Moderato Cantabile : Sonatine pour cœurs en peine

La riche filmographie de Belmondo a été remise à l’honneur ces derniers jours, à la suite du décès d’un des acteurs les plus marquants du cinéma français. Parmi ses films moins connus, Moderato cantabile mérite qu’on s’y attarde un peu.

Tourné alors que Belmondo n’était pas encore la star révélée par A bout de souffle, Moderato Cantabile lui permet de partager l’affiche avec Jeanne Moreau. Belmondo et Moreau viennent tous deux du monde du théâtre (avec plus de succès pour la seconde). Ce n’est donc pas étonnant qu’ils soient réunis devant la caméra par Peter Brook, connu avant tout comme metteur en scène de théâtre, notamment pour ses adaptations de Shakespeare. Il adapte ici un livre du même nom de Marguerite Duras qui participe à l’écriture du scénario.

Si vous vous y connaissez un peu en musique, vous vous attendez peut-être au vu du titre à un film musical. Vous auriez tort. La sonatine de Diabelli jouée moderato cantabile par le fils d’Anne Desbarèdes lors de cours de piano a cependant son importance puisqu’elle sert de thème lancinant au film et retranscrit parfaitement l’obsession incontrôlable qui meut les deux personnages. Car en effet, Anne, bourgeoise femme d’un grand chef d’entreprise, est témoin d’un féminicide dans un bar. Elle y rencontre Chauvin, ouvrier embauché par son mari, qui la séduit immédiatement. L’histoire d’amour naissante entre les deux se développe dans l’ombre de celle qui s’est terminée dans le drame.

Étreinte ou strangulation ?

La grande bourgeoise qui trouve dans l’adultère une porte de sortie à la prison qu’est devenue sa vie, est un récit assez classique.  Le film y insuffle une étrangeté qui en est sa plus grande force. Le personnage d’Anne, brillamment interprété par Jeanne Moreau, récompensée à Cannes pour ce rôle, semble insaisissable. Pourquoi le meurtre, qu’elle n’a même pas vu directement, l’obsède à ce point ? Parce qu’elle y a vu la passion qui manquait à sa vie ? Recherche-t-elle dans les bras de Gauvin, l’amour ou la mort ? Avec les verres de vin comme béquille, elle semble tituber dans cette vie qu’elle abandonne progressivement. Les dialogues renforcent ce sentiment d’étrange car ils sonnent comme une pièce de théâtre.

Le fil du film se tisse autour des échanges entre les deux protagonistes qui ont besoin de se parler et de se voir, mais qui préfèrent parler d’une autre histoire que la leur. On commence déjà à y déceler le Belmondo de la Nouvelle vague, celui qui vient de tourner avec Godard même si A bout de souffle n’est pas encore sorti au cinéma.  Sa gueule atypique donne sens à la fascination d’Anne, et il a juste assez de retenue pour laisser la place à la véritable star du film, Jeanne Moreau. La mise en scène en s’attardant sur les visages, souvent quelques secondes de trop, instille aussi la sensation que ces personnages ne savent plus où ils en sont. Pour quelques moments fugaces, ils ont trouvé un compagnon à leur mal-être, accompagnés par la sonatine de Diabelli.

On pourrait regretter que le film ne fasse qu’esquisser une réflexion sur la place de la violence dans les couples. L’homme y apparaît en effet comme une figure menaçante pour la femme et dont la passion ne peut s’exprimer que par la violence. On aurait aimé que Peter Brook s’y attarde un peu plus, mais cela aurait sûrement nuit au sentiment d’éphémère dans lequel se tient le film. Comme les deux amants, le réalisateur sait qu’il n’a pas le temps de s’attarder sur cette histoire qui ne peut durer que le temps d’une sonatine.

Totalement éclipsé dans la filmographie de Belmondo, et dans les remous de la Nouvelle Vague, Moderato Cantabile mérite qu’on y revienne, pour le portrait de ce couple étrange porté par deux formidables comédiens.

Moderato Cantabile, un film de Peter Brook avec Jean-Paul Belmondo et Jeanne Moreau. Disponible sur Ciné +

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