Super Express 109 : Ceux qui m’aiment feront péter le train

Bien avant que Jan de Bont mette en scène Keanu Reeves voulant désamorcer une bombe dans un bus prêt à exploser s’il descend en dessous de 80km/h, les japonais avaient eu la même idée… Avec un train. Surfant sur la mode du moment à Hollywood des films catastrophe (La Tour Infernale en est le mètre étalon), les studios japonais se lancent eux aussi dans ce genre de superproductions dans les années 70. Après la Toho, le président de la Toei lance ses équipes et imagine une histoire dans lequel une bombe serait posée dans un train à grande vitesse, autrement connu sous le nom de Shinkansen. Les coupables préviennent la compagnie de train pour les informer que si le véhicule descend en dessous des 80 km/h, la bombe explosera…

L’intérêt de ce Super Express 109, où The Bullet Train, est donc double.

D’une part il a pour lui une qualité cinématographique indéniable, conférée par un réalisateur aguerri du studio, Junya Sato, connu surtout pour des films de yakuza dans les années 60 et l’adaptation de Golgo 13, une galerie de comédiens au sommet de leur art (Ken « yakuza » Takakura et Ken « super giant » Utsui surtout, mais Sonny Chiba n’est pas en reste non plus en conducteur de train), et un scénario en béton.

Car, si sur la base du pitch on peut s’attendre à un film express et tendu, il n’en est rien ; The Bullet Train est en réalité trois films en un, chacun avec son identité propre. On a d’abord les éléments de film catastrophe avec un huis clos dans les wagons et avec les équipes qui tentent de gérer la situation sans causer la panique à bord. C’est nerveux, dynamique, parfois archétypal dans ses péripéties (une femme enceinte, un businessman qui refuse de rater une réunion…) mais toujours efficace. Par le biais de la radio, on est en relation avec la tour de contrôle où s’affairent les équipes de Ken Utsui, qui se retrouve confronté à la fois à la difficulté de sauver des vies, aux considérations économiques de ses supérieurs, et aux stratégies de la police pour débusquer les coupables.

De ce fait, on a ensuite tous les éléments nécessaires pour constituer un film policier, une enquête sous tension en mode course contre la montre, puisque les agents partent de rien et doivent réussir à trouver l’identité des terroristes avant qu’une catastrophe n’arrive dans le train. Et c’est en nous révélant ses antagonistes que le film nous offre une dimension plus humaine, plus sociale : à travers des flashbacks tragiques qui accompagnent le visage mélancolique et dur de Ken Tatakura, on découvre les raisons qui l’ont poussé à cet acte à priori impardonnable. Ce sont d’ailleurs les seuls moments à être soulignés par la musique, qui colore le film d’une mélancolie indéniable.

Et puisqu’on parle de choix de mise en scène, il faut ajouter que Super Express 109 est très bien servi par l’utilisation de la caméra, très énergique. Elle ne s’embarrasse que rarement de coupes au montage entre les valeurs de plan, préfère zoomer ou dézoomer pour passer d’un master shot à un plan rapproché montrant au mieux les émotions des personnages. Ce style, conjugué avec le montage, donne à voir quelque chose qui diffère radicalement de ce que l’on peut attendre de ce genre de films au même moment en occident puisqu’il ne singularise pas les héros qui tentent d’empêcher la catastrophe. Au contraire, il les intègre dans les institutions qu’ils représentent, et isole encore plus l’antagoniste qui finit par se retrouver bien seul face à toute la société japonaise.

Le résultat est un film très prenant, bien plus qu’un simple thriller grâce à la partie sociale de l’histoire qui en fait une œuvre tragique. D’ailleurs il réussit là où de nombreux blockbusters modernes échouent dans la mise en scène intelligente des motivations de son antagoniste. Depuis quelques temps on voit de plus en plus d’articles déplorant l’utilisation dans les scénarios de criminels avec lesquels il est difficile d’être en désaccord sur le fond, et dont le seul « défaut » est de commettre des crimes… Ce qui à terme, viendrait par invalider leurs griefs pourtant bien valides sur les injustices de ce monde. Mais ici, le pauvre Testuo Okita n’a pas vraiment envie de faire des victimes, et son désespoir est si bien mis en scène que l’on ne peut qu’avoir de la compassion pour sa figure tragique.

Le cinéma c’est comme un jeu d’enfants : on joue avec des petits trains…

D’autre part, Super Express 109 est fascinant sous un angle historique, voire archéologique, tant le film raconte de l’industrie cinématographique japonaise de son époque, mais également de la société du pays toute entière. Le simple d’utiliser comme élément central du film le shinkansen, qui existait depuis une petite dizaine d’années seulement au moment de la sortie du film, est capital. Voir les instances de la compagnie s’activer en coulisses pour sauver les passagers et collaborer avec la police donne à voir un film qui jure totalement avec les productions américaines, qui ont plus facilement tendance à limiter le nombre de personnages et à laisser quelques « héros » se charger du gros du travail. Ici, malgré la présence de l’excellent Ken Utsui en tour de contrôle, et de Sonny Chiba au volant du train, on a vraiment le sentiment que c’est la communauté qui est mise en avant.

Comme dans le plus récent Shin Godzilla, dernier gros carton du genre film catastrophe dans le pays, les groupes sont plus mis en avant que les individus ; une position à nuancer comme je le disais juste au dessus du fait du rôle de Ken Utsui, qui se rapproche le plus d’un protagoniste dans cette histoire. Enfin, il faut ajouter à tout cela que l’élément déclencheur du film n’est pas causée par de la fiction pure : au moment où le film est réalisé, la situation économique des petits commerces tel que celui de Testuo Okita est bien réelle. Après les échecs des mouvements étudiants des années 60 – aussi mentionnés dans le film -, tout n’est pas rose au Japon, et nul doute que le succès du film est en partie dû à cette qualité de l’ancrage dans du concret.

Enfin, mentionnons que l’édition magnifique éditée par Carlotta comporte de très jolis bonus pour éclairer le visionnage, notamment un entretien de vingt minutes avec Fabien Mauro (suivez le sur Twitter, commandez son beau livre sur les Kaijus) qui vous aidera à mieux situer le film, sa technique, et ses acteurs (dans tous les sens du terme) au sein de la production de l’époque. On y trouve aussi un bel entretien avec le réalisateur du film qui raconte la production de manière très factuelle (si vous avez déjà vu des bonus de films japonais, vous savez très bien de quoi je parle). Mais le plus intéressant, pour les plus cinéphilo-archéologues d’entre vous reste l’inclusion du montage français du film d’1h40 (donc avec cinquante minutes en moins que la version originale) lors de sa sortie dans l’hexagone via Gaumont ; vous pourrez voir laquelle des trois histoires a été la plus coupée chez nous.

Super Express 109, une ressortie Carlotta disponible le 15 mars 2022.

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Ka-ching.

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