Yellow Cat, Ulbolsyn : Adilkhan Yerzhanov suprématie

L’étrange Festival est, depuis plusieurs années déjà, un événement particulièrement appréciable pour les fans de cinéma kazakh. Si le pays ne bénéficie pas d’une exposition internationale très étendue pour son septième art, Paris est bien loti grâce au festival de l’horreur et du genre bien connu, mais aussi grâce au festival du cinéma kazakhstanais qui a eu lieu pour la première fois en 2019. C’est d’ailleurs grâce à ces liens créés entre les deux pays que les financements de certains cinéastes se font.

Parmi eux, le cinéaste Adilkhan Yerzhanov, dont les polars poético-mélancoliques sont toujours très bien accueilli par le public du Forum des images. Après un cycle en son honneur en 2018, un succès médiatique indéniable avec La tendre indifférence du monde, puis la présentation de A Dark, Dark Man l’an dernier, il revient cette année avec deux nouveaux longs métrages.

Yellow Cat : fuite au cinéma, fuite par le cinéma

Kermel n’a pas eu une vie facile. Après l’orphelinat, des g de jeunesse l’amènent vite en prison. Alors qu’il sort et veut prendre un travail respectable dans une épicerie, son passé le rattrape : un flic corrompu lui ordonne de se mettre au service du truand du coin, sinon couic. Mais Kermel, fan d’Alain Delon, Melville et de cinéma va tenter la fuite en compagnie d’Eva, une prostituée excentrique. Il veut créer un cinéma dans les steppes…

Encore une fois, Yerzhanov filme les étendues désertiques de son pays comme à la fois désolées et pleines d’espoir. C’est cet entre deux qui fait le film ; entre le rêve d’un avenir meilleur et le savoir qu’il ne se concrétisera jamais. Entre l’humour qui s’installe dans les longs plans fixes, chorégraphiés à la Leone, et la mélancolie évidente d’une quête de vie qui ne peut être que mortelle. Entre le désir de penser le cinéma comme salvateur, et celui de révéler ses chimères.

On pense évidemment au clown triste Kitano, encore une fois, sans parler de Melville qui est directement convoqué (ainsi que Gene Kelly), puisque le protagoniste ingénu est défini par sa cinéphilie. C’est à la fois ce qui le sauve dans les situations périlleuses, puisqu’il s’inspire du cinéma pour affronter le danger, et ce qui cause sa perte, puisque rêver propulse la chute. C’est un film magnifique.

Ulbolsyn : citadiner de cons

Dans les derniers films de Yerzhanov, les femmes sont très à la marge. Les tableaux qu’il dresse des communautés rurales kazakh sont particulièrement durs ; pour exister, elles n’ont que peu d’options. La première étant la prostitution, évidemment. Dans Ulbolsyn, c’est donc un personnage de femme inhabituel qui endosse le rôle de l’héroïne. Un personnage surprenant pour les hommes qui l’entoure à bien des égards puisqu’elle incarne un objet de désir (elle a joué dans une pub en gros plan qui laisse croire qu’elle est nue), et un sujet actif et rentre dedans, qui la laisse être apparentée aux hommes.

Ulbolsyn, car c’est son nom, est une citadine. Elle souhaite retirer sa sœur de son école pour l’envoyer à l’étranger et lui offrir un monde meilleur (Yerzhanov lui-même a suivi ce parcours d’ailleurs, puisqu’il a étudié à New York avant de revenir faire des films au pays), mais cette dernière est enlevée sous ses yeux. Le coupable ? Une sorte de gourou local qui profite de son influence pour se constituer un harem. Notre héroïne doit alors faire affaire avec les hommes qui détiennent le pouvoir pour sortir sa sœur de là… Les policiers encore incompétents, les anciennes flammes lâcheurs, un journaliste sans colonne vertébrale, et bien sûr le gourou lui-même.

Comme dans Yellow Cat, le mélange de cruauté et d’humour fait mouche et aide à accepter la noirceur du monde dépeint. L’héroïne, caractérisée par sa doudoune rouge et sa minerve, crève l’écran tant elle détonne face à ses alentours – même visuellement, au milieu de la neige. Le tout est peut-être moins équilibré que le précédent, mais pas moins unique et essentiel.

Depuis, le cinéaste a déjà eu le temps de réaliser deux nouveaux films… On n’est donc pas prêt de le lâcher.

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