Lettre à Momo : une merveille de simplicité

Lettre à Momo, cinématraque

Pour le public lambda, le nom de Hiroyuki Okiura ne dit sans doute pas grand-chose, et pour les cinéphiles il n’évoque à peine que son premier coup de maître : Jin-Roh. Pour les amateurs de dessins animés par contre, Okiura est un génie, certes discret, mais qui s’est illustré comme directeur de l’animation sur les deux Ghost In The Shell de Mamoru Oshii, mais également en tant qu’animateur clé sur Akira de Katsuhiro Otomo, Cow-Boy Bebop de Shin’ichirō Watanabe, la série Paranoïa Agent de Satoshi Kon et surtout le long métrage Paprika du même réalisateur. L’excellence de son travail a poussé Oshii à lui proposer de se lancer dans la mise en scène en adaptant son scénario pour Jin-Roh. Un récit d’anticipation antifasciste modernisant le petit chaperon rouge. Un bijou qui fait encore aujourd’hui de l’ombre au deuxième film (et dernier en date) d’Okiura : Lettre à Momo.

Après le succès de sa première œuvre, Okiura a voulu se détacher de son sensei en façonnant une histoire originale, plus personnelle. Une mère et son enfant décident, suite au décès du père océanographe, de quitter Tokyo et revenir sur l’île de Shio. Sur place, Momo va assister à des événements surnaturels. L’histoire est peut-être convenue, et rappelle un autre film chroniqué dans nos pages : Okko et les fantômes. Mais c’est justement la simplicité du récit qui permet au cinéaste de se concentrer sur la puissance de sa réalisation et ce qui fait tout l’intérêt de son art, l’animation. S’il y a un intérêt financier évident à choisir de peindre à l’aquarelle des paysages et des décors statiques, ce choix participe d’une même volonté d’épure et de délicatesse valorisée par les traits en mouvement des personnages. L’ensemble reposant quasi uniquement sur le travail manuel de son équipe. Cette façon d’animer Momo dans un espace figé rend ce monde plus irréel, fantomatique. Le temps s’est arrêté. Les fans de Jin-Roh souhaitaient peut-être le voir creuser la voie du cinéma de science-fiction cyberpunk, Okiura est en fait plus attiré par la littérature enfantine (Le petit chaperon rouge). Tout comme l’on était impressionné par les émotions qu’il réussissait à transmettre à travers les détails du visage de l’adolescente dans Jin-Roh ; on est bluffé par les effets du vent sur les cheveux de la jeune Momo. De la même manière, le simple regard de la mère scrutant une photo de son mari suffit à faire à nouer la gorge du spectateur.

Lettre à Momo, Cinématraque 2

Arrivé sur les écrans en 2012, Lettre à Momo a mis sept ans à se faire et pendant ce temps le monde de l’animation s’est transformé. En faisant plus de place au soutien informatique pour réaliser animés et OVA, l’industrie du cinéma japonais n’a pas rendu les choses faciles au moment de la sortie du film. Pourtant, Okiuria a insisté pour que son deuxième long métrage soit essentiellement confectionné à la main. Le résultat est, aujourd’hui encore, assez merveilleux. Un choix artistique revendiqué jusque dans les dialogues. Alors que l’adolescente et sa mère arrivent chez le grand-oncle, cette dernière s’exclame : « c’est exactement comme avant ». Ce à quoi Momo répond : « c’est vieux ». À cela la première rétorque « c’est exactement ce qui fait son charme ». L’humanité qui ressort ce drame familial aurait été aseptisée si Okiuria avait tout cédé à l’image numérique. Celle-ci toujours balbutiante ne pouvait d’ailleurs pas atteindre la finesse qu’elle peut toucher aujourd’hui. S’il y a une recherche de l’authenticité qui rappelle le travail d’Isao Takahata (Kié la petite peste), Lettre à Momo s’inscrit surtout dans le récit fantastique. Le conte pour enfants où des entités surnaturelles rendent encore plus nécessaire le recours à l’animation. Tout comme plus tard la fillette dans Okko et les Fantômes, Momo va se confronter à trois esprits frappeurs. Loin d’être des ajouts artificiels, ils permettent d’alléger le drame du deuil et de divertir l’adolescente, autant que le spectateur et l’artiste.

On sent chez l’auteur un vrai plaisir de filmer ce drôle de trio. Que cela soit Iwa (la grosse tête barbue rappelant le chef des pirates de Porco Rosso), Kawe (un homme mi-lézard, mi-poisson) ou Mame (qui rappelle Golum, référence consciente puisque l’acteur japonais qui interprète est celui qui fait la voix japonaise de Golum dans le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson). Le choix de l’animation offre la possibilité à Okiura de de concrétiser le concept japonais de Yokaï, ces manifestations de phénomènes naturels dont personne ne peut expliquer la cause. Ce mode d’expression met en valeur un monde qui sinon serait invisible.

Lettre à Momo, Cinématraque 3

Le choix de l’animation ne permet pas seulement de souligner le réalisme des sentiments des deux personnages principaux, il autorise aussi au cinéaste une certaine latitude dans l’expérimentation. Il ne s’en prive pas ! La séquence qui ouvre le long métrage, qui voit l’arrivée sur terre de trois formes évoquant des organismes unicellulaires, se transformant en gouttes d’eau, avant qu’elles ne prennent l’allure des créatures est éloquente. Autant que celle qui ferme l’œuvre lorsque les trois entités inviteront les esprits de l’ile à venir en aide à la gamine. Véritable climax du film : le dessin s’emballe et on décèle dans cet entrelacement animal, une masse musculaire ressemblant aux mutations d’Akira, mais également au tsunami de faunes maritimes vu dans Ponyo d’Hayao Miyazaki sortie quelques années plus tôt. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve à des postes clés Masashi Ando et Hiroshi Ono au générique. Ils occupaient respectivement la fonction de chef d’animation sur Le Voyage de Chihiro et celui de directeur artistique sur Kiki la petite sorcière.

Moins spectaculaire que Jin-Roh, plus modeste et discret, à l’image de son metteur en scène, Lettre A Momo mérite qu’on revienne vers lui. Qu’on lui offre plus qu’un regard poli comme il a pu être accueilli à l’époque. En attendant de voir ce que pourra proposer dans le futur son créateur qui travaillerait encore sur deux projets de longs métrages destinés pour le premier aux enfants et pour le second à un public plus adulte.

Lettre à Momo de Hiroyuki Okiura actuellement sur Ciné +.

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