Retour à Séoul : Trois souvenirs de ma naissance

La Semaine de la Critique de l’édition 2016 nous avait permis de découvrir le premier long-métrage de fiction du franco-cambodgien Davy Chou, Diamond Island, histoire d’un adolescent cambodgien quittant son village natal pour s’installer à Phnom Penh sur le chantier d’un immense complexe immobilier. Récompensé par le prix SACD de la sélection, ce très beau long-métrage avait fait découvrir la patte d’un cinéaste humaniste au style déjà très affirmé, dont on attendait, comme une bonne partie de la critique française, l’épanouissement futur. Six ans plus tard, Chou monte en gamme et intègre la sélection Un certain regard, antichambre de la Compétition officielle, avec Retour à Séoul.

Inspiré par l’histoire d’une connaissance du réalisateur, Retour à Séoul (qui devrait plutôt employer le pluriel) évoque les différents séjours en Corée du Sud de Frédérique alias Freddie, une jeune Française d’adoption de 25 ans, qui repart sur les traces de ses parents biologiques. Elle qui n’avait jamais mis les pieds dans le pays où elle est née, dont elle ne comprend ni la langue ni la culture, va se retrouver confrontée à cette dissociation identitaire qui sommeille en elle, et ne va faire que fragiliser encore davantage l’édifice déjà précaire sur laquelle elle a construit sa vie. En trois grands temps, entre 2012 et 2020, Freddie va vivre trois moments à Séoul, à trois épisodes radicalement différents de sa vie, qui vont remettre en question une grande partie de son existence.

Pour incarner Freddie, Davy Chou s’est tournée vers Park Ji-Min (rien à voir avec le membre des BTS contrairement à ce que Google veut me faire croire), artiste plasticienne née en Corée du Sud et elle-même arrivée en France à un jeune âge. Retour à Séoul est autant son film que celui de Davy Chou tant la néo-actrice irradie chaque plan du film, insufflant son énergie frondeuse à un personnage pas très aimable, complètement fucked up, qui navigue dans son chaos identitaire comme une supernova toujours sur le point de s’autodétruire. Ce malaise perpétuel en elle, c’est aussi celui de sa rencontre avec la société patriarcale coréenne, et le refus d’avoir de quelconques attaches quelque part.

« Je te préviens, cet endroit est toxique pour moi », dit-elle un moment à l’un des hommes qui traversent fugacement sa vie au cours de sa vie. La toxicité, c’est le concept au cœur de Retour à Séoul : toxicité envers les autres, mais aussi envers soi-même, pour mieux remplir le vide de ne pas savoir où sont véritablement ses racines. De toxicité, il est également question lorsque Freddie retrouve son père, modeste pêcheur et électricien (incarné par Oh Kwang-Rok, second rôle régulier du cinéma coréen), qui noie dans l’alcool ses regrets d’avoir dû abandonner sa fille pour un monde meilleur.

Au cœur de Retour à Séoul, il y a l’expérience douloureuse du retour aux origines quand celui-ci ne se passe pas comme prévu, que chacun bute sur l’incommunicabilité, et sur ses propres fêlures intimes. Mais le film de Davy Chou n’est pas que le film de son sujet, c’est aussi un portrait de femme puissant qui ne s’égare jamais dans le laïus psychologisant mais lui préfère l’action et la parole abrasives. Même lorsqu’il cède aux sirènes du petit caprice préféré du cinéma français (on ne se refait pas), à savoir la scène de danse à mi-film comme pause dans le récit et état des lieux mental de son protagoniste, Retour à Séoul va chercher l’énergie folle de la boule de matière noire qu’est Freddie.

Tour à tour poignant et euphorisant, Retour à Séoul sait prendre son temps pour nous permettre d’apprivoiser son héroïne revêche, et offre en récompense au spectateur un film captivant dans sa radiographie de l’intime et son portrait d’une identité contrariée et sous tension permanente. Chaudement accueilli lors de sa présentation en Debussy, déjà acquis pour l’international par MUBI et Sony (sous un titre magnifique, All the people I’ll never be), le long-métrage est promis à une place au palmarès de la compétition Un Certain Regard et s’impose comme le manifeste d’un cinéaste qui devrait très bientôt faire son chemin jusque dans la cour des grands de la Croisette, la Compétition officielle.

Retour à Séoul de Davy Chou avec Park Ji-Min, Oh Kwang-Rok, Guka Han…, date de sortie en salles encore inconnue

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