Red Rocket : Everything is Bigger in Texas

Il y a quatre ans, Sean Baker capturait les cœurs de la Quinzaine des Réalisateurs avec son deuxième long-métrage, The Florida Project. Le réalisateur de Tangerine, petit coup indé filmé à l’iPhone qui avait fait le tour des festivals, livrait l’un des plus beaux films de l’édition 2017, une merveille de portraits de l’Amérique white trash à hauteur d’enfant dans les décors colorés jusqu’à la nausée d’Orlando, doublé d’une peinture empathique et quasi sociologique de la culture floridienne et ses innombrables parcs d’attractions. Gros succès critique qui s’acheva sur une nomination aux Oscars (injustement) infructueuse pour Willem Dafoe, The Florida Project a propulsé la carrière de Sean Baker dans une nouvelle dimension du paysage cinématographique américain. Conséquence logique : son troisième long-métrage, Red Rocket, a cette année les faveurs de la Compétition officielle pour la toute première fois.

Le sujet de Red Rocket (terme évoquant en anglais l’érection des chiens) en avait fait immédiatement un objet de curiosité chez les festivaliers bien renseignés : Mikey Saber, prolifique acteur de films pornographiques, rentre pour d’obscures raisons dans son Texas natal, où il s’installe chez son ex-petite amie, elle aussi ancienne hardeuse, et sa belle-mère. Pour l’incarner, le cinéaste s’est tourné vers Simon Rex (déjà un magnifique blase de pornstar en soi), plutôt connu pour ses passages dans la saga Scary Movie (pas toujours les meilleurs d’ailleurs) et d’autres pochades parodiques encore plus inavouables. Fauché, il pense relancer sa carrière en s’entichant d’une jeune serveuse, Strawberry (Suzanna Son), pas encore tout à fait majeure mais dont il souhaite faire la nouvelle star de l’industrie.

Le monde du X et des travailleurs du sexe n’est pas un sujet inconnu pour Sean Baker, qui travaille depuis de nombreuses années en lien direct avec ce monde, ayant dû notamment démentir son implication il y a quelques années dans un projet de documentaire un peu louche mené autour de la plateforme OnlyFans par l’actrice Bella Thorne. Si les interprètes principaux de son film sont des performeurs fictifs, le film s’inscrit d’ailleurs dans une toile de fond réaliste sur l’industrie, convoquant les noms d’acteurs, actrices et compagnies réelles. Mais le porno ne reste qu’une toile de fond à son récit servant avant tout à des éléments de caractérisation de Mikey Saber, acteur washed-up dont on comprend bien vite qu’il s’est plus ou moins fait virer de la Porn Valley.

L’un des grands malentendus autour de Red Rocket tourne autour du personnage de Saber, insupportable beau parleur, magouilleur minable et prêt à tous les sales coups pour se remettre dans le jeu, quitte à flirter ouvertement avec la pédophilie (élément de caractérisation un poil gratuit qui n’a pas manqué de soulever la polémique) pour satisfaire son ego trip de vieux beau détestable. C’est la principale différence qui sépare Red Rocket de The Florida Project : si le second portait un regard très doux et attachant sur ses personnages malgré toutes les idées préconçues que l’on peut poser sur eux, le premier est un portrait beaucoup plus amer d’un glandeur qui n’a guère beaucoup de qualités pour lui, malgré tout l’abattage de Simon Rex pour nous faire penser le contraire. Mikey Saber fait davantage penser à une version péquenaude d’Howard Ratner dans Uncut Gems des Safdie, qui à force de coups foireux finit miraculeusement voir les étoiles s’aligner devant lui, mais pour combien de temps…

Pour le reste, Red Rocket n’arrive malheureusement pas à la hauteur de son joli prédécesseur. La caméra de Sean Baker sait toujours aussi bien capter ces instantanés de l’Amérique déclassée (et MAGA par ailleurs, le film se déroulant autour de la campagne présidentielle de 2016) avec ses buildings hasardeux aux couleurs criardes, ses ruines urbaines et ses longues plages de mélancolie. Le problème, c’est que tout cela ne surprend plus guère et vire parfois au décalque un peu mécanique de The Florida Project qui aurait troqué une région mal aimée de l’Amérique pour une autre.

Red Rocket ne manque en aucun cas de qualités, de vivacité ni même d’humour. Mais le tout semble un peu s’appesantir sans réussir à capturer la magie du motel bariolé de la Seven Dwarves Lane il y a quelques années. Sean Baker soigne son retour à Cannes, mais le soigne tellement qu’il donne l’impression d’arriver en compétition avec le mauvais film, une impression loin d’être isolée dans cette compétition qui, on commence à le craindre, n’aura finalement jamais réussi à vraiment décoller. Comme son héros, Red Rocket bande parfois un peu mou. Ce n’est pas un échec en soi, et la Compétition aura vu passer d’autres propositions de cinéma mémorables. On dira juste qu’en fin de compte, c’est un peu court, jeune homme.

Red Rocket de Sean Baker avec Simon Rex, Bree Ellrod, Suzanna Son, sortie en salles encore non communiquée.

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