Series Mania 2022 : Retrouver du sang neuf

À peine six mois après une édition 2021 décalée au cœur de l’été pour raisons sanitaires (du temps où tout le monde en avait encore quelque chose à faire de ce virus, qui bien heureusement a entièrement disparu de la surface du globe juste à temps pour le premier tour de l’élection présidentielle), Series Mania était de retour à ses dates habituelles de la fin mars, au cœur du printemps naissant. Six mois c’est court pour préparer un festival, mais c’est assez pour se rendre que la frénésie de production de l’industrie ne s’est pas calmée, loin de là. Comme toujours et comme pour n’importe quel festival, l’attrait de la nouveauté sert de premier moteur. Les chiffres s’accumulent, presque absurdes quand on les regarde de près. Plus de 300 séries visionnées en six mois pour une petite soixantaine d’élues, toujours plus de pays (cette année c’est la Chine qui fait ses débuts dans le festival lillois avec la prometteuse Gold Panning), toujours plus de noms, de plate-formes, de showrunners, d’acteurs « dont on se souvient dans le Bureau des Légendes » sur le red carpet…

Preuve en est, quand on l’a interrogé en conférence de presse sur le devenir de sa nouvelle création Visitors, un des événements des premiers jours de cette édition 2022, Simon Astier confiait : 

« J’ai en tête des séries courtes maintenant, ça peut très bien n’être qu’une saison. Mais ça peut être un peu plus si on peut continuer dans des bonnes conditions. Mais pas quelque chose qui durera dix ans encore. Je pense qu’aujourd’hui les séries doivent être plus ramassées, on n’est plus à l’époque où les saisons étaient plus diluées et la narration plus hachée ».

Là est un peu le paradoxe du petit monde des séries télé, ce monde du temps long qui va si vite qu’il se remet presque à penser comme son grand frère des salles de cinéma. La pandémie a bouleversé les plannings de tournage, installé des « monsieur/madame COVID », conduit certaines séries vers le précipice, mais elle n’a fait qu’accentuer la tendance lancée par la fin du dernier « âge d’or » des séries. Aujourd’hui, une série entre vite dans la Zeitgeist, et en ressort encore plus vite (on en arrive même à inventer une saison 4 à Atlanta avant de se rappeler que ça faisait bien quatre ans qu’on était sans nouvelles de la saison TROIS du bijou de Donald Glover sur FX). Même les festivals n’arrivent plus à suivre le rythme, au risque de certains paradoxes : ce vendredi soir, invités et accrédités s’étaient réunis pour découvrir sur grand écran à la suite de la cérémonie d’ouverture les deux premiers épisodes de Drôle, la nouvelle création made in France de Netflix… disponible dans son intégralité depuis le matin même pour tout le monde.

On ira donc assez vite pour parler de la série de Fanny Herrero chargée de succéder (pas une mince affaire) au carton critique et public de Dix pour cent. Exit les messes basses du petit monde du show business dans les arcanes de la toute puissante agence ASK, Herrero et ses équipes s’intéressent cette fois-ci à la jeunesse comique et au petit monde des stand-uppers. Un sujet toujours plus à la mode dans les séries françaises qui, non contentes de dérouler le tapis rouge aux stars de la discipline (récemment encore avec La meilleure version de moi-même de Blanche Gardin sur Canal), placent de plus en plus la pratique même du seul en scène en leur centre. Six mois après le triomphe de la très attachante Jeune et Golri au terme de la cuvée 2021 de Series Mania, c’est donc Drôle (qu’Herrero était venue présenter l’été dernier d’ailleurs) qui prend le relais sur scène sous un tonnerre d’applaudissements.

Inutile d’en détailler davantage sur le contenu de la série puisque la plupart des lecteurs de cet article seront probablement plus avancés dans son visionnage que l’auteur de ces lignes. Toujours est-il qu’au-delà du charisme naturel de son casting principal rayonnant (mention spéciale à la révélation Mariama Gueye), on retrouve toujours le talent de Fanny Herrero pour la plume chorale, pour aller ausculter les dynamiques des petites communautés avec sa logique de corps et ses petites mesquineries. C’est vif, moderne, et surtout drôle bien sûr.

Drôle, c’est aussi ce qu’essaie d’être Visitors, qui représente bien la dynamique d’ultra-diversification à l’œuvre récemment. Première création originale de la succursale française de WarnerTV, la série s’avance avec la responsabilité de mettre plus en lumière encore la chaîne qui a amené sur les écrans français quelques chouettes trouvailles comme Miracle Workers, mais qui sert aussi de base arrière française au lancement de quelques séries HBO Max (HBO appartenant à la Warner) comme The Flight Attendant ou Raised by Wolves. Dans le contexte des rumeurs toujours plus pressantes de l’arrivée de HBO Max dans l’Hexagone (toujours rien d’officiel cela dit), Visitors doit aussi se charger d’éviter la HBO Max-dépendance de la chaîne en confiant les clés du camion à Simon Astier, de retour aux manettes d’une série comique après la longue et tumultueuse aventure Hero Corp.

Les ingrédients d’une série « made by Astier » sont toujours là : un univers geek ultra-référencé, un humour potache et pastiche, une ribambelle de têtes habituées du format court comique (le Palmashow, quelques rescapés de HC comme Arnaud Tsamère, Tiphaine Daviot de la Lazy Company)… Mais Visitors n’est pas qu’une simple resucée avec un nouveau vernis (les super-héros aux pouvoirs douteux laissant leur place à une invasion extraterrestre). Lancé en 2019 via un appel à projets, déjà à Series Mania, Visitors bénéficie à plein de l’apport financier de la Warner pour proposer un contenu beaucoup plus appliqué visuellement, moins amateur dans la forme. Pas forcément propices à des explosions de LOL ptdr en continu, Visitors arrive tout de même à trouver un équilibre entre comédie et mélancolie, sans forcer le trait sur les références, et surtout sans oublier d’écrire une intrigue derrière. Comme la présence de Florent Loiret-Caille, qui déboule dans l’univers d’Astier comme une alien dans presque tous les sens du terme, Visitors est plein de petites surprises qui donnent envie de savoir où veut en venir Astier dans cette capsule rétro pop où les mystères de X-Files seraient résolus non par Murder et Scully mais par Bullit et Riper.

Si Series Mania s’échine autant à aller creuser ces nouveaux sillons, c’est aussi parce que ce début de festival acte la stagnation créatives des acteurs plus traditionnels de l’industrie. Du côté français, on s’enthousiasme beaucoup plus sur le papier pour les créations ados de la plate-forme numérique France TV Slash que sont la très chouette Reusss (dont on reparlera au cours du festival) et Chair Tendre (dont on reparlera quand on l’aura rattrapé) que pour la bien médiocre Syndrome E, adaptation poussive d’un best-seller du thriller de Franck Thilliez où l’inspecteur Franck Sharko prend les traits de Vincent Elbaz, qui joue super bien le mec qui a la migraine H24, et pas grand chose d’autre. Tout est appuyé, les twists des deux premiers épisodes se flairent à quinze kilomètres, et l’aspect paranormal de l’intrigue (des enfants victimes de traitements mystérieux deviennent des tueurs possédés à l’âge adulte) relève plus du mystico-pouet-pouet qu’autre chose.

À l’international, Israël déçoit avec la laborieuse introduction de Children in the Woods, qui une fois sa brillante scène d’ouverture passée (on retrouve des bébés vivants entassés dans un cercueil dans le coffre d’un corbillard abandonné dans les bois) pédale un peu dans la semoule en essayant de dépeindre son histoire de trafic international d’enfants. L’Italie, elle, débarque avec Il Re (Le Roi), thriller carcéral dans lequel un patron de prison joué par Luca Zingaretti (aka la commissaire Montalbano qui fait les beaux jours de France 3 depuis près d’un quart de siècle) enquête sur l’assassinat de son bras droit, qui déstabilise l’équilibre des forces fragile entre surveillants pénitentiaires et prisonniers. Solidement écrite (on retrouve à l’écriture Stefano Bises de la série Gomorra et Peppe Fiore de The Young Pope), brillamment incarnée, Il Re souffre quand même d’un classicisme certain et de certaines sous-intrigues secondaires (notamment familiales) un peu superflues. Sympathique mais pas sûr qu’après l’Euro de foot, l’Eurovision et le 100 mètres aux JO les transalpins fassent la passe de quatre au palmarès des compétitions de prestige. Un an, ça change pas mal de choses.

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