Blue Bayou : Loin de la brume électrique

Chaque année la sélection Un certain Regard permet de caser des productions indépendantes souvent portées par une star pour attirer un peu de lumière sur ce qui est souvent considéré comme l’antichambre de l’Officielle. Cette année, on pouvait notamment compter sur Colin Farrell pour porter le très beau et délicat After Yang de Kogonada, mais aussi sur Alicia Vikander, à l’affiche de Blue Bayou. Le premier long-métrage de l’acteur-réalisateur Justin Chon, notamment connu comme second rôle dans la saga Twilight, arrive sur la Croisette auréolé d’un soutien de taille : celui d’Universal, le producteur du film, nous permettant donc de nous rappeler que de temps en temps les majors américaines daignent encore faire le déplacement à Cannes.

Projet personnel porté par l’acteur-réalisateur qui s’était remarquer en 2017 avec son court Gook, Blue Bayou aborde à travers l’exemple de son héros un drame qui touche de nombreuses familles à travers les Etats-Unis : l’expulsion d’enfants nés à l’étranger du fait de vides juridiques dans lesquels se sont engouffrés de nombreuses législatures locales. Déjà en place avant l’arrivée de Trump au pouvoir, le processus s’est évidemment accéléré sous la présidence du 45ème président des Etats-Unis sous l’impulsion de sa politique nativiste et suprémaciste. L’histoire de Blue Bayou illustre ainsi l’exploitation de l’ignorance de certaines familles quant aux différences de processus administratifs entre ceux adoptés avant la promulgation du Child Citizenship Act de l’an 2000 et ceux adoptés après (qui en vertu de la loi deviennent automatiquement américains dès le jour de leur adoption).

C’est ici le cas d’Antonio, jeune garçon né en Corée mais arrivé dès son plus jeune âge au pays de l’Oncle Sam. Bien qu’élevé et présent depuis plus de trente ans sur le territoire américain, le jeune homme est encore aux yeux de l’état américain un clandestin. Arrêté un jour suite à une dispute avec deux policiers sous les yeux de sa famille, il se retrouve sous le coup d’une procédure d’expulsion et risque de devoir quitter le seul pays qu’il a connu.

Ni une réflexion sur le déracinement culturel comme a pu récemment l’être un Minari par exemple, ni un drame judiciaire sur les complexités retorses (et racistes) du système pénal américain, Blue Bayou (titre emprunté à un titre de Roy Orbison repris dans le film) n’est en réalité par grand-chose et c’est bien ce qui pose rapidement problème. Soucieux de ne pas vouloir charger la barque du pathos, Justin Chon s’emmêle les pieds de l’histoire qu’il souhaite raconter et finir vite par brouiller complètement le sujet de son film. Jamais capable de creuser totalement chaque piste qu’il ouvre (sa rencontre avec une immigrée vietnamienne incarnée par Linh-Dan Pham est prometteuse mais souvent sous-exploitée), Blue Bayou veut peindre un tableau nuancé qu’il en devient contre-productif.

Car dans l’Amérique de Blue Bayou, non seulement rien n’est tout noir ou tout blanc, mais le film s’entête toujours à répéter que seul le système est cassé et non pas ceux qui l’incarnent. Non seulement on y retrouve lot habituel de good cops/bad cops mais le film va encore plus loin en faisant d’un des meilleurs amis d’Antonio… un employé de l’ICE, la fameuse division de contrôle de l’immigration américaine dont les innombrables dérapages inhumains sous l’administration Trump ont profondément contribué à la division du pays. Le principal défaut du film, c’est qu’il passe autant de temps à dénoncer un système injuste, violent, broyeur de vies, de cultures et d’identité, qu’il n’en passe à essayer d’absoudre ses agents. Cette attitude « Not All Cops » flirte carrément avec le ridicule autour d’un personnage, celui d’Ace (Mark O’Brien), flic aux méthodes d’ordure absous on ne sait trop comment par l’amour de sa fille, qui n’est autre que la belle-fille d’Antonio dont il est le père biologique.

On comprend vite pourquoi Universal s’est précipité pour produire ce Blue Bayou d’une platitude morale terrible, plus tranchant que le couteau en plastique d’un plateau de cafétéria. Blue Bayou ne trouve jamais que de coupables et que des victimes parce qu’au fond vous comprenez bien, « cestlafauteausystème » mais quand même « fautpasmettretouslesflicsdanslemêmesac ». Pas aidé par une réalisation hésitante, capable d’aligner quelques belles idées avant de les plomber par des choix de mise en scène semblant ressurgis du fin fond des années 90 comme chez Sean Penn (ralentis et effets de flous en close-up foireux), Blue Bayou est un film qui emploie des trésors d’ingéniosité pour ne froisser personne, aux antipodes de grands films politiques que le cinéma indépendant a pu nous proposer ces dernières années, l’immense Blindspotting en tête de file. Un coup d’épée dans l’eau, qui finit par s’embourber en plein dans les immenses marécages de la Louisiane.

Blue Bayou de et avec Justin Chon, avec Alicia Vikander et Linh-Dan Pham, sortie en salles prévue le 15 septembre

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