The Assistant : tu veux bosser dans le cinéma ? Regarde !

Commencer la première « vraie » journée du Festival du cinéma américain de Deauville avec The Assistant est sûrement l’une des blagues les plus méta-cinématographiques de l’année. Pourquoi ? Parce que le film retrace une journée de travail auprès de Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice et, pour l’instant, cantonnée au rôle d’assistante d’un puissant dirigeant de boite de production située à New York. Une journée de travail comme les autres ? Tout dépend de quel point de vue vous voyez la chose. Car au-delà des réunions, des cafés et des photocopies à gogo, l’entreprise de Jane a aussi quelques secrets.

C’est bien de se sentir constamment observée… Hmm… Oh wait.

Jane, c’est l’actrice Julia Garner, que l’on a plutôt découverte sur le petit écran dans The Americans (pour ceux qui ont vue cette série, soit pas encore moi) ou sur tout réceptacle de visionnage compatible Netflix à travers The Get Down, Maniac… mais surtout Ozark, où elle tutoie Jason Bateman et met bien la misère dans ses histoires de blanchiment d’argent. Ici, elle campe un personnage prêt à tout pour s’attirer les bonnes faveurs de ses collègues, sans pour autant obtenir la moindre gratitude en échange de ses actions. Vous vous rappelez Le Diable s’habille en Prada ? Bah c’est un peu pareil, mais en version réaliste, hyper déprimant et avec un homme sans nom et sans visage à la place de Meryl Streep.

C’est avec un degré de froideur incroyable que Kitty Green (également scénariste et productrice de son film) filme l’évolution de son héroïne d’un jour à travers son lieu de travail. Aussi, quasiment toutes les activités de Jane sont cadrées avec une précision chirurgicale : le fonctionnement de la photocopieuse, agrafer des copies, faire le tri dans les comptes, distribuer l’ensemble des papiers dans un open-space où règne une ambiance sinistre… et alors que toute humanité a tendance à être invisibilisée. Vous n’entendrez jamais le moindre merci, quasiment jamais le moindre prénom. Vous maudirez les moments de silence gênants « poliment » couverts par le bruit de la climatisation des bureaux et de la circulation alentour. Et vous finirez, vous aussi peut-être, par perdre un peu la notion du temps, et à vous demander si le film se passe effectivement sur une seule journée ou si l’on se perd dans une faille spatio-temporelle.

On aura aussi tendance à voir Jane passer par tous les écueils que peuvent rencontrer les assistantes… Alors qu’elle partage son bureau avec deux autres assistants (qui sont donc deux jeunes hommes, eux, si vous ne l’aviez pas compris), ces derniers n’hésitent pas du tout à lui renvoyer les tâches les plus ingrates… comme se retrouver au téléphone avec la femme du patron, furieuse de ne pas connaître les activités de son mari. Si ce n’était « que » ça, peut-être que ça irait. Mais les prémisses de ce « manspreading » collectif (ces assistants auront aussi souvent l’envie de jeter un œil par-dessus l’épaule de Jane pour épier ses moindres faits et gestes) cachent une toute autre réalité, ou du moins, une réalité que Jane soupçonne.

Trois ans après l’affaire Weinstein et la montée du mouvement #MeToo, The Assistant rappelle qu’Harvey n’était qu’un nom parmi tous les autres que l’on a pu couvrir depuis des années dans l’industrie du cinéma. Et c’est avec un certain effarement que l’on avance dans le film, tant la mise en scène et le scénario de Kitty Green enlisent son héroïne dans une situation de paranoïa destructrice : et si son patron était l’un de ces hommes ? L’arrivée d’une nouvelle assistante, campée par Kristine Froseth, anime ses inquiétudes. Car il y a les on-dit, les blagues des collègues, les murmures, bref : là aussi, la réalisatrice nous immerge avec brio dans un quotidien ultra-toxique, où tout se sait, mais surtout, où tout le monde le sait. Et la scène du film la plus brillante restera sûrement celle de l’entretien entre Jane et le chef des relations humaines de l’entreprise (incarné par Matthew Macfadyen), qu’elle pense – évidemment – être de confiance. Le ton rassurant et conciliant de l’homme vire peu à peu aux jeux de manipulation, pour s’achever sur un constat effarant : Jane n’a pas de preuve, rien de tangible. Alors pourquoi s’embêter ? Et puis… « Ne te fais pas trop de soucis, tu n’es pas son genre ». Tout est dit.

The Assistant, de Kitty Green. Avec Julia Garner, Matthew Macfadyen, Makenzie Leigh, Kristine Froseth, Jon Orsini, et Noah Robbins. Disponible sur OCS. Présenté en compétition lors de la 46e édition du Festival du cinéma américain de Deauville.

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