Felix in Wonderland : The man machine

Marie Losier fait partie de cette galaxie de cinéastes francophone touche-à-tout, aux côtés de Yann Gonzalez ou Bertrand Mandico, que l’on peut rattacher à l’ADN de Cinématraque. Si on a suivi les deux derniers dès la naissance du site, la sensibilité LGBTQI et totalement queer est depuis plus qu’assumé aujourd’hui par la direction de notre site ; elle est revendiquée. On célèbre d’autant plus, dorénavant, les cinéastes qui embrassent ces mêmes mouvements. Le site est arrivé bien après la sortie de The Ballad of Genesis and Lady Jaye, premier long métrage de Marie Losier, mais on a évidemment soutenu celle de Cassandro The Exotico. À l’occasion d’un travail artistique de ce groupe de créateur.ices, nous avions pris beaucoup de plaisir à retrouver il y a quelques années Yann Gonzalez et Bertrand Mandico et surtout à rencontrer enfin Marie Losier. Le seul hic, dans cette histoire, c’est que nous n’avons pas eu l’occasion de couvrir la rétrospective de ses œuvres au Jeu de Paume un mois plus tard. S’il est difficile de réparer cette erreur, on peut toujours vous conseiller de vous ruer sur Felix In Wonderland, son « presque » troisième long métrage disponible sur Ciné+.

Felix, c’est Felix Kudin, instrumentiste allemand qui approfondit le travail déjà réalisé par Kraftwerk et la new wave de son pays au cœur de la musique électronique. Il s’inspire du dadaïsme du théâtre radiophonique et des installations contemporaines tout en étant influencé par la science-fiction et la culture pop ou les films gores. C’est le nouveau sujet de Marie Losier et comme à son habitude, elle s’intéresse au corps de l’artiste, ici blême et filiforme : semblable aux chanteurs robots de Kratferk. Et elle imprime l’organique en le photographiant sur la matière du 16 mm qui obsède la cinéaste. Car si l’on peut la rattacher à Gonzalez et Mandico, elle s’en éloigne par le choix du documentaire, là où ses amis se concentrent sur la fiction. Chez elle, contrairement à trop de documentaristes, il n’y a aucune volonté de faire croire aux spectateurs qu’elle restitue le réel. Les personnages de ses films eux-mêmes ne font pas mystère qu’ils cherchent à magnifier leur existence. Cette façon dont la metteuse en scène travaille la pellicule, le montage (on repense à l’utilisation des images de communication vidéo sur ordinateur dans Cassandro) ou la lumière participe à créer un univers unique permettant grâce au cinéma d’approcher les identités qui lui servent de sujet. Avec Felix in Wonderland on sent que Marie Losier est plus confiante, une assurance qu’elle a acquise avec Cassandro où pour la première fois elle se représentait avec son personnage.

Ses films sont des déclarations d’amour à des êtres sensibles que la caméra, prolongement naturel de son corps, cherche à embrasser. Il y a un moment très beau dans Felix in Wonderland, c’est lorsque le musicien propose au téléphone à sa mère de faire une expérience où il tenterait d’enregistrer le son qu’elle ferait dans un réfrigérateur. Une idée saugrenue, mais à la voix de sa génitrice on sent que la folie douce du fils est une des raisons de son amour qu’elle lui voue. Cet amour, c’est celui de Marie Losier tout aussi fascinée par le personnage qu’elle filme. La cinéaste mobilise toute sa mise en scène pour créer un cocon visuel où Félix se retrouve dans de microfictions fantastiques ou gores qui captivent tant Kudin. Losier participe, avec lui, à magnifier le monde. Ce regard maternel envers son sujet on le perçoit également à l’occasion d’un concert, Felix Kudin imagine une chorale d’enfants. Losier suit Kudin dans l’arrangement de la musique, la préparation du spectacle et surtout filme l’artiste au milieu des gamins, autant au travail qu’à la cantine. Kudin est dans son élément lorsqu’il est entouré d’écoliers. Si l’objet s’intitule Felix in Wonderland, ce n’est pas un hasard. Félix est une version masculine d’Alice qui parcourt un univers fantasmagorique, mais c’est aussi un créateur de mondes où la naïveté côtoie l’exigence des compositions électroniques, comme la naïveté fusionnait avec les mathématiques chez Lewis Caroll. Ce travail sur la forme, qui à première vue s’éloigne du réel, est au contraire un des meilleurs moyens de restituer la réalité, complexe, de l’humanité qu’elle cherche à présenter aux spectateurs.

Felix in Wonderland de Marie Losier, avec Felix Kubin. 2019. Disponible sur Ciné+

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