Dans le Michael Bay Universe, c’est l’Ambulance qui te tire dessus

On l’attendait avec impatience, celui-là. Et par on j’entends toutes les personnes qui sont étrangement fans de Michael Bay, avec honte ou ouvertement, et qui espéraient le voir refaire du blockbuster efficace à l’ancienne. Loin des déluges numériques des Transformers, loin de ses glorieux militaires de Thirteen Hours, et enfin loin des plateformes de streaming de son Six Underground, revoilà du cinéma grand public et à grand spectacle comme on pensait ne plus jamais en voir à Hollywood. Décryptage.

Adaptation d’un film danois dont il conserve le pitch pour le doper à la stéroïde Michael, Ambulance raconte l’histoire de deux frères (Yahya Abdul-Mateen II et Jake Gyllenhaal) qui se sont perdus de vue et qui se retrouve le temps d’un petit braquage de banque. Même si tous deux ont été élevés par un grand criminel de la Californie, seul le personnage de Jake (Danny) vit encore dans l’illégalité – et le luxe qui va avec. Grand bandit à son tour, il enrôle son pauvre frère (William) qui a besoin d’argent pour une opération risquée pour sauver sa femme d’un cancer, et dont l’assurance ne couvre pas l’étendue.

Le braquage tourne mal, parce qu’il faut bien qu’il y ait de l’action, sinon Michael s’endort, et les deux frangins tirent sur un flic et finissent par s’enfuir dans une ambulance avec le policier en question sur le brancard, et une infirmière avec eux. Les voilà lancés dans une course poursuite totalement folle dans les rues de Los Angeles, poursuivis par la police locale, le FBI, et une unité spécialisée dans les braquages de banque, avec comme moyen de défense la présence du flic blessé dans le véhicule : faudrait quand même pas risquer de tuer un flic et empêcher la course de voitures effrénée de faire des dizaines de morts par carambolages et autres accidents de la route.

Pourquoi c’est bien ?

Parce que le scénario est solide, déjà. Un fait de plus en plus rare dans les blockbusters Hollywoodiens, où les réécritures multiples se voient trop souvent à l’image, mais aussi un fait encore plus rare dans les films récents de Michael Bay. Dans les Transformers notamment, il avait abandonné tout projet de narration cohérente, ce qui rendait les expérimentations visuelles aussi dénuées d’intérêt qu’un excellent steak végé dans un burger au caca. T’as beau kiffer le steak végé, tu manges quand même du caca.

Le script d’ambulance, signé Chris Fedak (un des co-auteurs de la série Chuck), construit des personnages intéressants, attachants et drôles, qui ont tous droit à un arc narratif qui tient la route. Au milieu des explosions et entre les répliques badass enchaînées comme des perles, on semble avoir affaire à des vraies personnes, avec leurs contradictions et leur humanité. L’infirmière (Eiza Gonzalez) qui se noie dans son travail pour oublier ses échecs, l’agent du FBI qui a connu Danny Sharp à la fac et qui le traque depuis toujours, le capitaine de police qui aime son chien plus que le monde, le flic qui s’en veut d’avoir envoyé son partenaire dans la banque et mis sa vie en danger… Tout le monde est attachant dans le film. Le plus intéressant étant bien sûr William Sharp, campé par notre cher Yahya, qui participe au braquage uniquement pour sauver sa femme et qui se retrouve obligé de faire face aux conséquences de ses actes. Le film ne s’inscrit pas dans un axe moral simpliste et nous donne envie de voir tout se résoudre au mieux pour tout le monde.

Tout le monde… Ou presque. Danny, qui initie le braquage, est à la fois le personnage le plus fascinant à suivre et le plus impardonnable. Manipulateur, narcissique, égocentrique, il n’a presque aucune qualité pour le sauver en dehors d’un amour éperdu (terme choisi avec précision) pour son frère. Jake Gyllenhaal en fait des tonnes dans le rôle et joue à la perfection cette figure à la fois magnétique et terrifiante…

Une mise en scène du feu de tous les dieux

Une ambulance avec un flic au bord de la mort, une infirmière prise en otage et deux braqueurs aux convictions radicalement différentes, un gang criminel, plusieurs forces de police et une ville entière à disposition. Evidemment qu’avec un tel bac à sable, Michael Bay allait s’en donner à cœur joie. Ce qu’il parvient à faire avec ses caméras est absolument ahurissant. Si parfois le montage laisse à désirer, notamment dans la lisibilité de l’action, son obsession pour le plan parfait et la dynamique dans le cadre rend chaque seconde absolument délicieuse pour l’œil. Il ne se repose pas non plus sur ses lauriers et innove en permanence, que ce soit dans la manière d’introduire des personnages (l’arrivée de Danny, en contrejour derrière une porte de garage), du conflit (un plan circulaire inscrit William avec Danny qui tente de le convaincre de se joindre à lui dans le braquage, comme un démon qui lui parlerait à l’oreille), ou de l’action bien évidemment. Pour cette dernière, Bay utilise en plus de ses propres caméras Red (la gamme Bayhem) des drones qui lui permettent de survoler la ville tout en fonctionnant comme des missiles à tête chercheuse, sans cesse hésitant entre l’envie de contempler et foncer au cœur de l’action.

Et. Cela. Ne. S’arrête. Jamais. Le début du film est avare en action, au point même d’intelligemment nous cacher le début du braquage pour tout miser sur la course-poursuite. Mais une fois qu’on est lancés… On est parti pour un sprint aux airs de marathon. Contrairement au film d’origine, qui reste confiné entre les parois de l’ambulance, la multiplication des points de vue dans le Michael Bay permet de jongler sans relâche et ainsi fuir toute possibilité d’ennui.

Dans sa dynamique, on sent le réalisateur comme inspiré par deux de ses camarades dans l’expérimentation visuelle : Tony Scott et Michael Mann. Et s’il n’en a pas forcément la puissance métaphysique, il parvient au moins à recréer la frénésie de leurs mises en scène. Ambulance, c’est un peu comme Heat, ou Unstoppable, mais en plus con. Pas débile, parce qu’il y a tout de même un propos, des thématiques récurrentes (le sacrifice de soi, notamment), mais ça reste quand même un peu concon.

Pourquoi a-t-on besoin de ce film maintenant ?

La raison pour laquelle les films de Transformers sont les moins intéressants de la filmographie de Michael Bay est qu’ils se rapprochent de trop près de films de super-héros. Or l’intérêt de sa mise en scène qui héroïse, iconise les personnages en permanence, est justement de montrer des gens « normaux », pas des créatures surhumaines. En l’occurrence, des voitures de l’espace. Je trouve qu’on ne parle pas assez du fait que cette saga soit centrée sur des putains de voitures de l’espace.

Mais les petites gens, même des simples agents de police comme la télévision les aime tant, en allant jusqu’aux ouvriers ou simplement membres de la classe moyenne, ont largement disparu du spectacle hollywoodien depuis une dizaine d’années. Le Marvel Cinematic Universe est en grande partie coupable d’avoir créé une séparation immense entre ses protagonistes et le quotidien de toute personne à qui l’on pourrait s’identifier. Par exemple, quelqu’un qui a des problèmes d’argent comme William dans Ambulance. Ou qui est coincée dans un métier qui ne lui correspond pas assez, comme Cam l’infirmière, encore dans Ambulance. Et même les profils qu’on a l’habitude de voir, à savoir tous les différents officiers des forces de l’ordre ont leur vie à eux : l’agent du FBI est obsédé par son travail et délaisse son mari (vous avez bien lu, Michael Bay a osé donner à un personnage gay la pathologie de tous les héros hétéros du cinéma d’action, l’avenir est en marche mes amis), la lieutenant Dhazghig est fan de F1 et ne se laisse jamais emmerder…

Ce sont ces personnages-là que Michael Bay iconise. Dans chaque scène, celui ou celle qui a raison va pouvoir poser ses couilles ou ses ovaires sur la table et dire « maintenant tout le monde m’écoute », et tout le monde spectateur compris sera pendu à ses lèvres. A-t-on déjà vu une infirmière présentée avec autant d’héroïsme ? Le cinéma de Bay a le pouvoir de tout transformer en propagande, pour le meilleur comme le pire ; mais quand il s’agit de mettre en avant celles et ceux qui sauvent des vies tous les jours, il est difficile de ne pas être ému et prendre son pied comme Tarantino le ferait devant… Un pied, justement.

Et bien sûr que le tout est grossier, surtout dans sa conclusion. Bien sûr que les ficelles sont des câbles de la taille du SEA-ME-WE-3 (le plus grand câble du monde d’après mes recherches, 39 000 km), que Lorne Balfe est aussi subtil dans sa composition musicale qu’un fuckboi qui envoie « tu fais quoi ? » par texto à sa crush de la semaine, que le film est plus gras qu’une pizza au burger aux frites cheddar. Mais on a besoin de ce genre de films, qui ont de l’audace. Qui osent, qui tentent des trucs. Bref, vous l’aurez compris : Michael Bay est de retour.

Ambulance, un film de Michael Bay avec Jake « red scarf » Gyllenhaal, Yahya Abdul Mateen II qui doit faire pas mal de séances de psy à cause de son nom, sérieux qui a autorisé les américains à appeler leurs enfants « Deuxième du nom » bordel, Eiza Gonzales que je connaissais pas mais qui est géniale, avec à la photographie un mec qui a tenu la caméra avant ça pour AGNES VARDA ALLEZ HOP KAMOULOX BISOUS BONSOIR, au cinéma le 23 mars 2022.

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