Charlie mon héros : le chef d’oeuvre punk de Don Bluth

Don Bluth est un des grands rebelles du cinéma d’animation. Jamais à l’aise quand il bossait chez Disney, il a toujours été en quête d’indépendance pour monter ses propres projets avec ses camarades Gary Goldman et John Pomeroy. Plus libre de ses mouvements en passant chez Dreamworks avec les deux immenses succès Fievel et Le petit dinosaure, mais se sentant toujours trop enchaîné par les contraintes (Spielberg était très impliqué dans les projets notamment), il finit par monter sa propre structure en Irlande. Que va-t-il faire maintenant qu’il est complètement libre ?

Il va PETER UN CÂBLE. Complètement. All Dogs Go to Heaven, Charlie mon héros en français raconte l’aventure d’un chien mafieux (oui) qui s’enfuit de prison avant d’être assassiné par son ancien associé Carface (oui), qui refuse de partager les gains de leur casino avec Charlie. Notre héros se retrouve au paradis mais s’enfuit avec la montre qui représente sa vie et revient sur Terre, étant ainsi condamné à ne jamais retourner au septième ciel… Donc à finir aux enfers (oui oui). Revenu parmi les vivants, Charlie accompagné de son ami Gratouille enlève une enfant orpheline qui était prisonnière de Carface, et exploite ses talents (elle peut parler aux animaux) pour tricher aux courses d’animaux… Le tout en faisant des cauchemars de son futur, condamné au futur des enfers.

Vous savez comment les gosses des années 90 ont découvert l’existence de la mort ? Avec la mère de Bambi, avec Mufasa ? NON ! AVEC CHARLIE ! Personnellement, j’ai passé mon enfance à répéter la phrase entendue par le chien quand il est chassé du paradis à jamais : « Charlie… Tu ne pourras jamais revenir… » Don Bluth a une philosophie de vie très simple : il faut traumatiser les enfants. Dans Fievel, dans Le Petit Dinosaure comme dans Charlie, tout n’est qu’horreur et drames… Jusqu’à une résolution heureuse. Tant que ça finit bien, ça passe, tel était son mot d’ordre.

Petite madeleine de Proust. Et après on se demande pourquoi je suis devenu fan de cinéma d’horreur

Rien que le résumé est fou, mais ça n’est rien en comparaison à sa mise en place. Déjà d’un point de vue sonore, puisque le duo principal est interprété en V.O par Burt Reynolds et Dom DeLouise, qui ont apparemment été encouragé à improviser beaucoup autour de leurs répliques. L’actrice qui interprète la gamine est vraiment super aussi, et la chanson de générique lui est dédiée puisqu’elle est décédée avant la sortie… Une histoire sordide bien connue des fans de cinéma d’animation, Judith Barsi a été assassinée par son père.

Mais c’est surtout par l’animation que Charlie mon héros se démarque. Libéré des contraintes de chez Disney, à la fois en terme de fabrication (il faut toujours se demander « comment aurait fait Walt ? ») et en termes de marketing (« comment va-t-on vendre un maximum de produits dérivés ? »), Don Bluth peut se concentrer sur ce qui l’intéresse : inventer. Utiliser l’animation pour mélanger les styles, les techniques, manipuler le cadre et les angles, tordre le réel. Il désarçonne, surprend, choque, bref : il fait du cinéma.

Aux yeux d’un adulte, le tout est terriblement incohérent. Les humains sont animés en rotoscopie, avec une certaine rigidité, tandis que les animaux sont fait de traits extrêmement bondissants et fluides. Les décors de la Nouvelle-Orléans, pluvieuse et poisseuse, donnent à cet univers un aspect mystique et inquiétant, tandis que les casinos tirent le film vers le grotesque et le slapstick. Enfin, toutes les visions des enfers sont dignes des plus grands moments épiques d’un Elden Ring. Ajoutez à cela un scénario à la structure totalement contre-intuitive, et l’on comprend aisément comment la critique à l’époque de la sortie du film – en même temps hélas pour lui que La Petite Sirène – est passée à côté du délire.

Et pourtant… Tous les enfants qui ont grandi avec Charlie mon héros en ont des souvenirs extrêmement marquants, au point d’y être attaché à un point totalement irrationnel. C’est bien la preuve que nos esprits, avant d’être formatés par l’éducation et l’omniprésence des oeuvres plus calibrés, sont éminemment réceptifs aux élans de libertés. Rien n’est parfait dans le film, mais tout y est habité, incarné. C’est une vraie œuvre d’art provocatrice et osé, qui a ouvert les yeux à tant d’enfants à sa sortie, qu’elle ne doit surtout pas tomber dans l’oubli.

Une des séquences les plus mignonnes du film, avec tout plein de bébous chiots qui jouent avec de la pizza rendu quasiment liquide par l’animation.

Une des raisons qui explique aussi son succès auprès des plus jeunes, c’est l’intelligence folle du propos sur la morale plus ou moins chrétienne de l’histoire. En effet, Charlie est amené à passer d’un égoïste mafieux à un chien au grand cœur qui voudra rendre une petite orpheline heureuse… Mais le scénario s’interroge directement sur ce qui motive les bonnes actions. Pour faire simple : si l’on fait un acte charitable avec des intentions malsaines, est-ce que l’on réalise réellement une bonne action ? On trouve toute une réflexion sur Robin des Bois au sein du film, et sur l’importance des actes désintéressés… Une leçon essentielle qui ne peut fonctionner que si on a un personnage principal immoral. Ce qui n’arrive presque jamais dans du cinéma destiné aux enfants !

Sa sortie remasterisée est donc l’occasion parfaite pour vous procurer le DVD ou le Blu-ray qui sort le 6 juillet de cette année. Par ailleurs les bonus sont particulièrement alléchants, puisqu’en plus d’une très belle présentation sur le film et sa génèse, vous trouverez un documentaire de 45 minutes réalisé au sein du studio irlandais de Don Bluth. Inestimable, comme le film.

Charlie mon héros, un film de Don Bluth et Gary Goldman. Une édition vidéo chez Rimini Editions.

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