de ses films. Mais The We and the I est d’une autre ampleur.

S’il a pensé son film en France, c’est en rencontrant les jeunes de Harlem qu’il a décidé de le tourner aux Etats-Unis. The We and The I est né du même mouvement que son exposition au centre d’Art Moderne George Pompidou : « L’usine des films amateurs » est la matrice de The We and The I. Le cinéaste a voulu penser son film dans un style Do It Yourself, mais en un mouvement généreux, tourné vers les jeunes des quartiers populaires. Ils viennent de Harlem, mais Gondry aurait sans doute fait le même film à Bondy ou Buenos Aires. Tout son cinéma est l’oeuvre d’un groupe, d’un collectif auquel il ne peut s’empêcher de rendre hommage. Cet amour du collectif permet aux acteurs de s’épanouir, et l’on ne peut que remercier leur fraîcheur et leur tchatche, qui facilitent la liberté créatrice du réalisateur. Il y a chez Gondry un besoin évident du collectif, et le groupe, tout autant que la notion de communauté, sont déjà présents dans ses précédents films. Ce qui frappe dès les premiers plans de The We and The I, c’est autant le plaisir de filmer que celui de jouer. Ce road-movie en quasi huis-clos se révèle aussi passionnant visuellement que dans ses thématiques, ainsi que dans son travail du son et de la gestion de l’espace.

Le titre résume à lui seul les ambitions du cinéaste, la complicité entre celui-ci, les acteurs et ceux qui font un film : les spectateurs. Quel beau titre, décrivant autant la démarche que le récit, où l’on verra une communauté, un groupe, se séparer petit à petit, pour isoler chacun, tant dans l’espace du bus que dans son discours. Bref, le nous et le je. Le rapport de soi à la communauté. L’image a dans ce film les deux visages de la modernité : celui du We, de l’expérience collective (la salle de cinéma) et du de la vidéo mobile, celle des smartphones. L’image du We est pourtant exclusive et unique pour chaque spectateur, alors que celle mobile, individualiste, est une image que l’on partage. La diffusion libre de l’image, propos d’une belle pertinence alors que la question de son partage appelle de plus en plus à une réponse uniquement répressive. A ces réflexions sur l’image s’ajoute une bande son hip-hop très à-propos. Au flow, et à cette musique jouant de la répétition, répondent les images de ce jeune garçon, absent de l’image cinéma (il est, au final, le personnage principal du « film » que se racontent en image les adolescents, à travers le partage des vidéos dont il est le héros), et que les ados ne se lassent pas de visionner en boucle sur leurs smartphones. L’image, comme le son, est alors samplée, remixée. Le choix du rap fait également écho à la réalisation do it yourself, dont le hip-hop, légataire du punk (premiers amours de Gondry), a fait son cheval de bataille.

Il faut savoir gratter la couche de légèreté qui recouvre le film, et l’aspect un peu gamin du projet, car The We and The I est sans doute l’oeuvre la plus aboutie de son auteur.

About The Author

11 thoughts on “The We and The I

    1. Merci, bin j’ai lu ça que tu as pas accroché au film. Une de nos rédactrices (Elsa) lui fait des reproches assez similaires. Il y a sans doute un peu de vrai, mais je trouve qu’il arrive a faire oublier ce côté artificiel.

  1. Le texte de Gael m’a emporté au film sans hésitation… J’en reviens un peu perplexe et relis la critique pour savoir ce que j’ai loupé… Non, rien… c’est exactement comme le décrit ce très bel article sauf que pour ma petite sensibilité trop bourgeoise on dirait, le résultat n’est si pas si enthousiasmant. Je garderai la beauté des mots pour pallier à ma « déception » ;))

  2. On revient du film.
    Amour du collectif ?
    Défiance plutôt. Le collectif c’est la violence.
    La violence de ce film est énorme.
    Les personnages positifs sont ceux qui arrivent à s’isoler du collectif : le garçon qui dessine et celui avec les écouteurs sur les oreilles. Ceux qui ne sont pas là.

    1. Amour du collectif, le plaisir de créer en groupe. On sent un vrai plaisir du réalisateur comme des acteurs à travailler ensemble. Alors oui amour du collectif. L’amour est loin d’être aveugle, la passion l’est. Amour du collectif et ne cache rien de la violence des rapports humains. Ce n’est pas parce qu’il montre la violence du groupe qu’il ne l’aime pas. Tout dans ce film s’interroge sur le collectif et l’individu, j’ai tenté de montrer que Gondry avec les outils du cinéma joue du rapport complexe, de l’attirance de l’individu pour le groupe et de son rejet du groupe, ainsi que du besoin de l’individu malgré la violence du groupe, d’appartenir à un collectif. Le film est plus complexe que le groupe c’est négatif et l’individu qui s’isole positif. Je n’ai vu aucun personnage positif dans ce film. Juste des humains, dans leur complexité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.