Gremlins 2 : Century of the Self

Passé par l’écurie Roger Corman où il a réalisé le jouissif Piranha, Joe Dante réussi ensuite à taper dans l’œil du golden boy Steven Spielberg épaté par son Hurlement. Un segment du film épisodique de la Quatrième Dimension plus tard, le créateur des Dents de la mer lui propose de tourner un film de Noël scénarisé par un inconnu ou presque, Chris Columbus : Gremlins. Le récit plein d’humour noir met en scène une bande de lutins qui saccagent la ville lors de Noël. Alors que le producteur se permet d’adoucir le script de Columbus, il donne plus de liberté au cinéaste qui s’emploie à conserver l’anticonformisme de l’histoire originale. Le résultat, c’est un parfait équilibre entre l’esprit entertainment de Spielberg, la solidité de l’écriture de Columbus et la farce efficace que Joe Dante a héritée de ses années à visionner l’art de Tex Avery. Le succès est total et dépasse les espérances de ses créateurs.

Gremlins 2, Cinématraque 2

Évidemment, Warner, devant la manne financière du film et du merchandising qui accompagna le travail de Dante, le presse de plancher sur une séquelle. Après une expérience malheureuse avec Paramount (Explorer) et un remake de l’Aventure Intérieure, Joe Dante préfère, lui, se tourner vers ce qu’il aime. Il cherche à se renouveler et continuer à dynamiter l’american way of life de la banlieue US en mettant en scène The Burbs. Suite à l’échec public et critique incompréhensible de l’œuvre (réhabilité récemment), le cinéaste accepte de donner une suite à Gremlins. Il exige face à sa direction que le budget soit triplé et une liberté totale sur le projet. Warner les yeux fixés sur la calculette, lui accorde les yeux fermés. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

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Le réalisateur s’adjoint un nouveau scénariste, Charles Hass qui va reprendre le travail du pool de Warner pour y amener une idée dangereuse : pousser les Gremlins à envahir New York. La radicalité de la proposition sera la seule intervention du studio dans l’aventure et va obliger les deux hommes à se limiter à un quasi-huis clos : Une tour ultramoderne, véritable ville dans la ville. Au même moment, John McTiernan entreprend le tournage de Piège de Cristal qui va révolutionner le film d’action en s’emparant également de ce genre d’édifice pour le placer au cœur de son acte créatif. Cette fascination de la part d’artistes pour ces monolithes vient tout autant de l’emblème du capitalisme, qu’un tout aussi puissant sous-entendu phallique, mais représente surtout un défi de mise en scène passionnant. Quasiment 20 ans après La Tour Infernale, un gratte-ciel est la source d’un film-catastrophe. Plus encore que l’œuvre de McTiernan, la tour de Gremlins 2 est une réflexion critique contre celui qui à l’époque est le symbole de ce capitalisme masculiniste : Donald Trump. Le milliardaire, grâce aux liens de son père avec le crime organisé, est au début des années 80 à la tête d’un empire immobilier.

Éduqué comme un mâle dominant à qui rien ne résiste, Trump va ériger en 1983 au cœur de New York un gigantesque monolithe à sa gloire : la Trump Tower. Au sein de cet édifice, on trouve autant un centre commercial, qu’un studio de télévision, ou des bureaux et surplombé par le penthouse du mégalo propriétaire. Le film de Joe Dante se nourrit de cette période. L’homme d’affaires devient, à ce moment, une véritable star, présent à la une des magazines, en tête des ventes des autobiographies et même sur les petits écrans. Un peu comme Berlusconi en Europe à cette époque, Donald Trump se médiatise lui et sa richesse. En introduisant ses héros Bill et Kate (Zach Galligan et Phoebe Cates) dans la Clamp Tower, tout en y incrustant ses bestioles, Joe Dante va bien plus loin que le simple clin d’œil à Donald Trump. Il retourne la mise en scène de soi du milliardaire contre ce qu’il représente : la personnalisation du capitalisme. À l’image du rentier et de sa richesse, Gremlins 2 est une vertigineuse mise en abyme de Gremlins 2. Le cinéaste entreprend de livrer, à travers le regard qu’il porte sur l’immeuble, une satire du produit que lui a commandé Warner.

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Dès le générique, Joe Dante, avec l’aide de son mentor Chuck Jones (créateur de Bugs Bunny et sa bande) qui lui a fait le plaisir de se joindre à lui, décide d’hacker le logo de Warner pour en faire une pure création animée. Il s’agit d’un véritable court métrage d’avant-film et se révèle être une note d’intention de Gremlins 2. En mettant en scène la star Bugs Bunny qui se fait virer par Daffy Duck, Dante ne fait pas mystère de ses ambitions. Il s’empare du volant et fait du projet du studio son authentique bébé. Le dialogue de cartoon s’adresse d’ailleurs directement au public, qui est pris à partie par des regards caméra. Il va réitérer cet effet de style de différentes manières durant tout le récit. Il fera appel autant à un célèbre critique de cinéma fustigeant, face caméra (de télévision) le premier Gremlins qu’à Hulk Hogan lui-même, priant l’assistance de quitter les lieux. Derrière lui, Les Gremlins détruisent le film diffusé dans Gremlins 2. Bien avant Wes Craven et son Freddy sort de la Nuit et de ses populaires Scream, Joe Dante s’amuse avec la salle de sa cinéphilie et de sa distance devant les images cyniques que lui impose Hollywood. L’objectif de Warner est, à l’instar de Donald Trump et de son double fictif Daniel Clamp, de se faire un maximum d’argent avec le spectacle qu’il offre aux visiteurs/spectateurs. Celui affiché par le réalisateur et de ses créatures est de dynamiter le principe même de séquelle commerciale. Joe Dante utilise son large budget, pour, en quelque sorte, cracher dans la soupe. Il use la corde de sa liberté artistique qu’il a su exiger jusqu’à son point de rupture, tout en respectant le cahier des charges des ambitions mercantiles du studio.

Avec l’argent de Warner, le cinéaste lui rend un objet beaucoup plus spectaculaire que le premier volet. Il renouvelle autant les bestioles qui ont fait le succès du merchandising, qu’il leur donne un espace filmique régénéré. Encore plus que pour Gremlins, le Mogwai et ses doubles maléfiques sont les véritables stars de l’œuvre, et la supervision des effets spéciaux par Rick Backer est pour beaucoup dans ce saut qualitatif. Si Joe Dante et son scénariste n’ont pas pu dévaster New York, ils réussissent à offrir de belles échappées aux chimères. L’une d’elles reste longtemps gravée en mémoire : un Gremlin ailé se retrouve recouvert de ciment et se fige sur une des cathédrales de la ville. Voilà pour le respect du contrat avec la maison mère. En échange, Dante, humanise ses créatures. Le nihilisme punk des Gremlins du premier volet se transforme ici. Il s’agit bien plus d’un groupe prérévolutionnaire bien décidé à détruire l’organisation du building, et par la même, l’industrie hollywoodienne et le capitalisme. Vitrines commerciales, studio de télé et critique du mannequinat, tout y passe. Progressivement, les bestioles investissent l’immeuble, et s’en prennent aux dirigeants comme aux touristes venus découvrir ce monument ultramoderne.

Cette attaque violente du système marchand au sein d’un établissement conçu pour le loisir et le plaisir des visiteurs peut être vue comme une source d’inspiration pour Steven Spielberg (encore lui) et son Jurassic Park. Un espace de la tour devient central dans le long métrage : l’officine où un scientifique (Christopher Lee) à la folie des grandeurs contrôle une armée de laborantins pour tout un tas d’expériences sur des animaux. On peut considérer ainsi Joe Dante : un petit chimiste à qui l’on a offert de grands pouvoirs et qui n’a que faire des responsabilités. Mais l’on peut aussi poser le doigt sur un certain nombre de ressemblances entre Gremlins 2 et Jurassic Park. Outre le rôle du savant et du laboratoire, les deux films présentent des créatures reptiliennes dont l’ADN a été modifié. La première attaque des Gremlins rappelle celle du vélociraptor dans sa cage. Mais c’est surtout l’idée géniale de Joe Dante de mettre en scène la critique du merchandising et l’opportunisme du studio de Gremlins 2 qui sera totalement reprise par Steven Spielberg avec son Jurassic Park. Plus malin que Joe Dante, Spielberg a attendu de consolider son empire pour condamner le cynisme hollywoodien, dont il a, avec Georges Lucas, participé à la mutation (d’ailleurs Dante raconte dans des entretiens avec les Cahiers que Spielberg a détesté Gremlins 2 comme il a rarement détesté un film). Le laboratoire de Dante est forcément plus fragile et il n’a jamais, contrairement à son Jiminy Cricket, souhaité construire son royaume. Gremlins 2 est un one shot qu’il sait à double tranchant. La liberté artistique qu’il a pu imposer pour ce long métrage n’aura pas d’autre équivalent, il s’y livre comme jamais et fait de Gremlins 2 son œuvre la plus frontalement politique et personnelle.

Tirant sur à peu près tout, y compris sur les critiques de cinéma et le public de blockbusters, Joe Dante va récolter ce qu’il a semé : un violent retour de bâton. Le film est un échec qui va lui fermer les portes des studios. Devenu persona non grata à Hollywood, il signera ensuite son grand ouvrage Panic à Florida Beach. Ce petit budget est surtout un hommage à William Castle, un maître de la série B, connu pour son goût de la mise en scène des séances de ses propres longs métrages. À la fin des années 90, Spielberg va proposer à Joe Dante de se racheter avec une nouvelle filouterie similaire à Gremlins 2. Si l’idée de Small Soldiers est celle d’une société de jeu pour enfant (Hasbro), le produit fini est évidemment une critique de l’entreprise commanditaire (malgré le fait que la director’s cut soit détenue par… Burger King). La charge reste sympathique et beaucoup moins acide que Gremlins 2. Spielberg a réussi à dompter son double maléfique qui finira par se consacrer à la télévision et aux plateformes de streaming. Ses derniers films The Hole et Burying The Ex sortent en France directement en vidéo. Si le premier ne manque pas de charme, le second est une horreur réalisée par un vieux mâle blanc aigri. Triste fin.

Gremlins 2 de Joe Dante. Avec Zach Galligan, Phoebe Cates, Christopher Lee. Disponible sur Ciné+

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