Les poings desserrés : réparer les vivants

C’est ce qu’il y a de mieux à Cannes. S’asseoir sans trop savoir à quoi s’attendre et ressortir les yeux plein de cinéma. Avec Les poings desserrés, son second long-métrage, Kira Kovalenko frappe un grand coup dans cette sélection Un certain Regard.

Le film nous plonge dans un petit village de l’Ossétie. Une jeune fille à l’air très timide attend avec une impatience difficile à contenir le retour de son grand frère que l’on comprend parti de la famille depuis quelques temps. Elle est restée avec son petit frère et son père, mais on devine vite que quelque chose ne va pas et qu’elle a besoin d’être sauvée. Sauvée de quoi ? On ne le saura jamais totalement tant le film de Kira Kovalenko se construit dans la retenue. Un événement traumatisant semble avoir affecté toute la famille en causant la mort de la mère et en blessant gravement la fille. Depuis, la famille survit difficilement sous la coupe d’un patriarche qui semble autant aimé que détesté de ses enfants.

Ada, la jeune fille, fait penser à une marionnette transportée, touchée, bringuebalée par tous les hommes de son entourage. Elle subit tout, en essayant de faire entendre sa petite musique, celle d’un espoir de fuite pour un autre monde. Un monde dans lequel elle serait à nouveau entière, sans honte ni séquelles. Il fallait une prestation extrêmement solide pour pouvoir rendre compte des sentiments de ce personnage aussi complexe qu’introverti. Milana Aguzarova brille pendant tout le film et mérite un prix d’interprétation de la part du jury Un certain regard. Avec son regard craintif, et sa façon de rentrer son corps en elle-même comme pour prendre le moins de place possible, elle rend à la perfection toute la profondeur, la fragilité et la force du personnage d’Ada à chacun de ses gestes.

Kira Kovalenko a précisé avant la séance avoir été l’élève de Sokourov. C’est se mettre un sacré poids sur les épaules tant le réalisateur russe est reconnu pour la maestria de ses réalisations sophistiquées. Mais en voyant Les poings desserrés, on ne se fait pas trop de souci pour la jeune réalisatrice. Les plans sont travaillés et signifiants. La caméra est toujours placée à bonne distance des personnages, n’hésitant pas à les laisser s’éloigner quand ils tentent de repousser les limites du cadre qu’on leur impose. Le regard de Kira Kovalenko est ainsi toujours juste sur les personnages qu’elle filme. Dans son beau plan final, le film s’achève en laissant Ada dans un flou libérateur.

Puissant, dense, sobre, contenu et poignant, les adjectifs s’empilent et l’on comprend qu’on a vu l’un de nos coups de cœur de cette édition du festival. Parions que Kovalenko sera un nom à retenir de la jeune garde russe.

Les poings desserrés, de Kira Kovalenko avec Milana Aguzarova, Soslan Khugaev et Arsen Khetagurov,

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