Twixt : le deuil d’un artiste

En 2011, Francis Ford Coppola sort ce qui est, en attendant Megalopolis, son dernier film. Il y narre la rencontre entre un écrivain sans inspiration, sous-Stephen King dépressif (Val Kilmer), et une créature qui semble autant surgie de ses rêves que de l’histoire tourmentée d’une petite ville américaine (Elle Fanning).

Francis Ford Coppola a depuis longtemps perdu l’aura de ses années les plus fastes qui ont marqué le cinéma américain. Ses projets sont plus confidentiels et divisent souvent la critique. Ce sera également le cas de ce drôle de projet. Le film se construit sur l’imagerie des récits d’horreur sans jamais y adhérer pleinement. Le dispositif narratif crée une distance avec le conte rêvé qui est également l’histoire que cherche à écrire l’auteur. Cette distance est renforcée par le caractère extrêmement cliché de qui nous est raconté : l’écrivain alcoolique sans inspiration, la petite ville coupée du monde, le grand drame retracé via des coupures de journaux dans le grand album de la bibliothèque municipale, l’incendie, les orphelins, le manoir… Oui, on a déjà vu tout ça une bonne centaine de fois. Il se dégage même parfois du film cette atmosphère des séries anthologiques de notre jeunesse Fais moi peur ou Chair de Poule. Coppola semble s’amuser à parcourir ces sentiers tant rebattus tout en jouant avec une esthétique très particulière. L’utilisation ponctuelle de la 3D (à l’époque de la sortie en salles), le choix audacieux de couleurs pour les séquences nocturnes, les gros plans sur le visage perdu de Val Kilmer, tout cela participe à faire de Twixt un étrange objet à regarder qui oscille entre de magnifiques plans et des scènes totalement loupées. Sur ce fil étroit, le spectateur est toujours perplexe face à ce qu’il regarde.

Je rêve d’un bon bain dans une bonne auberge

Si Coppola n’a pas voulu embrasser pleinement le film d’horreur avec Twixt, que cherche-t-il donc à nous raconter ? La réponse est évidente quand on connaît le destin du fils aîné du réalisateur, mort dans un accident de hors-bord comme la fille du personnage incarné par Val Kilmer. Voir la séquence de cette mort dans le film et s’imaginer Coppola recréer les circonstances de la mort de son propre fils à quelque chose de particulièrement glaçant. D’autant plus quand il exprime à travers les mots de Val Kilmer sa propre culpabilité. Twixt est donc bien un film sur le deuil, sur les absents qui restent dans la tête des survivants, sur les fantômes du quotidien. Cette dimension intime est ce qui rend ce film si singulier et touchant.

Est-ce pour autant un bon film ? Tout dépend de votre capacité à faire abstraction de ce qui le plombe. Car il y a beaucoup de moments devant Twixt où l’on a envie de lever les yeux au ciel. Entre l’apparition particulièrement peu intéressante d’un Edgar Allan Poe introduit au chausse-pieds, le développement chaotique d’une intrigue souvent insignifiante et le jeu aléatoire de Val Kilmer, le film ne fait pas tout pour se rendre aimable. Le montage est aussi particulièrement intriguant, pour être poli. Censé être à l’époque le fruit d’une innovation permettant à un premier public de participer au montage, idée abandonnée en cours de route par Coppola, il renforce l’aspect brinquebalant de Twixt. On n’a jamais l’impression que le film sait vraiment où il va et ce qu’il veut nous dire. Sentiment renforcé par la fin précipitée.

On sort donc perplexe de Twixt. Film aussi fascinant que décevant. Objet aussi émouvant qu’artificiel. On comprend pourquoi il a clivé la critique, et les spectateurs. Il restera un détail dans la filmographie de Coppola, mais un détail à la couleur vive qui retient l’attention pour ses qualités comme pour ses défauts.

Twixt, un film de Francis Ford Coppola, avec Elle Fanning, Val Kilmer et Bruce Dern. Disponible sur Ciné+

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