Armageddon Time : Gray’s Anatomy

Après nous avoir emmenés dans l’espace avec Ad Astra, James Gray revient sur Terre, et plus précisément dans le Queens des années 80 pour nous conter son enfance. A la manière du Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson sorti en début d’année, Armageddon Time se présente comme le retour d’un réalisateur de renom sur l’Amérique de ses jeunes années.  Peu de choses relient pourtant ces deux œuvres à l’approche radicalement différente. Là où PTA rendait la folie des années 80 par son couple d’amoureux hyperactifs, James Gray nous dépeint un enfant perdu dans un monde qui semble à la fois trop petit et trop grand pour lui.

Armageddon Time désarçonne parfois par sa simplicité. Paul Graff, le James Gray de fiction, découvre les hauts et bas de la vie de collège. Dans l’univers juif new-yorkais à la fois privilégié et conscient du traitement réservé aux minorités dans le pays où « tout est possible », le jeune garçon se heurte aux rigidités des règles absurdes décidées par les grands et intériorisées par les enfants.  L’Amérique de Trump est déjà là, alors que Reagan est aux portes du pouvoir. La famille du 45ème président des Etats-Unis est même représentée dans le film, via un caméo surprise de Jessica Chastain. Et James Gray insiste sur la force irrésistible des rapports de domination entre ceux qui ont la chance d’être destinés à l’élite et tous les autres. La différence de destin entre les deux écoliers turbulents dont l’un a le malheur d’être noir illustre notamment la mécanique implacable du racisme systémique, bien compris par les enfants. Le constat de Gray est limpide et la simplicité du long-métrage rend d’autant plus dure la cruauté du monde qu’il dépeint.

J’ai pas vu Succession donc je ne peux pas faire de bonnes blagues

Le rayon de soleil du film est le grand-père de Paul, parfaitement incarné par Anthony Hopkins. Seul adulte qui parle la même langue que ce gamin paumé, il lui inculque son passé et apaise son présent dans de tendres moments de partage, les plus beaux du film. On pourrait même penser que Armageddon Time est avant tout cela : une lettre d’amour et de remerciements de James Gray à son grand-père. La relation du petit avec ses parents est beaucoup plus compliquée. Cela donne de beaux personnages à jouer pour Anne Hathaway mais surtout pour Jérémy Strong saisissant dans le rôle de ce père, figure trouble et ambigu.

C’est donc un grand film ? Eh bien, non, pas vraiment. Il manque un je ne sais quoi à ce Armageddon Time. Est-ce son côté un peu didactique ? Des dialogues qui paraissent parfois un peu légers ? L’impression que le film survole beaucoup de sujets, sans s’y confronter vraiment ? La tonalité volontairement mineure de la narration alors qu’on s’attendait à sa grande œuvre ? Peut-être un peu de tout ça. Armageddon Time distille lentement ses qualités et son atmosphère sans jamais créer de rupture de rythme. Ce ton monocorde peut finir par lasser et on se prend à souhaiter que Gray ait fait preuve d’un peu plus d’audace dans la restitution de son parcours juvénile.

Impeccable dans ses performances d’acteur, sa mise en scène et sa peinture des Etats-Unis pré-Reagan Armageddon Time est un beau film mineur de la part de James Gray. Cela peut décevoir, notamment dans le cadre d’un festival où l’on met les films en concurrence, mais peu importe. On sent que Gray a réalisé exactement le film qu’il tenait à réaliser et c’est déjà très bien.

Armageddon Time, un film de James Gray, avec Michael Banks Repeta, Jaylin Webb, Anne Hathaway, Anthony Hopkins et Jeremy Strong

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