CineComedies 2021 : Retrouver du mordant

Bien que cela ne soit pas la priorité de ce festival principalement centré sur la mise en valeur du patrimoine de la comédie populaire française et ses grands auteurs contemporains, CineComedies offre chaque année quelques avant-premières à se mettre sous la dent pour prendre le pouls du genre préféré des punchlines du Film Twitter. L’an dernier, au cœur de l’automne alors que la troisième vague s’apprêtait à frapper, le festival avait réussi à caser dans son programme Le Discours de Laurent Tirard et L’Origine du monde de Laurent Lafitte de la Comédie Française©. Cette année, outre l’incursion dans la romcom de Pascal Elbé avec le gentil On est fait pour s’entendre dont on vous a déjà parlé à l’occasion de la cérémonie d’ouverture, trois autres films français étaient à l’affiche : Barbaque de Fabrice Éboué, Zaï Zaï Zaï Zaï de François Desagnat et Le Test d’Emmanuel Poulain-Arnaud, qui avait les honneurs de la cérémonie de clôture.

On passera très vite sur le dernier, très oubliable comédie de quiproquos fondée sur un pitch qui montre ses limites à peine énoncé : une mère de famille possessive (Alexandra Lamy) et hyperactive tombe dans le cabinet de son mari gériatre (Philippe Katerine) sur un test de grossesse positif, et cherche à savoir à qui il appartient. On comprend bien vite que tout ça va vite tourner en rond, l’occasion pour chaque membre de la famille de faire son introspection et révéler ses petits secrets en attendant la résolution finale. Très feignant sur l’écriture, le film ne décolle jamais tant ses personnages ne sont que des poncifs de caractérisation et tant il ne prend jamais la peine d’aller jusqu’au bout de ses propositions narratives. Face à un Philippe Katerine qui a vraiment l’air d’en avoir pas grand chose à foutre d’être là, Alexandra Lamy essaie bien de tenir le cap avec un certain abattage, mais on va pas se mentir, rien sur le papier concernant ce film n’avait l’air bien intéressant, et en effet rien n’est vraiment intéressant dedans.

Barbaque de Fabrice Éboué

S’il est bien un film qui n’en manque pas d’intérêt, c’est bien Barbaque, quatrième long-métrage en temps que réalisateur de Fabrice Éboué. Depuis le gros succès de Case départ en 2011, l’ex membre du Jamel Comedy Club continue son bout de chemin dans la comédie trash et jusqu’au-boutiste, qui a l’ambition de tirer sur à peu près tout ce qui bouge. C’est souvent très inégal et ça tient pas toujours sur ses deux jambes, mais à l’instar de son dernier effort en date Coexister en 2017, on ne peut pas nier que son humour crétin, pas toujours aussi subversif qu’il ne souhaiterait l’être, détone dans le paysage comique grand public. Après s’être attaqué aux communautés religieuses dans Coexister, c’est sur une autre marotte des débats de café du commerce des chaînes d’info en continu que se penche Éboué dans son nouveau film : les tensions entre vegans et carnistes.

L’humoriste s’offre ici le premier rôle aux côtés de Marina Foïs dans la peau d’un couple de bouchers dont l’affaire tourne aussi mal que le mariage. De plus, ils sont victimes un jour d’une attaque d’un collectif de vegans venu saccager leur local. Dans un accès de colère, le boucher au bord de la crise de nerfs assassine un des manifestants. Pour se débarrasser du corps, il décide de le préparer et le vendre à ses clients sous forme de steaks, jambons et autres réjouissances. Le début d’une spirale criminelle pour le couple qui s’offre un nouveau départ dans la plus grande des illégalités.

On ne sait guère si c’est le souvenir dramatique du téléfilm 100% vegan de Fabien Onteniente ou les enfilades de dégueulasseries vomies par les éditorialistes et politiques de droite sur la pauvre Sandrine Rousseau pendant la primaire écolo, mais on était pas à 1.000% enthousiaste de voir le résultat de Barbaque, quand bien même on ne saurait imputer toute forme de médisance à la démarche d’Éboué. Pas toujours bien malin dans son humour, le comparse de Thomas N’Gijol a toujours eu à vivre avec le fardeau dont souffrent pas mal de comiques : il est plus intelligent que ne l’est son public le plus dévoué. Oui son Barbaque défouraille à tout va sur tout le monde, et le fait plutôt bien. Mais non, faire une comédie où l’on renvoie dos à dos des vegans qu’on juge extrémistes et des carnistes inféodés aux lois du capitalisme, ce n’est pas un parangon d’art transgressif en 2021. Et c’est pas grave d’ailleurs, les comédies n’ont pas l’obligation d’être transgressives pour être réussies (Apatow ça parle de cul et tout le tintoutin, et y a pas plus conformiste au final).

Barbaque est dans l’ensemble un effort assez en-dessous de Coexister, la faute en partie à son goût permanent pour l’auto-citation : un pitch de départ très proche sur le papier des Bouchers Verts avec Mads Mikkelsen (une coïncidence, même si Éboué a confié lui-même avoir eu peur de la comparaison au moment de voir le film d’Anders Thomas Jensen), une grosse dose de Sweeney Todd sans les chansons de Sondheim, un peu de Santa Clarita Diet par ci, et même du Once upon a Time in Hollywood par là… Le film navigue un peu à vue dans un ensemble d’une grande pauvreté visuelle (Éboué confie s’en contrefoutre royalement de la mise en scène, confiée ici encore à John Wax) qui n’aide pas à faire décoller les situations.

L’esprit garnement est là, les punchlines aussi, mais Barbaque manque un peu de mordant pour au final emballer. Son principal plaisir, au fond, est d’être peut-être le premier vrai film de FELAxploitation, les serial killers modelant leur modus operandi sur des criminels (fictifs) de Faîtes entrer l’accusé, que dévore chaque soir Marina Foïs. Avec l’aide d’un Christophe Hondelatte ravi de retrouver son fameux cuir noir, Barbaque illustre assez malicieusement notre addiction au true crime bien de chez nous, et à quel point l’émission de France 2 a pénétré au fil des ans la pop culture made in France. Ça ne sauve pas tout, mais ça aide à faire passer les 90 minutes bien tassées de l’ensemble.

Zaï Zaï Zaï Zaï de François Desagnat

Zaï Zaï Zaï Zaï, lui, venait se charger d’entériner la naissance du Fabcaro Cinematic Universe pour le grand bonheur de tous les CSP+ de la région parisienne. Après Le Discours porté par ce fantastique acteur qu’est Benjamin Lavernhe, c’est au tour de la BD qui tire son nom du fameux Zaï Zaï Zaï Zaï de Siffler sur la colline de Joe Dassin (et non pas Les filles de mon pays d’Enrico Macias). Dans cette dernière comme dans le long de François Desagnat (le frère de Vincent, l’ancien complice de Michaël Youn, présent dans le film dans un rôle… on va dire brûlant), le point de départ est royalement absurde et con comme on les aime. Un jour, Fabrice, acteur de comédies populaires incarné par Jean-Paul Rouve (à l’origine, c’est un auteur de bandes dessinées dans la BD originale, vous aurez compris le propos méta), se présente à la caisse d’un supermarché tout ce qu’il y a de plus commun pour régler les courses tout ce qu’il y a de plus communes de sa famille tout ce qu’il y a de plus commune. Sauf qu’au moment de payer, Fabrice n’a pas sa carte de fidélité contrairement à ce qu’il prétend. Devenu immédiatement l’ennemi public numéro 1, il se retrouve à partir dans une cavale échevelée alors que les forces de police du pays entier se lancent à sa recherche.

Ceux qui parmi les 180.000 acheteurs du best-seller de Fabcaro se souviennent du contenu de son œuvre ne seront guère dépaysés par le film de Desagnat. C’est ce qui en fait à la fois sa force, le film épousant le sens de l’aphorisme chic et cynique du bédéiste montpelliérain, mais aussi sa faiblesse. Zaï Zaï Zaï Zaï est en effet une BD très courte, d’une quarantaine de pages généralement avalées en une petite demi-heure, un peu juste pour justifier la confection d’un film, fût-il réduit à une heure vingt montre en main. Aussi Desagnat se voit-il obliger de broder sur et pasticher Fabcaro sur une bonne moitié du film, une fois que celui-ci a atteint le point de résolution de la BD initiale. L’effet de comique de répétition pointe malheureusement le bout de son nez, avec la sensation que Desagnat et son scénariste Jean-Luc Gaget ont épuisé le réservoir de leur modèle.

Et pour l’épuiser, le film l’épuise, son matériau de départ, et pas toujours judicieusement. Zaï Zaï Zaï Zaï fonctionne en tant qu’oeuvre au format bande dessinée parce que le genre facilite une narration par planche, qui supporte davantage la diffraction d’histoires que le cinéma, qui est par essence un art de la continuité. À l’écran, certaines scènes, adaptées quasiment au mot près de la BD de Fabcaro (celle sur les bouteilles de Perrier par exemple, ceux qui savent comprendront), jurent avec l’ensemble et cassent cette fameuse continuité. On se retrouve devant un film assez saccadé dans le rythme, manquant de liant et de cohérence.

On touche là à un point sensible concernant les adaptations des œuvres de Fabcaro au cinéma, Zaï Zaï Zaï Zaï souffrant comme souffrait déjà à l’époque Le Discours d’une trop grande révérence envers la patte Fabcaro. La malice de ses tranches de vie de la médiocrité du quotidien fonctionne à l’écrit non seulement par leur sens de la fugacité mais aussi parce que leur mélancolie est portée par un vecteur autobiographique. Les héros de Fabrice Caro ne sont que des avatars de lui-même, qui parle de sa propre midlife crisis, même à travers des miroirs différents. Quand ses mots et sa folie sont repris par d’autres, fussent-ils des acteurs aussi brillants que Benjamin Lavernhe dans Le discours et Jean-Paul Rouve dans Zaï Zaï Zaï Zaï, il y a quelque chose qui se perd dans la traduction.

François Desagnat fait ce qu’il peut avec ses armes (sa filmographie ne nous incitant guère à l’optimisme au départ) mais Zaï Zaï Zaï Zaï ne remplit malheureusement pas toujours son office, bien qu’on en retient de belles trouvailles de comédie. On repense entre autres à une scène de reconstitution assez fantastique( l’une de celles qui prend d’ailleurs le plus de temps à installer ses ressorts comiques au passage) ou encore aux apparitions d’une Yolande Moreau fantastique dans ses pas de côté avec l’univers de Fabcaro. Mais au bout du compte, on ressort un brin frustré de ne pas avoir encore eu l’occasion d’avoir véritablement vu une adaptation de ce dernier à la hauteur de ce qui a fait son succès au-delà des CSP+ de la région parisienne.

Barbaque de et avec Fabrice Éboué, Marina Foïs, Virginie Hocq, en salles le 27 octobre

Le Test d’Emmanuel Poulain-Arnaud avec Alexandra Lamy, Philippe Katerine, Joachim Fossi…, en salles le 29 décembre

Zaï Zaï Zaï Zaï de François Desagnat avec Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu, Ramzy Bedia…, en salles le 23 février

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