The Boys Next Door : Incel Culture

Roy Alston (Maxwell Caulfield, connu pour Grease 2) et Bo Richards (Charlie Sheen, connu pour être Charlie Sheen) sont deux adolescents de la classe ouvrière qui viennent de terminer le lycée. Furieux à l’idée de n’avoir aucun avenir, condamnés à travailler à l’usine ou rejoindre l’armée, ils décident de fuir une journée à Los Angeles et vivre un moment de liberté où ils pourront tout se permettre…

Dans les années 80, la cinéaste Penelope Spheeris connaît un certain succès sur la scène underground grâce à une série de documentaires sur la scène punk rock et métal de Los Angeles. Sans grande surprise, son cinéma de fiction s’inscrit alors dans un univers de B-movies mettant en scène la violence et la rage de la jeunesse marginalisée du pays. C’est le cas de The Boys Next Door, produit par le géant du B-Movie Sandy Howard, qui sort en 1985 et qui rejoint aujourd’hui la Midnight Collection chez l’éditeur vidéo Carlotta.

Les bonus du DVD nous révèlent qu’aujourd’hui la réalisatrice regrette avoir mis en scène autant de violence dans ses longs-métrages de l’époque (elle est aujourd’hui surtout célébrée pour son passage dans le mainstream avec le carton Wayne’s World en 1991), surtout dans le cas de The Boys Next Door qu’elle a réalisé juste après la mort de son frère. Pourtant, c’est un témoignage encore vif et édifiant sur une décennie qui à bien des égards marque un basculement vers le pire dans le pays.

Les années Reagan, du bodybuilding, du consumérisme et de l’hétéronormativité vampirisent le long-métrage : Bo et Roy sont deux jeunes garçons déclassés, totalement en dehors de ce qui font les hommes, les vrais. Ils sont pauvres. Plutôt gringalets. Et les filles ne veulent pas d’eux. Pire, tout le monde les prend pour des homosexuels (et la caméra de Spheeris en joue dès le premier plan, lorsque les deux comparses dessinent l’emplacement d’un cadavre à la craie devant leur lycée, accompagnant les mains et les bras d’un regard très appuyé), ce qui en vient à les exclure totalement de la société du moment.

Elle sait exactement ce qu’elle filme, Spheeris.

La fuite vers Los Angeles des deux garçons peut alors être comprise comme une tentative d’atteindre un idéal qui leur est refusé ; si Hollywood s’est installé à la Maison Blanche, alors rejoindre la vallée du cinéma devrait leur permettre de devenir les hommes qu’ils se fantasment dans leurs têtes déboussolées. Comme si le simple fait de respirer l’air de la cité des anges les rendraient plus grands, plus virils, plus désirables… Mais ce n’est qu’une désillusion de plus pour eux. En somme il faut voir leurs aventures comme le verso des actioners ultra testostéronés de la période, l’envers du décor dans tout son pathétique vicié. A Los Angeles, Bo et Roy passent des lieux les plus carte-postales et typiques (la plage) aux univers des marginaux que Spheeris connaît bien : les trottoirs envahis par les punks, et même un bar gay qui les mène à leur premier véritable meurtre.

Car Roy, le plus agressif et assertif des deux, refuse de voir autre chose qu’un décor dans la ville des stars, et se lance dans ce que les comparses appellent une « journée pré-historique », sorte de The Purge avant l’heure : une journée où ils peuvent tout se permettre. Et particulièrement avec les femmes qui continuent de se refuser à eux. Sur ce point l’habileté du film est de ne jamais nous rendre les protagonistes sympathiques, ou même d’essayer de les comprendre. Malgré un parallèle maladroit introduit en début de film avec les tueurs en séries et leurs meurtres inexplicables, on ne peut que voir (et regarder) Bo et Roy comme des incels.

Ce terme relativement récent et ici anachronique s’applique à des hommes qui se considère comme « célibataire contre leur gré » et accusent les femmes, créatures superficielles et infidèles, de leur préférer d’autres hommes. Peu de gens savent par ailleurs que ce concept a été forgé par une femme nommée Alana en 1997 ; sur un forum, les gens étaient conviés à partager leurs solitudes, leurs doutes, leurs tristesses quant à leur incapacité de se retrouver dans une relation amoureuse. Avec le temps le terme a été repris par des hommes frustrés (le mot est faible) et dangereux (le mot est faible aussi), qui n’acceptent pas que les femmes refusent de coucher avec eux. Certain ont même commis des meurtres que l’on pourrait qualifier d’actes terroristes.

Sans expliquer le comportement terrible de ses personnages, qui ont chacun leurs extrêmes (Roy est plus prompt au meurtre tandis que Bo ne semble pas capable de penser à autre chose qu’aux filles), la cinéaste les inscrit donc dans une réalité qui encore aujourd’hui reste palpable : des hommes qui sont prêts à tout détruire parce que le monde leur refuse les rêves qu’on leur a promis. En cela, et même s’il s’agit d’un B-movie sans grande prétention, The Boys Next Door est toujours aussi actuel.

The Boys Next Door, un film de Penelope Spheeris, sorti en 1985 et disponible en vidéo chez Carlotta en mai 2021.

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