Les Nuits de Mashhad : polar loupé sur des féminicides

On attendait beaucoup du troisième long-métrage du réalisateur danois d’origine iranienne, Ali Abbasi. D’abord parce qu’il fait partie des nouveaux venus dans cette sélection, mais aussi parce que son précédent film, Border, a connu un petit succès d’estime qui semble confirmé par sa sélection cannoise.

Pour Les Nuits de Mashhad, Abbasi s’inspire de faits réels s’étant déroulé en Iran : une série de meurtres visant les travailleuses du sexe. Le film ne s’articule pas autour d’un mystère autour de l’identité du tueur qui est présenté rapidement. C’est un père de famille qui prétend lutter contre la corruption du pays tout en prenant un plaisir non dissimulé à assassiner ses victimes. En parallèle de ces crimes, une jeune journaliste indépendante et au caractère affirmé mène l’enquête. Toute la première partie du film va donc suivre ces deux arcs narratifs qu’on a déjà vus, au bas mot, un bon millier de fois au cinéma. Et la mise en scène d’Abbasi ne justifie jamais de devoir les revoir une 1001ème fois. Si la partie de la journaliste s’en sort bien en étant juste insipide et clichée, la partie suivant le serial-killer pose de vrais problèmes dans la représentation de la violence. Les meurtres sont filmés plusieurs fois, sans réel recul du réalisateur. Un des assassinats frôle même avec l’humour tout en s’inscrivant dans le même dispositif scénique que les précédents. Le film qui était jusque là fade, ajoute alors de l’indécence à ses choix de narration. Une scène de sexe, d’une lourdeur confondante, entre le tueur et sa femme, finit de nous convaincre qu’Ali Abassi se complait dans ce qu’il entend dénoncer et que la représentation des féminicides au cinéma en 2022 mérite beaucoup mieux.

Heureusement la deuxième partie du film s’écarte de ce chemin pour proposer une réflexion plus générale sur la société iranienne et le rapport de la justice et de la religion. Le film prend alors un peu la forme d’une fable morale qui peut rappeler légèrement le cinéma de Farhadi. Bon, attention ce n’est pas réussi non plus. Mais ça a le mérite de proposer des pistes de réflexion intéressantes sur l’origine du désir de meurtre, sur l’hypocrisie des officiels religieux, sur l’aspect théâtral de la justice et sur la place du peuple dans les affaires juridiques médiatisées. Hélas, de toutes ces bonnes questions Ali Abbasi n’arrive pas à faire un bon film. Le scénario semble se disperser sans jamais retrouver de véritable trajectoire et nous laisse perplexe. Il manque un regard, un point de vue à cette partie du film pour que celle-ci puisse réellement exister. Au lieu de ça, les événements se succèdent sans réelle cohérence et tout semble très artificiel. La toute dernière scène, qui a un potentiel de puissance indéniable, tombe alors comme un cheveu sur la soupe et nous laisse penser qu’Ali Abbasi est vraiment passé à côté de son sujet avec Les Nuits de Mashhad.

Le fait que le film soit tiré de faits réels explique peut-être que le réalisateur ait eu du mal à se positionner par rapport à son sujet. Maladroit, insipide, parfois indécent, Les Nuits de Mashhad est pour l’instant le pire film de la compétition et, on espère qu’il ne s’agisse juste que d’un faux-pas dans la filmographie d’Ali Abbasi.

Les Nuits de Mashhad, un film d’Ali Abbasi avec Zahra Amir Ebrahimi et Mehdi Bajestani

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