L’Inconnu du Lac, La Vie d’Adèle, une nouvelle ère dans l’homosexualité au cinéma

Il y eut à Cannes cette année, s’accorderont à dire les festivaliers de bon goût, deux grands films. L’un obtint une Palme d’Or méritée, La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche, l’autre un prix de la mise en scène au sein de la sélection Un Certain Regard, L’Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie.

Ces deux films concouraient également pour une Queer Palm que le second remporta finalement. Car ces deux films abordent le sujet qui nous intéresse, dans le cadre de notre cycle Mariage pour Tous, celui de l’homosexualité.

Abdellatif Kéchiche met en scène dans La Vie d’Adèle une jeune fille, se découvrant au sortir du lycée une attirance immense pour une autre fille, Emma.

Alain Guiraudie nous conte quant à lui l’histoire de Franck, qui se rend tous les jours aux abords d’un lac où les garçons homosexuels s’énamourent et font l’amour, à l’abri des regards.

Les deux films possèdent un point commun de taille, assez rare dans le cinéma actuel. Ceux qu’ils mettent en scène sont homosexuels, mais leurs histoires pourraient presque être transposées à des personnalités hétéros. Ainsi, Adèle aurait pu s’appeler Abdel, et Franck, France. Leurs préférences sexuelles ne seraient qu’une caractéristique telle que leur couleur de cheveux ou leur corpulence si un accent particulier n’était pas volontairement mis par les cinéastes sur leurs ébats sexuels.

Car Kechiche l’intello hétéro et Guiraudie l’intello homo savent à qui ils s’adressent. Leur public est à l’aune d’un changement historique de mentalité. Les lois passant malgré les tarés qui crient, la normalisation de ce qui fut digression malsaine aux yeux des tarés sus-mentionnés, comportement juste chelou aux yeux d’autres, fait son chemin. Pourtant, les deux réalisateurs ont conscience de la force quasi-inédite – du moins pour les spectateurs lambda – résidant dans les scènes de sexe homosexuelles non simulées sur le regard du spectateur néophyte.

Comment deux hommes font-ils l’amour ? Comment deux femmes font-elles l’amour ? C’est une question que l’on s’est parfois posée, et dont on n’a finalement que des soupçons de réponse à travers la pornographie gonzo, soupçons aussi approximatifs et malsains que ceux qu’apportent les scènes pornos hétéros dans la construction sexuelle d’un ado pubère. Habilement contextualiser, logiquement amener, sans choquer, comme une évidence, sans donner un aspect sinusoïdal ni putassier à l’œuvre, tel est le pari osé que prennent Guiraudie et Kéchiche en saupoudrant de cul leurs chef-d’œuvres.

Dans le traitement de ces scènes de sexe non simulé, les deux réalisateurs prennent pourtant deux chemins différents.

Guiraudie ne s’affranchit pas du côté pornographique : il use de gros plans pour filmer les éjaculations et autres fellations. C’est à des acteurs homos qu’il à affaire, la sauvagerie prend le pas sur la tendresse, qui revient et combat, le réalisme arbitrant tout ça. L’impro semble être de rigueur, et rien ne nous est caché, mieux, tout nous sera montré, en toute simplicité.

Kechiche, pour sa part, érotise ses corps d’actrices hétéros, dresse des tableaux peu réalistes, plutôt fantasmés, en tout cas extrêmement beaux. Il se fait peintre, esthète mettant en scène ce qu’il connaît du lesbianisme avec un respect et une grâce gigantesques. Les corps sont sublimés, l’acte est somptueux, rien n’est caché et, d’abord choqué, on finit ébahi. On lui reprocha, ces derniers jours, ce manque de réalisme dans ces scènes, on ne l’a pas bien compris, et lui-même avoue son incapacité à être ancré dans le réel lorsqu’il s’agit de sexualité féminine. En fin de film, un personnage masculin, galeriste, fait une longue et belle tirade sur l’obsession et l’incapacité qu’ont les artistes hommes à montrer, peindre, photographier le plaisir féminin. Comme un mea culpa du réalisateur…

S’il y a dans le filmage des scènes de cul de ces deux films deux démarches radicalement opposées, leur finalité s’avère être la même : montrer ce que d’ordinaire on ne montre pas, toucher un spectateur néophyte en la matière, faire du tabou un objet cinématographique.

Cannes 2013 aura, par le biais de ces deux films, marqué une nouvelle ère : l’homosexualité n’est plus filmée comme un prétexte – L’Inconnu du Lac est un sacré polar, tandis que La Vie d’Adèle est une géniale chronique de vie -, mais pas non plus expédiée le temps d’une scène. Car Guiraudie et Kechiche, là où d’autres se seraient cantonnés à une seule séquence plus ou moins explicite, normalisent encore la sexualité de leur héros en réitérant le process.

Ainsi, le spectateur choqué à l’issue de la première fellation, du premier cunnilingus, s’en verra offrir une seconde, puis une troisième, comme autant de chances d’acceptation, de banalisation. Aussi, les rires gênés et autres soupirs choqués fusant dans la salle cannoise à l’issue de la longue première séquence de cul de La Vie d’Adèle s’estompèrent un peu à la seconde, puis totalement à la troisième. L’épuisement des corps obsédant Kechiche dans tous ses films et particulièrement celui-ci, c’est non seulement celui de son héroïne, mais également ceux de ses spectateurs. Les scènes de cul se suivent, ne se ressemblent pas, mais se normalisent assez pour que l’œil devienne averti, et que le néophyte spectateur puisse se muer en habile esthète, en fin observateur, délesté de toute gêne.

L’effet est inattendu, on aura vu deux personnages faire l’amour, c’était beau, somme toute assez simple. On aura vu deux personnages s’aimer, inconditionnellement. On aura vu deux cinéastes, l’un homo, l’autre hétéro, les filmer, magistralement.

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