A decision to leave : arrête-moi si tu me veux

Park Chan-wook était attendu au tournant pour relever le niveau d’une sélection cannoise décevante pour le moment. Après le culte Oldboy et le somptueux Mademoiselle, le voici donc de retour avec A decision to leave, polar hitchcockien au rythme endiablé sur la relation entre un policier et la suspecte d’un crime.

Hae-jun (Park Hae-il) est un super policier. Avec son côté méticuleux, ses habilités pour la bagarre, et son don pour résoudre les crimes, il pourrait faire penser à un élégant Sherlock Holmes nippon. Mais voilà que son monde bascule quand son enquête le mène à suspecter Seo-rae (Tang Wei, impeccable dans son ambiguïté), l’énigmatique femme du riche mari retrouvé mort. Hae-jun comme tout bon policier épie sa proie, jumelles en main, tapi dans l’ombre. Mais Park Chan-wook renverse immédiatement la situation et c’est le guetteur qui finit capturé. En effet, les jumelles ne sont pas un simple instrument de voyeur, comme le cinéma a toujours aimé les représenter. Dans A decision to leave, elles deviennent machine de téléportation et par la magie de la mise en scène, voilà l’observateur infiltré dans l’appartement de l’observée. Et l’on comprend qu’en s’immisçant ainsi dans la vie intime de cette jeune femme, le détective a déjà franchi le Rubicon. Le voilà conquis.

C’est une exemple parmi mille autres des audaces que prend Park Chan-wook avec sa caméra dans A decision to leave. Tout semble fait pour rendre le film le plus fluide possible et c’est un véritable régal de regarder chaque mouvement de caméra, chaque changement de plan, chaque nouvelle idée de virtuose que nous propose le réalisateur coréen. Une course poursuite à pieds, somme toute banale, donne lieu à une succession de jeux de caméras qui la rende palpitante et ridicule dans le même temps. A peine a-t-on le temps de digérer une audace formelle qu’une autre la chasse et nous laisse pantois sur notre siège à savourer la talent d’un cinéaste sûr de lui.

Interrogatoire ou premier date ?

Toute cette maestria de cinéaste est au service d’une intrigue qui nécessitait ce dynamisme bouillonnant. La première partie du film ressemble en effet à une histoire policière des plus banales qui aurait pu faire un bon épisode de Columbo (et on adore Columbo). On se prend à se demander pourquoi Park Chan-wook met autant d’énergie pour mettre en scène avec une telle sophistication un simple whodunnit. Heureusement, le film laisse progressivement paraître son vrai sujet : la passion amoureuse et jusqu’où deux êtres qui se sont trouvés sont prêts à aller pour se retrouver. On comprend alors que toute la structure alambiquée du scénario sert à mieux interroger et réinterroger ce lien si spécial qui unit les deux amants. La flamboyance de la mise en scène et du montage est au diapason de ce que ressentent Hae-jun et Seo-rae emportés à la fois par leurs sentiments et par la situation inextricable dans laquelle ils sont piégés. Il est impossible de ne pas s’attarder sur le montage du film qui fait l’objet d’un soin tout particulier. Les transitions semblent toutes pensées dans le moindre détail, parfois drôles, parfois belles, parfois narratives, elles sont toutes visiblement travaillées pour accentuer l’impression de course folle que prodigue le film en permanence.

Cette virtuosité est un régal de chaque instant. Mais elle ne fait pas oublier que le film reste ralenti par l’aspect volontairement classique de son sujet. On ne retrouve pas l’inventivité et la richesse des précédents long-métrages de Park chan-wook. Cela explique que passé l’effet de surprise, la deuxième partie du film semble parfois prendre des virages de trop et aurait sûrement mérité un peu plus de simplicité.

Park Chan-wook s’est donc amusé à redynamiser un genre très balisé. Même s’il reste un peu limité par son propre sujet, ne boudons pas notre plaisir, A decision to leave est extrêmement ludique et un plaisir permanent pour les yeux. Sûrement pas le meilleur film de son réalisateur mais l’un des meilleurs films de cette petite sélection cannoise.

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