Cecil B. Demented : le cinéma est mort, John Waters te mord

Alors que la grande star Honey Whitlock est en visite à Baltimore pour une première de son nouveau film, un réalisateur fou et son équipe organisent un enlèvement. Cet homme, c’est Cecil B. Demented (Stephen Dorff), et il veut la forcer à faire un film hors système, en dézinguant tout ce qui bouge à Hollywood. Son équipe ? Des habitués des circuits du cinéma X, mais tous adorateurs des hors-la-loi du septième art, et qui se forcent pour réussir à faire un grand film à ne pas baiser ou même se masturber durant toute la durée du tournage de leur chef d’œuvre. « We’re horny, but our film comes first! ». En leur compagnie, Honey Whitlock va-t-elle se transformer et adhérer à la cause du « sinema » mot-valise associant le septième art au péché ?

Référence évidente au grand cinéaste Cecil B. Demille, le « Demented » qui donne son titre au film serait tiré d’une critique reçue par le réalisateur John Waters au début de sa carrière. Connu, apprécié ou détesté pour son cinéma unique en son genre (et toujours queer justement, pour parler de genre), Waters a circulé à la fois autour et au sein des studios, choquant toute une génération avec son Pink Flamingos, et inspirant toute une génération avec son Hairspray, qui sera ensuite adapté en comédie musicale.

En l’an 2000, John Waters n’a plus grand chose à prouver avec son cinéma, si ce n’est que peu d’autres que lui peuvent comprendre avec assez de distance et de connaissance le cynisme des grands studios hollywoodiens : il signe donc une satire cinglante qui, lors de sa sortie, n’a pas franchement convaincu. La majorité de la critique a trouvé Cecil B. Demented grotesque, grossier et peu subtil. Le problème, c’est que tout ceci est vrai… Mais c’est ce qui en fait un bon film.

Il faut déjà comprendre que la croisade anti-Hollywood de John Waters a mieux vieilli qu’un bon vin. Lorsque le film sort, les franchises du cinéma blockbuster ne sont pas aussi tentaculaires et envahissantes qu’aujourd’hui, et si le réalisateur a déjà l’impression de connaître un enfer où la cohabitation entre propositions artistiques affranchies et productions calibrées et contrôlées au poil de cul est impossible, il était loin d’imaginer la situation deux décennies plus tard. Certaines blagues du film, comme la prolifération des Star Wars et autres qui viennent envahir les écrans, sont devenus réalité dans notre époque plus que jamais post-satire.

Pour cette raison, il y a quelque chose de résolument jouissif pour le spectateur d’aujourd’hui dans les aventures de la bande à Demented, qui s’infiltrent sur des plateaux de tournages et piratent la production de Forrest Gump 2 ou s’en prennent aux dames en tenues conservatrices qui font du cinéma « familial » (un « gros mot pour ne pas dire censure » selon les héros). On constate que les choses n’ont pas vieilli, que les ennemis restent toujours les mêmes.

De plus, il est difficile de ne pas apprécier la véritable camaraderie que John Waters met en scène dans les marges de la capitale du cinéma occidental : lorsque les héros sont poursuivis par la police et Hollywood pour leurs crimes, ils se réfugient dans des salles obscures et se font aider par les autres cinéphiles de l’extrême : les fans de films d’action asiatique et les fans de porno. La vérité est exprimée très simplement dans la mise en scène ici, puisque les cinéphiles – et les gentils – habitent les cinémas tandis que les exécutifs hollywoodiens ne vivent que dans des bureaux… L’un d’eux avoue même sous le menace d’une arme qu’il ne va jamais au cinéma, et honnêtement : on le croit.

Alors oui, c’est grossier. C’est très drôle quand même. Et surtout, c’est une véritable célébration de l’esprit collaboratif de la création artistique. Une ode aux bouts de ficelles et au cœur, à l’art guerilla, bref tout ce qu’on aime pour de vrai : le cinéma qui a des tripes.

Cecil B. Demented, un film de John Waters. Sorti en 2000 et disponible sur Ciné +. Avec une musique de Basil Poledouris et de sa fille Zoë, mais j’ai pas trouvé d’infos assez précises sur tout ça donc je suis preneur s’il y a des fans par ici. Avec aussi Maggie Gyllenhaal dans le rôle de la maquilleuse. Et Michael Shannon dans un rôle terriblement pas hétéro.

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