Dheepan, ni fait ni à faire

Il fut une époque où lorsqu’un film était terminé à la dernière minute, cela relevait de l’évènement. On se souvient ainsi des anecdotes et autres rumeurs un peu folles qui émaillèrent l’arrivée à Cannes de 2046 de Wong Kar Wai. Il y a deux ans, Kechiche s’était servi des projections cannoises pour régler ses comptes avec ses techniciens, et prétexta lui aussi qu’il n’avait pas eu le temps de finir son film. Des cas rares qui participaient un peu au sel du Festival. Aujourd’hui, la situation devient navrante. Cette année, l’on compte pas loin de trois films de la sélection officielle, dont deux en compétition, qui ont été montés ou étalonnés à l’arrache. Quelle valeur donner à un film lorsqu’on sait que les impératifs publicitaires priment sur l’intérêt artistique de l’œuvre ? Aucune. Le jury, ainsi que les critiques, sont amenés à être des membres actifs des campagnes de communication du Festival et des producteurs. Ils ne sont pas mieux considérés que les panels représentatifs des spectateurs américains lors des projections tests des films hollywoodiens. Selon leurs retours, The Assassin, Love ou Dheepan seront réajustés pour en faire des produits conformes au marché. Est-ce un hasard s’il s’agit de films estampillés Vincent Maraval ? On vous laisse juges, mais on a notre petite idée. Si dans leur genre, The Assassin et Love s’en tirent plutôt bien, ce n’est clairement pas le cas de Dheepan. Le nouveau film de Jacques Audiard n’est, en effet, ni fait ni à faire.

Jacques Audiard aura beau mettre en avant le manque de temps, Dheepan confirme plutôt l’attitude hautaine et paresseuse de son auteur. Le film souffre de trop d’éléments problématiques, les délais imposés par Wild Bunch et le Festival n’excusent en rien la piètre qualité de son nouveau film. On pouvait pardonner le paresseux De Rouille et d’Os et croire à des maladresses quant à sa vision des classes populaires. Les doutes aujourd’hui s’estompent et laissent place à un véritable mépris de classe. Lorsque Éric Rohmer dépeint les sans-culottes comme des sauvages sanguinaires, on lui pardonne tout, autant par sa rigueur idéologique réactionnaire que grâce à la perfection de son œuvre, L’Anglaise et le Duc. Tel n’est pas le cas d’Audiard. Hommage selon lui aux Chiens de Paille de Sam Peckinpah, Dheepan en est le contre-pied. Le cinéaste français n’a semble-t-il pas compris le regard fataliste du réalisateur de La Horde Sauvage. Pour Peckinpah, la violence est intrinsèque à l’homme et on la retrouve de façon brutale et désordonnée dans les classes populaires, mais aussi de façon plus scientifique et perverse lorsqu’elle est utilisée par les classes dominantes, terreau du fascisme. Dheepan nous donne à voir seulement la violence des dominés, véritables machines à tuer, bêtes sanguinaires.

Certes, Audiard est connu pour son travail sur le genre. Il ouvre les portes de son cinéma autant au western qu’au fantastique et surtout au polar. Dheepan aurait pu être une version française de l’excellent vigilante movie Harry Brown avec Michael Caine. Sauf que Daniel Barber ne cherchait pas à avoir un discours social, et réussissait tout de même à dresser un portrait des cités populaires de la banlieue de Londres avec une certaine finesse. Au contraire, Audiard limite les quartiers populaires à de simples cités aux mains de trafiquants de drogue. Les habitants des cités populaires n’existent dans son film tout simplement pas. Il y a le clandestin au passé violent et les gangs sans pitié. Il ne serait pas étonnant qu’à la vue de ce film, Marine Le Pen applaudisse à s’en faire saigner.

Que le film ne soit pas terminé ne change rien au scénario de base, qui en plus de refléter une vision très réactionnaire des classes populaires, souffre d’être très scolaire et à la fin totalement incohérent. En trois parties, Audiard, réussit à passer du coq à l’âne : la première plutôt réussie décrivant le parcours du combattant du réfugié, la seconde franchement loupée et une troisième partie en forme de dénouement. Une fin absurde, où l’on verra celui qui cherchait jusque là à rester le plus discret possible pour obtenir le statut de réfugié politique sombrer dans l’extrême violence, tout en réussissant à s’installer en Angleterre. Quel est le message que cherche à faire passer Jacques Audiard ? Qu’il faut faire venir des mercenaires étrangers pour nettoyer les quartiers de la vermine des trafiquants de drogue ? Sérieusement ?

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2 thoughts on “Dheepan, ni fait ni à faire

  1. « Dheepan nous donne à voir seulement la violence des dominés, véritables machines à tuer, bêtes sanguinaires. »

    Peut-être, une hypothèse en passant, parce qu’il n’y a pas de dominants dans le film ?

    1. Ben oui il n’y a pas de dominants parce que Audiard n’en a pas mis. Ils ne sont pas absents « par hasard » de son film.
      Le problème d’Audiard est de vouloir à tout prix créer un « effet de réel » pour épater le bourgeois à peu de frais, sans jamais se poser la question du regard: d’où regarde-t-il ses personnages? De nulle part. Ce n’est même pas du mépris, mais plutôt une forme d’auto-aveuglement qui confine à la bêtise.
      C’est d’autant plus dommage que le récit de départ a un vrai potentiel, constamment gâché puisque Audiard (et ses scénarsistes), au lieu de suivre ses personnages et de se demander comment ils pourraient évoluer, reste focalisé sur la question suivante: comment diable vais-je bien pouvoir placer des gunshots à la fin et faire tout péter? Puéril et crétin.

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