Rencontre avec Joël Séria et Jeanne Goupil : « Les Galettes de Pont-Aven sont nées grâce à Jean-Paul Belmondo »

Ah les années 70… Dans le sillon de mai 68 et de la révolution sexuelle, la décennie suivante consacra l’explosion des comédies polissonnes voire franchement érotiques. À l’époque où le genre déferle sur l’Europe et le monde entier, de l’Italie au Brésil en passant par l’Allemagne, la France n’échappe pas au phénomène. Les quinquas de la France provinciale au volant de leur deudeuche, adeptes des complets gris-beige et de la bouteille de gros rouge au déjeuner voient déferler sur eux l’amour libre, l’émancipation féminine et la renaissance du désir. Ils en perdent la tête et leurs repères, de voir les certitudes du patriarcat vaciller, alors parfois ils pètent les plombs, rêvent de changer de vie, de préférence avec de jeunes minettes. Et pendant que Bertrand Blier s’amuse à faire péter la bienséance avec Les Valseuses et Calmos en 1974 et 1976, un autre cinéaste lui emboîte le pas : Joël Séria, avec un autre film devenu tout aussi culte, Les Galettes de Pont-Aven.

Séria à l’époque, est un récidiviste dans la provoc grivoise et (dé)culottée. En 1970, époque bénie encore préservée des affres de l’horrible cancel culture qui s’est miraculeusement abattue sur la France depuis que les droitards ont appris à parler anglais, les lobbies cathos obtiennent pour plusieurs semaines l’interdiction pour plusieurs semaines de son premier long-métrage, Mais ne nous délivrez pas du mal. Une histoire de nonnes possédées et de fesses que n’aurait pas renié Jean Rollin inspirée de l’affaire Parker-Hulme dans la Nouvelle-Zélande des années 50, que Peter Jackson reprendra à son tour en 1994 pour façonner ses Créatures céléstes. Le film passe inaperçu, contrairement au suivant, Charlie et ses deux nénettes, road movie de camelots lubriques porté par le regretté Serge Sauvion période pré-Colombienne (le détective à l’imper, pas la civilisation antique). À la clé, 250.000 entrées en France et surtout une rencontre avec Jean-Pierre Marielle, visage à lui seul de l’homme post-soixante-huitard au bord de la crise de nerfs, qui tournera en tout quatre fois chez Séria.

Pour lui, il taille un rôle sur mesure, le rôle d’une carrière peut-être si celle de Marielle n’était pas si colossale : celui d’Henri Serin (comme un serin), représentant de commerce en parapluies, qui sillonne les routes bretonnes pour oublier son mariage qui s’enlise. Il s’arrête à Pont-Aven, la cité des peintres où vécut entre autres Gauguin, ce qui tombe bien car la peinture est l’une de ses grandes passions. L’autre de ses passions, ce sont les culs. Sur place, entre épouses insatisfaites, touristes étrangères aux mœurs légères et prostituées bigoudènes, il se laisse plonger dans une folie des culs qu’on ne reverra pas dans le cinéma français jusqu’à ce qu’Abdellatif Kechiche ne remporte une Palme d’Or. Calmos de Blier sera un flop épouvantable, Les Galettes… dépasseront le million d’entrées, succès honorable mais nettement plus modeste que l’empreinte que laissera le film par la suite.

Dans le sillon de Joël Séria, il y eut certes Marielle, mais il y avait surtout Jeanne Goupil, sa muse de cinéma présente dans quasiment tous ses films, et sa compagne de toujours. Les tableaux d’Henri Serin, c’est elle qui les a peint. Alors pour parler des Galettes de Pont-Aven au public, il était impossible de l’oublier sur la photo pour le festival CineComedies. Non contents de venir présenter au public leur plus célèbre long-métrage, le duo est aussi venu en amis de longue date du tandem Delépine/Kervern, invités d’honneur de cette édition 2021. Adorateurs de la première heure de la filmo de Séria, les cinéastes grolandais leur avaient offert un petit rôle comme parents de Dujardin dans I Feel Good. Une belle façon de boucler la boucle.

Impossible de dissocier vos carrières l’une de l’autre puisque Jeanne, vous apparaissez au casting des films de Joël depuis ses débuts. Comment s’est passée votre rencontre?

Joël Séria : J’avais commencé par un court-métrage qui s’appelait Shadow sur la boxe, parce que j’en faisais moi-même. À la salle, j’avais rencontré ce boxeur noir qui était un puncheur formidable, et ses aptitudes étaient telles que je me suis dit que je ferai un film sur lui. Et le film a beaucoup plu en festival.

Jeanne Goupil : À Hyères, notamment, c’est là que ça a commencé.

JS : Je suis allé le présenter au Festival du Jeune Cinéma à Hyères, qui était un festival de courts-métrages. Sur place, j’avais croisé un jeune cinéaste qui repassait son court qui avait eu un prix l’année précédente. Il m’a demandé ce qu’étaient mes projets et je lui ai expliqué que j’avais une idée de long-métrage autour de deux filles. J’avais déjà trouvé la première, Catherine Wagener. Mais j’avais énormément de difficultés à trouver la deuxième car les parents ne voulaient pas qu’elles tournent.

JG : À l’époque, il cherchait des filles de dix-huit ans mais la majorité sexuelle était à vingt-et-un, ce qui compliquait les choses.

JS : Je lui décris le genre d’actrice que je cherchais et il me parle d’une fille qu’il avait croisé l’année d’avant. Je la contacte à Paris et il se trouve que c’était Jeanne.

JG : J’étais aux Arts-Décos mais j’étais très cinéphile, j’allais deux ou trois fois au cinéma par semaine, comme tous les étudiants dans les années 70. J’avais rempli un formulaire pour être dans un jury moins de vingt ans au festival d’Hyères, dont le président était Michel Simon. J’ai été acceptée, et c’est là que j’ai rencontré ce réalisateur, on avait sympathisé autour d’un film qu’on avait beaucoup aimé.

Comment vous est venue l’idée de faire de Jeanne votre muse de cinéma, elle qui se destinait à l’époque davantage à une carrière d’artiste peintre?

JS : C’était un problème, car elle était pas du tout actrice. Mais j’ai quand même décidé de lui faire faire une lecture avec l’autre actrice, la petite Catherine Wagener. Et elle m’a fait une lecture incroyable, elle avait parfaitement compris le sujet, j’ai été tout de suite conquis. On a même pas eu besoin de faire d’essais!

Mais ne nous délivrez pas du mal a été le premier jalon d’une histoire tumultueuse en raison de la censure qu’il a subi. Mais Les Galettes de Pont-Aven n’ont pas été simples à monter non plus…

JS : Le film est arrivé grâce à Jean-Paul Belmondo. C’est Marielle qui est allé le chercher alors qu’on arrivait pas à trouver de distributeur. Apparemment, Belmondo avait adoré Charlie et ses deux nénettes et Marielle lui a donné le sujet à lire. Il a ensuite organisé un déjeuner où il m’a dit : « Tu sais, je travaille à Billancourt en ce moment, mais dès que tu peux, apporte-moi un script ». Trois jours après, j’y suis allé, et dans sa loge je croise Charles Gérard, son meilleur pote. Belmondo me prend le script et le balance sur une table basse en lui disant : « On va bien trouver un moyen de poser trente bâtons là-dessus! ». Ça tombe bien car à l’époque Charles Gérard connaissait très bien les patrons d’UGC, les frères Edeline. Et en même pas quatre ou cinq jours, on a eu le feu vert et les trente bâtons!

Tant qu’on parle de cette bande, Les Galettes de Pont-Aven, c’est d’abord et avant tout Marielle, votre acteur fétiche. Comment on fait tourner un acteur comme Marielle, avec sa voix, sa gouaille, mais aussi son sale caractère?

JS : C’était très simple car c’était un type extraordinaire, jamais eu une embrouille avec lui. Et il respectait le texte à la virgule près.

JG : C’était un littéraire, Marielle, et il a toujours aimé ces textes, cet univers. C’était pas un acteur qui ne parlait que de lui et ses rôles. On parlait beaucoup de peinture, de littérature.

JS : Pendant un moment, on a loué une petite maison du côté du bois de Boulogne, et Marielle traversait le bois à bicyclette pour venir nous voir.

Je me suis toujours demandé quel était le point de départ des Galettes de Pont-Aven. Est-ce que c’est le désir de tourner dans cette ville, vous qui avez des origines bretonnes, ou bien celui de filmer l’héritage de la peinture, ou encore le lien entre désir et pulsion artistique?

JS : Les Galettes de Pont-Aven, ça part d’une histoire familiale. Mon père était lui-même représentant de commerce, il faisait des grandes tournées dans le Nord, en Bretagne, dans le Bordelais. Et il nous disait parfois quand j’étais gamin qu’il avait rêvé d’être peintre. Et je me suis dit que c’était le genre de personnage qui collerait très bien à Marielle.

C’était d’ailleurs déjà le cas dans Charlie et ses deux nénettes, où il jouait déjà le rôle d’un camelot.

JS : Jean-Pierre était tellement formidable dans Charlie que je me suis dit qu’il fallait que je refasse un film avec lui pour en avoir plus. J’en ai alors parlé à un ami producteur qui travaillait notamment sur les films de Claude Sautet, Jean Bolvary. Pendant un déjeuner sur les Champs-Élysées, il me dit qu’il a lu le script et qu’il a trouvé ça formidable. Il me sort alors une énorme liasse de biftons et me dit banco. Et le pire, c’est qu’au final c’est même pas lui qui produit le film puisque je l’ai produit moi-même!

Pourtant, c’était pas un cadeau qui se présente tous les jours dans une carrière, ça. Comment s’est finalement réglée cette histoire?

JS : Trinacra Films, qui était en train de produire Emmanuelle, devait produire entièrement le film, mais au dernier moment, ils m’ont refusé la garantie de bonne fin. Ils m’ont alors fait une avance sur recettes de dix millions pour que je puisse monter ma propre boîte de production, Coquelicot Films.

C’est presque difficile d’imaginer à quel point la naissance de ce film fut compliquée quand on voit son succès rétrospectivement. Les Galettes de Pont-Aven, c’est plus qu’un film culte, c’est le symbole de la comédie grivoise des années 70, aux côtés des films de Blier notamment. Vous aviez conscience de faire partie d’un mouvement d’ensemble dans le cinéma de cette époque?

JS : Je pense que c’est plus une coïncidence. Notre liberté, elle venait beaucoup du cinéma italien, que j’adorais.

JG : Le succès du film, il vient surtout du fait que le personnage de Marielle est un personnage très attachant, très riche. Il pense qu’en peignant, il va changer sa vie. C’est vrai qu’au fond, c’était quelque chose de très soixante-huitard, sans qu’on s’en rende compte. Ce qu’on voulait filmer à l’époque c’était l’idée de se dire : enfin on va vivre la vie qu’on veut. C’était déjà le cas dans Charlie : ces deux nénettes, elles plaquent leur boulot et elles partent sur la route, elles en ont rien à faire. C’était une autre époque, où il n’y avait pas de chômage, et en pleine révolution sexuelle.

Pour conclure sur une note plus personnelle, vous êtes invités cette année à CineComedies aux côtés de Benoît Delépine et Gustave Kervern, qui n’ont jamais caché à quel point vos films les ont inspiré, jusqu’à vous faire tourner dans I Feel Good

JS : J’ai d’abord connu Benoît de l’époque où il a commencé à travailler chez Canal avec toute cette bande, Jean-François Halin, Jules-Édouard Moustic… Il m’avait même approché à l’époque pour que j’écrive avec eux pour leurs films, mais j’avais refusé, je sais plus trop pourquoi d’ailleurs.

JG : Ca a toujours été un solitaire. Il a toujours aimé écrire tout seul. Mais ce sont des amis très chers, et on a toujours adoré leur cinéma, on se rue en salles à chacun de leurs films.

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