Novembre : net et sans bavure (ni cinéma)

C’était l’un des événements de la quinzaine cannoise : la présentation hors-compétition de Novembre, le nouveau film de Cédric Jimenez, un an après la sortie du très controversé Bac Nord (relisez l’article que nous écrivions à l’époque).

Sacré sujet que celui ici traité par le réalisateur de La French, puisqu’il s’agit cette fois de mettre en images l’enquête ayant suivi les attentats du 13 novembre 2015, la traque des terroristes. Forcément, face à un tel projet, de nombreuses questions sur le papier se posent : qu’y a-t-il à raconter que l’on ne sache déjà ? Le cinéma pourra-t-il vraiment s’immiscer dans des images encore si fraîches dans nos esprits ? 

Panorama exhaustif se voulant réaliste

La limite principale du film réside dans son positionnement, son choix d’angle. Car ce que souhaite faire Jimenez, c’est tout miser sur le réalisme, quitte à en faire son angle, son sujet, et aussi sa marque de fabrique. Il ne s’agira donc pas de se focaliser sur un arc narratif plutôt qu’un autre (pourtant, celui autour du mystérieux personnage de l’indic, joué par la toujours excellente Lyna Khoudri, pourrait donner lieu à un vrai film de cinéma), un policier plus qu’un autre (on ne les voit pas ailleurs qu’au boulot), une traque plutôt qu’une autre… non, Novembre, c’est une sorte de panorama exhaustif se souhaitant réaliste, donc, du jour des attentats à la fin de la traque des terroristes. 

De fausse piste en interrogatoires, on sent bien la volonté de travailler sur un matériau précis, à partir probablement de procès verbaux, de récits de protagonistes, d’archives de journaux télé… méticuleusement, comprend-on, avec un souci du détail certain ; l’idée, c’est de combler les ultimes vides d’images qu’ont laissé les chaînes d’information en continu, sans apporter aucun imaginaire. De répondre preuves à l’appui aux ultimes éventuelles questions, mais surtout de n’en poser aucune nouvelle. De clore un storytelling que les chaînes d’information en continu ont débuté ce soir-là.

Car cette soirée de novembre 2015 a marqué un tournant dans notre consommation de l’information : lesdites chaînes ont battu leurs records d’audiences, puisque la majeure partie d’entre nous se sont retrouvés plusieurs jours les yeux scotchés sur leur écran de télévision, cois, à la recherche de l’image exclusive supplémentaire.

Et la télévision d’alors se battre à qui aurait le plus rapidement cette image, la plus nette possible, l’info la plus costaude, la confidence la mieux informée. Faisant de nous tous des spécialistes, non pas du sujet du terrorisme, mais de l’information de ces attentats-ci. Nous étions au fait du moindre assaut, de la moindre interpellation, sans plus vraiment prendre (ni avoir) le temps de se questionner sur les causes, sur les mécanismes qui ont engendré de tels actes. Submergés, car effrayés, par un flux d’images et de scoops chauds auquel doucement et pernicieusement nous devenions addicts.

Aucune place au cinéma

C’est cette même addiction que nourrit Cédric Jimenez. Il s’agit donc de suivre au plus près l’enquête dont on connaît déjà les rouages, mais cette fois-ci comme si c’était pour de vrai. Aucune place pour déployer plans de cinéma, numéros d’acteur ou mise en scène. Le sujet est trop fort, rien ne peut dépasser.

Et le positionnement du film de, sinon agacer, au moins questionner. Car si les chaînes d’information en continu ont trouvé (notamment ce soir-là) dans cette course à l’image un moyen de choper de l’audimat, ce fut aussi une étape forte dans la perte de confiance progressive des citoyens pour les journalistes, pour le matériau journalistique. Le journaliste y devint doucement dans l’imaginaire collectif celui qui montre avant les autres, sans recul, sans analyse… ou sinon à chaud, via des commentaires émis par des gens capables de réagir rapidement sur n’importe quel sujet (d’aucuns les appellent éditorialistes).

Avec son nouveau film, c’est un peu comme si Cédric Jimenez entrouvrait cette même porte : à l’instar de la nécessaire analyse « froide » et nuancée qui s’était effacée face au « chaud » sur les chaînes d’info en continu en novembre 2015, c’est ici le cinéma qui semble comme s’effacer face au souhait coûte que coûte d’être complet. Un film Wikipédia, en somme. Rien qui ne dépasse, la « réalité » comme quête… et la question d’alors logiquement se poser : mec, pourquoi tu n’as pas fait un documentaire ou un reportage ?

Le spectateur ressort de cet exposé illustré tout ballonné. Mais même s’il a su (car vu) encore plus de choses à propos de ce moment terrible dont il pensait pourtant connaître le moindre détail, il n’en a pas pour autant compris grand-chose de plus.

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