Les Sorcières de Zugarramurdi, de l’anarchisme au nihilisme…

Le cinéma espagnol, animé par un véritable instinct de survie, est l’un des plus passionnants d’Europe, et Alex de la Iglesia, sans doute son représentant le plus déglingué. Profondément marqué par la dictature fasciste qui n’a pris fin qu’en 1977, il a développé un sens de l’irrévérence précieux en démocratie. C’est d’ailleurs chez les caricaturistes, les cartoonistes et les comics pulp qu’il faut chercher ses références. Ses premiers films, ses meilleurs, sont frontalement anarchistes et forcément anti-cléricaux, et célèbrent l’avènement des monstres dans un monde profondément humain, trop humain.

L’auteur avait su mettre à profit une reconnaissance méritée pour prendre position, plus d’une fois, contre les entorses faites à la démocratie par les gouvernements successifs. En parallèle, il amorçait un virage artistique que certains qualifieront de plus mature, cherchant en tout cas à rendre son cinéma plus classique. En cédant aux sirènes du tout-numérique, il dévitalisait surtout le discours acide qui se cachait derrière Balada triste, dans lequel il renvoyait dos à dos républicains espagnols et phalangistes. En vérité, c’est en se faisant plus modeste qu’il parvenait à se renouveler, inscrivant son art dans une tradition de la comédie américaine à la Capra (Mes Chers Voisins, Un Crime Farpait et surtout Un Jour de Chance). Un choix intelligent, l’hystérie monstrueuse qui le caractérisait risquant en effet d’atteindre ses limites. C’est donc tout étonnés que l’on assiste aujourd’hui, avec Les Sorcières de Zugarramurdi, au brusque volte-face du cinéaste.

Alex de la Iglesia tente de renouer avec l’esprit bordélique d’Action Mutante ; de fait, la première séquence aurait eu sa place dans son film de monstres. Mais voilà, le cinéaste a pris du bide, il n’a plus la même rage que celle qui l’animait dans les années 90, et l’œuvre s’en ressent. Peut-être y a-t-il chez lui une fatigue devant le rouleau compresseur de l’idéologie néolibérale qui, pour imposer aux espagnols des mesures économiques et sociales que n’aurait pas renié le régime fasciste de Franco, instrumentalise le spectacle. Cette fatigue fait basculer le joyeux esprit anar d’Action Mutante dans une dérive nihiliste. Certains ont vu, dans Les Sorcières…, un film violemment misogyne. Il est vrai que le regard porté sur les femmes est assez sévère. Pourtant, la violence faite à celles-ci est une question adressée au spectateur ; le générique qui ouvre le film est assez clair, en ce qu’il rappelle qu’à travers les âges « la femme » a été accusée de tous les maux. Se concluant sur les visages de Margaret Thatcher et d’Angela Merkel, ce générique semble s’interroger sur celui à donner à l’idéologie criminelle mise en place, entre autres, par ces deux femmes. Faut-il en la matière focaliser sa colère contre Thatcher et Merkel ? La réponse est pour le cinéaste évidente : certainement pas.

Davantage que misogyne, Les Sorcières de Zugarramurdi est un film misanthrope. Les hommes n’y sont en effet pas mieux lotis, la perversité des femmes s’exerçant d’autant plus aisément qu’elles doivent supporter la bêtise de ces derniers. Il y a quelque chose de fort peu sympathique à se trouver aux prises avec une création dont l’auteur se croit au-dessus d’une humanité hystérique et débile. C’était le cas dans le dernier Woody Allen, ça l’est plus encore aujourd’hui chez Alex de la Iglesia, les auteurs s’enfonçant dans le mépris de leur public. C’est d’autant plus dommage qu’en plus du générique et de la première séquence, le cinéaste espagnol nous gratifie par ailleurs de son savoir-faire d’inventeur de formes, signant notamment une séquence authentiquement mémorable. On y voit le sabbat des sorcières qui, réunies, en grand nombre et pour la première fois depuis leur extermination (au moment de l’Inquisition), font allégeance à l’enfant-élu ; sous les incantations, leur reine monstrueuse entre dans la grotte au son des tambours. On a rarement l’occasion d’assister à des visions aussi fascinantes et cauchemardesques, il est alors dommage que celle-ci soit noyée dans un océan d’aigreur fustigeant les faiblesses de l’humanité. Si l’on peut adhérer au pessimisme du cinéaste face à la propagande, à l’échelle européenne, des inquisiteurs capitalistes, ainsi que face aux récents échecs des luttes sociales, il n’empêche que l’on peut lui en vouloir de ne plus rien attendre du peuple espagnol. Pour la première fois, Alex de la Iglesia déçoit.

Les sorcières de Zugarramurdi d’Alex de la Iglesia, Carmen Maura, Hugo Silva, Mario Casas, Carolina Bang, 8 janvier 2013, 1h52

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