En attendant Bojangles : Dance Me to the End of Love

Alors que la situation sanitaire qui en est le prélude tend à s’aggraver au cours des dernières semaines, le cinéma français se retrouve confronté comme beaucoup de productions nationales à une période difficile en termes d’entrées. A l’exception de quelques contre-exemples qui ont su tirer leur épingle du jeu par leur nom ou par une campagne de bouche-à-oreille efficace, même les plus grosses productions du secteur éprouvent de sévères difficultés. Pour un Kaamelott, Bac Nord, Boîte noire ou l’espère-t-on un Aline devant son bon démarrage, d’autres films moteurs de l’été-automne-hiver ciné hexagonal ont essuyé de sévères désillusions (Barbaque, Illusions perdues, la nouvelle itération du Petit Nicolas pour ne citer que les dernières) ou peinent à rentabiliser leur confortable budget (le biopic sur Eiffel par exemple, qui n’a dépassé que péniblement le million d’entrées, sans doute insuffisant au vu des attentes et du coup marketing d’une sortie décalée de l’été à la rentrée). Et alors que la filière s’inquiète de la suite à grands coups de tribunes dans la presse, il faut désormais porter son regard sur les films qui feront le début de l’année 2022 dans l’espoir de combler un déséquilibre de plus en plus creusé entre les happy few multimillionnaires et le reste de la meute des sorties en salles qui s’entredéchirent.

On aurait pu supposer qu’en dépit de sa relative bizarrerie En attendant Bojangles fera partie de cette liste, même si les premiers retours box-office s’avèrent inquiétants. Déjà parce qu’on parle d’un nom porteur pour le grand public, à tout le moins d’un certain public. Le best-seller d’Olivier Boudreault, phénomène d’édition écoulé à plus d’un demi-million d’exemplaires et auréolé de plusieurs prix, a déjà connu plusieurs vies antérieures (comme Oncle Boonmee) à celle sur grand écran. D’abord adapté en bande-dessinée puis au théâtre, c’est désormais au tour du cinéma de se pencher sur cette fantaisie rétro sur laquelle plane l’ombre de Boris Vian. Voir le nom de Régis Roinsard attaché à cette adaptation cinématographique n’est guère étonnant. Biberonné au scopitone, l’ex-clippeur devenu réalisateur du très vintage Populaire en 2012, faisait figure d’évidence même si on l’avait laissé l’an dernier sur l’échec du très bizarre, foutraque, voire gentiment nanardeux Les Traducteurs.

Retour aux fondamentaux donc, et retour à Romain Duris, acteur vedette de son premier long, qui devient le père de la famille dysfonctionnellement délurée d’En attendant Bojangles. Gentil mythomane fêtard empêtré dans un business automobile qui ne démarre pas, Georges fait la rencontre au cours d’une réception organisée par le député L’Ordure (Grégory Gadebois) de Camille, fanfaronne toute aussi perchée qui partage avec lui le goût de la danse et des identités multiples. Le couple se marie, a un fils qu’ils appellent comme Gary Cooper, s’installe ensemble. Ils vivent leur vie de patachons inconséquents, dépensent sans compter, élèvent une grue demoiselle de Numidie (pour tout renseignement supplémentaire, nous vous orientons vers le compte Twitter de Gaël Martin, notre Allain Bougrain-Dubourg attitré), n’ouvrent jamais le courrier. Sauf qu’un jour, la réalité vient toquer à la porte de ceux qui ne vivent que dans le rêve au son de Mr Bojangles, classique country repris notamment par Nina Simone.

Derrière sa légèreté presque inconséquente, En attendant Bojangles cache derrière lui un portrait de la bipolarité (le livre est inspiré par la vie de l’oncle d’Olivier Boudreault qui en souffrait) et des troubles mentaux qui peut prendre par surprise les spectateurs les moins avertis. Dans le grand bal mené par Mr Bojangles, on danse pour ne pas trop pleurer parce que danser c’est être vivant, et c’est aimer la vie et les gens qui ont disparu. Le film se tient à son programme de départ dans l’ensemble avec un certain succès, perçant quand il le faut sa carapace ripolinée pour faire naître quelques chouettes moments d’émotion, notamment autour du jeune Gary, incarné avec beaucoup de justesse par le tout jeune Solan Machado-Graner.

En attendant Bojangles est comme un long bal costumé gentiment désuet qui a pour principal défaut de traîner un peu sévèrement en longueur. Du roman de Bourdeault, qui dépassait à peine les 150 pages, Roinsard en tire un film qui dépasse allègrement les deux heures, refusant de trop couper de ci-de là. L’ensemble finit par en souffrir, tombant dans quelques redites et un train-train de sénateur particulièrement dans sa première heure là où un rythme plus fluide et enlevé aurait mieux convenu aux douces affèteries de l’ensemble.

Collant d’un peu trop près au texte initial, le film n’en retrouve pas toujours ce qui le rendit si séduisant aux yeux du grand public, peinant parfois à maîtriser notamment sa peinture du personnage de Georges, un peu trop réduit à la simple voix de la raison dépassée par les événements. Parfois un peu trop gauche, parfois un peu trop lourd, En attendant Bojangles est une tentative très imparfaite mais assez sincère d’un cinéma populaire pas trop cynique. Pas sûr que ce sera ce qui sauvera le cinéma français mais ça pourrait déjà l’aider à se remettre à l’eau.

En attendant Bojangles de Régis Roinsard, avec Romain Duris, Virginie Efira, Grégory Gadebois, en salles le 5 janvier 2022

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