Leila et ses frères : Affreux, sales et méchants

Cinéaste émergent de la glorieuse histoire du cinéma iranien, le jeune Saeed Roustaee connaît un début de carrière fulgurant qui en fait déjà une coqueluche des festivals du monde entier. Après Life in a Day en 2016, Roustaee s’est fait un nom auprès d’un plus large public avec le thriller La loi de Téhéran, acclamé au festival de Venise, nommé au César du meilleur film étranger et petit success story au box office de l’été 2021, toutes proportions gardées. C’est donc évidemment avec beaucoup d’impatience que le troisième long-métrage du cinéaste, Leila’s Brothers (Leila et ses frères en VF), était attendu pour ses débuts dans la Compétition officielle cannoise, particulièrement au cœur d’une édition un peu compliquée en termes de surprises excitantes.

Leila (Taraneh Alidoosti, héroïne notamment du Client d’Asghar Farhadi) a quatre frères, et s’est dévouée toute sa vie à sa famille, notamment à ses parents. Alors que l’Iran est secouée par une crise économique sous fond de tension avec les Etats-Unis, la famille de Leila se retrouve endettée jusqu’au cou, notamment du fait des magouilles des garçons de la famille, pas toujours dégourdis. Pour sortir de l’impasse, Leila tombe cependant sur la bonne affaire censée remettre tout le monde à flot : investir dans une petite boutique en construction dans un centre commercial fréquenté pour lancer une affaire familiale à succès. Pour financer le projet, elle compte sur les économies de son père Esmail (Saeed Poursamimi), issus de la vente notamment de pièces d’or très recherchées. Sauf qu’Esmail a une autre idée en tête : faire une grosse donation en cadeau pour le mariage d’un cousin de la famille, afin de devenir le patriarche du clan, la distinction familiale la plus prestigieuse de la société iranienne.

Si Leila’s Brothers se présente comme un drame familial sous fond de crise économique, son ton est loin d’être auquel on peut s’attendre. Car dans la famille de Leila tout le monde est un peu veule, lâche, idiot, parfois tout à la fois, mais surtout tout le monde a une grande gueule et n’hésite jamais à l’ouvrir. Le film de Saeed Roustaee est un long tunnel d’engueulades solidement tassé à 2h45 où les insultes pleuvent et les combines se trament en permanence dans un déluge langagier volontairement assommant. Si cette famille de pieds nickelés sur la paille a l’apparence de personnages sortis de la comédie italienne à la Ettore Scola, leur goût pour les trahisons, les manœuvres en douce et l’emprise psychologique entraîne le film sur la route d’un Succession version iranienne où les femmes fortes sont écrasées par un système patriarcal promouvant la médiocrité, le mensonge, la corruption.

Ce joyeux jeu de massacre s’incarne dans des scènes parfois homériques, au débit de mitraillettes et ne refusant jamais le mauvais goût, à l’image de l’apogée du film, une séquence de mariage prétexte à toutes les trahisons et tous les comportements les plus médiocres qui soient. Film d’excès, Leila’s Brothers n’est cela dit pas le film le plus aimable du monde : l’étirement des séquences d’engueulades et leur répétition peut rendre l’ensemble roboratif, et sa densité lui joue parfois des tours notamment dans une première heure qui s’étire parfois inutilement. Mais le jeu de massacre entre ces personnages d’une rare médiocrité qui se tirent tous vers le bas dépeignent un tableau méchant et mordant des travers de la société iranienne.

La facture est un peu légère sur la forme, mais l’énergie des comédiens est telle (pourquoi pas envisager un prix d’interprétation masculine collectif pour cet aréopage d’hommes médiocres?) qu’elle nous entraîne en plein milieu de la tempête. Ce n’est pas toujours très sérieux ni très aimable mais il se dégage de ce barnum la sensation d’une maîtrise d’écriture et de peinture de caractères assez bluffante, qui détone dans une sélection où la mollesse aura trop souvent été de mise. Dans un palmarès qui s’annonce plus imprévisible que jamais, le film de Saeed Rousatee ne manque pas de défauts, mais ne manque surtout pas de charme. Ce qui pourrait largement suffire pour lui permettre ce samedi de réaliser le casse du siècle.

Leila’s Brothers de Saeed Roustaee avec Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Pamyan Maadi…, sortie en salles prévue le 24 août.

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