Ricky Bobby, roi du circuit : la farce « situ » d’Adam Mckay

Ricky Bobby, Cinématraque 1

On ne sait pas trop où va finir la carrière d’Adam McKay. Une remarque tout de même : Sa sincère préoccupation face aux dérives du capitalisme US et leurs effets économiques, politiques et écologiques sur la population grignotent progressivement la dynamique de son art (à écouter à ce sujet son podcast Death at the Wing, ndlr). On est tout à fait prêt à le rejoindre sur le constat d’une responsabilité criminelle de la bourgeoisie se mettant en scène à travers les médias dans la catastrophe climatique en cours. On comprend également sa stratégie de la farce qu’installe le cinéaste pour tenter d’alerter sur l’urgence de la situation. On n’a pas, cependant, été bouleversé par son dernier long métrage disponible sur Netflix.

Tout a basculé à la fin de The Other Guys et son manifeste anticapitaliste sous forme de générique. Avec The Big Short, film pivot dans sa carrière, le réalisateur utilise le pouvoir de fascination du spectacle hollywoodien pour synthétiser de façon la plus claire possible le fonctionnement frauduleux de la finance mondiale et son caractère psychopathe. Avec Vice et Don’t Look Up, la fragile volonté de l’artiste de subvertir la structure dans laquelle il évolue est parasité par la course à la performance des acteurs et un manque d’idées de mise en scène de la part d’Adam Mckay. Peut-être le cinéaste devrait-il revenir à la base de son travail et, surtout, renouer avec l’homme qui lui doit tout et auquel il doit beaucoup : Will Ferrell.

Ricky Bobby, Cinématraque 2

Les deux se sont rencontrés au sein du Saturday Night Live, émission cultissime ayant lancé bon nombre d’acteurs et d’actrices ainsi que des réalisateurs de la comédie étasunienne. Après quelques sketchs, ils se mettent à bûcher sur Anchorman : The Legend of Ron Burgundy, truculente comédie autour d’un présentateur vedette d’une obscure chaîne de télévision. Le succès du film leur permet notamment de monter leur chef-d’œuvre : Ricky Bobby, Roi du Circuit.

L’histoire de Ricky, c’est celle du rêve américain, celle d’un homme qui, malgré l’adversité, arrive à ses fins. Né dans une automobile, marquée à vie par un père absent, mais charismatique pour qui l’important est « si tu n’es pas le premier, tu es le dernier » Ricky veut aller vite. Une obsession bien dans l’air du temps qu’Adam Mckay rapproche sans baisser les yeux d’un besoin animal de sexualité. Si la voiture est présente au moment de l’accouchement, c’est là aussi que Ricky, à travers sa batte de base-ball, va découvrir son premier orgasme de la vitesse. Ce que cherche Adam Mckay dès le début du film est d’inscrire la vulgarité dans un cadre propre de la technicité hollywoodienne. Alors qu’avec Anchorman, lui et son double pensaient dynamiter le monde du journal télévisé avec un style proche des sketchs du Saturday Night Live ; ils s’attaquent avec Ricky Bobby au spectacle en général et voient les choses en grand. À travers les rallyes, ils ridiculisent autant l’american way of life qu’ils pervertissent l’imagerie hollywoodienne.

Ricky Bobby, Cinematraque 3

Will Ferrell fait ce qu’il fait de mieux, humaniser l’idiot du village en lui donnant de la chair du haut de ses 1,90 m. Il ne se limite plus au vedettariat local, il devient le roi du circuit de la course automobile US. Son adversaire à une envergure internationale : il est français (une des meilleures interprétations de Sacha Baron Cohen, qui évidemment n’est pas du tout français). Le producteur de Funny or Die Presents… se surpasse et joue des plans séquences d’Adam Mckay pour parfaire son génie comique. Il faut le voir pousser jusqu’au bout le rôle du jeune sportif faisant sa première expérience de la médiatisation du héros américain. Bien qu’il soit à l’aise devant un volant, il se montre maladroit face à une caméra. Il lui est difficile de comprendre comment doit-il positionner son corps et surtout ses mains qu’il contorsionne lorsqu’il s’adresse aux journalistes. Plus tard, suite à un accident spectaculaire, mais sans gravité, il se persuade qu’il est en feu et tente comme il peut d’éteindre des flammes imaginaires sous les yeux abasourdis de ses collègues de son écurie. Au véritable numéro de Will Ferrell qui tient ici un de ses meilleurs rôles, on découvre à ses côtés John C. Reilly qu’il retrouvera ensuite sur Step Brothers. Les deux interprètes débutent avec Ricky Bobby sur grand écran, ce qui fera la base de ce prochain film : une amitié virile et ambiguë, mais surtout très immature : une idiotie américaine. Autour de ces deux têtes d’affiche, Adam Mckay confronte des acteurs venant de familles du cinéma très opposées. Le corps massif du très sérieux Michael Clarke Duncan croise la tige bouffonne de Jack McBrayer.

S’il laisse ces acteurs improviser et leur offre régulièrement le temps du plan pour qu’ils puissent s’exprimer, Adam Mckay travaille de son côté son art. Là où il profitait avec Anchorman de son récit sans effet notable, il se retrouve avec Ricky Bobby à s’inscrire dans un genre populaire et trépidant : le film de bolides. Plébiscité par les figures de Steve McQueen (Le Mans de Lee H. Katzin, John Sturges) ou plus tard Tom Cruise (Jours de tonnerre de Tony Scott) et réinventé depuis par les sœurs Wachowski (Speed Racer), ce cinéma ne doit pas se contenter de capter des voitures faisant la course sur un circuit ; il doit faire ressentir au spectateur la puissance des machines, la dangerosité de ce sport et la vitesse des bagnoles. Si le talent de Will Ferrell se révèle dans le plan séquence, celui d’Adam Mckay est protéiforme. Les différentes courses poursuites n’ont rien à envier à un Tony Scott dans sa façon d’agencer les plans et les couleurs qui éclatent dans des vrombissements sauvages. Adam Mckay se sert, pour les éléments comiques, de son passif de gag man à la télévision pour y placer des lignes de dialogues drolissimes et des images furtives marquantes. Comme ce plan de Sacha Baron Cohen lisant Camus au volant de son véhicule.

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En plus de se révéler excellent dans l’action, Adam Mckay profite de son film pour s’interroger sur le rôle de l’automobile au sein de la société étasunienne. Comment est-elle devenue un des ciments des États-Unis ? Comment en 2006 peut-on encore se construire à partir d’un tel amas de tôle ? S’il ne dénonce en aucun cas l’importance qu’a prise cet engin, il s’en amuse beaucoup. Évidemment, tous les personnages poursuivent, à travers la bagnole, ce qu’ils n’arrivent pas à atteindre via le sexe. Si le patron de l’écurie utilise son parc de bolides pour exprimer sa puissance, sa fiancée qui noie sa solitude dans l’alcool ne semble pas être comblée par son compagnon. Ce qu’elle cherche dans les rallyes, c’est la façon dont ces amas de ferrailles parviennent à la faire vibrer au plus profond d’elle-même. Si Adam Mckay met en scène un des plus violents slogans patriarcale des années 90 « si vous avez la voiture, vous aurez la femme », c’est plus pour montrer que Ricky se trompe. Le personnage s’abandonne à l’air du temps, mais il trouvera le bonheur auprès d’une véritable passionnée de l’automobile (Amy Adams) et acceptera que son ex, starlette des pistes, tombe dans les bras de son meilleur camarade. Pour lui, la bagnole ne doit plus être aussi centrale aux USA, et le parcours de son héros parle pour lui : c’est bien plus l’amitié et la famille qui doivent être le ciment de la société. Un message évidemment loin d’être subversif, mais qui est bien moins nocif que le travail du marketing qui est bien à la base de la fascination qu’exerce la machine sur l’homo capitalisticus. Un matraquage que le cinéaste tourne en ridicule, tout en bénéficiant de ces largesses. Un peu comme Wayne’s World de Penelope Spheeris ou Fight Club de David Fincher, les inserts promotionnels sont dénoncés autant qu’ils participent aux financements du film. Qui se joue de qui ? Difficile à dire.

Toujours est-il qu’Adam Mckay avec intelligence, interroge alors l’obsession des Étasuniens pour l’automobile, mais également celui du public pour le spectacle et sa dimension publicitaire. Si les sportifs et leurs bagnoles sont autant de moyens pour les labels de s’imposer, c’est parce qu’elles savent que cela fonctionne sur les spectateurs. Le spectacle d’un rallye, télévisuel ou cinématographique, participe d’une propagande, d’une vision capitaliste de la société. On verra ainsi nos héros en famille loin du cadre professionnel se retrouver entouré de marques alimentaires pour les repas. Il n’y a donc pas seulement la voiture qui est envahissante, les grandes compagnies de l’agrobusiness aussi. Lorsque les multinationales utilisent des stars pour infliger leur message publicitaire, elles se basent sur un principe ravageur de l’argument d’autorité. Si une personne avec un certain pouvoir déclare « Just do It», alors il faut le faire. Il ne faut pas voir autrement la citation faussement attribuée à Théodore Roosevelt en ouverture de Ricky Bobby, roi du circuit « L’Amérique est une histoire de vitesse, une vitesse terrible. Une vitesse dangereuse et impitoyable ». Elle dit à elle seule ce qu’est le film. C’est une farce paradoxalement grave qui use du spectacle pour en dénoncer les travers : dès l’instant que c’est écrit ou réalisé, joué par un individu important, il est primordial d’en douter. Une citation peut être fausse, une comédie peut se révéler très sérieuse, et il faut donc toujours prendre le temps du recul, se méfier de la vitesse, et de notre première impression.

C’est ce qui fait de Ricky Bobby, Roi du circuit, la plus grande réussite d’Adam Mckay. Il arrive bien mieux que ces autres films à jongler entre la plaisanterie terriblement régressive et la subtilité de son regard sur le monde. Ce qu’on regrette aujourd’hui, c’est la tendance qu’emprunte dorénavant son cinéma de moins en moins délicat et, forcément, de moins en moins drôle.

Ricky Bobby, roi du circuit d’Adam McKay avec Will Ferrell, John C. Reilly, Sacha Baron Cohen, Gary Cole, Michael Clarke Duncan, Amy Adams. Actuellement sur Ciné +

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