Muriel ou le temps d’un retour. Passé compliqué

Troisième film d’Alain Resnais après les deux chefs-d’œuvre que sont Hiroshima mon amour et L’année dernière à Marienbad, Muriel est un film moins connu du cinéaste. La sortie récente en Blu-ray de la version restaurée en 2K du film chez Potemkine est l’occasion de se repencher sur ce film qui mérite d’être redécouvert.

Muriel s’ouvre sur le personnage principal du film, Hélène, interprétée par l’une des plus grandes actrices du cinéma français, Delphine Seyrig. Vivant avec son beau-fils, Bernard, elle attend la visite d’un ancien amour de jeunesse, qui arrivera accompagné de sa nièce Françoise. Les esprits les plus affûtés parmi nos lecteurs me demanderont alors : mais quid de Muriel ? Muriel n’apparaitra jamais dans le film. Elle est d’abord présentée comme la copine de Bernard, puis comme un souvenir traumatisant de la Guerre d’Algérie. Si elle donne son nom au film, c’est qu’Alain Resnais fait de ces souvenirs obsédants, la matière profonde de son récit. Dans la ville de Boulogne-sur-Mer, détruite à 85% pendant la seconde guerre mondiale et reconstruite, Bernard semble lutter contre ce qu’il a vécu (ou plutôt fait vivre) en Algérie, tandis que Hélène et Alphonse essayent de revivre ensemble l’amour qu’ils ont connu et perdu. Tout le monde semble donc égaré dans ce passé qui les hante, incapables d’exister dans le présent.

Et pourtant, si le passé les obsède, il semble aussi les fuir. Le film joue en permanence avec l’illusion de la mémoire. Les anciens amants n’arrivent pas à se retrouver et sont même en désaccord sur ce qui les réunissait. Les faits divergent d’une discussion à l’autre. Tout semble glisser dans un brouillard vertigineux et leurs tentatives pour se raccrocher aux branches d’un souvenir commun sont condamnées à l’échec. L’incroyable montage du film restitue cette perte de repères. Les dialogues sont hachés, incompréhensibles, comme si toute communication réelle était impossible. Le temps est découpé à la hache, lors d’un repas on passe de l’entrée au dessert en un clignement d’œil. Le repas a-t-il alors seulement existé ? Par la virtuosité du montage, Alain Resnais rend le présent aussi inaccessible que les souvenirs des personnages et donne au film toute sa puissance évocatrice.

La guerre d’Algérie est ainsi évoquée simplement dans la conversation par les personnages. Bernard y a été soldat alors qu’Alphonse y a vécu un an comme gérant d’un café. Pourtant dès leur première conversation, les deux hommes n’arrivent pas à créer du lien entre leurs expériences. Alphonse ne donne pas le nom du café qu’il est censé avoir géré et qui devient un club select au fil de la conversation. Leurs expériences du pays semblent profondément différentes et on peut même s’interroger sur l’authenticité des souvenirs d’Alphonse. La simple évocation de l’Algérie est donc source de troubles. Bernard ne semble jamais ne s’en être remis. Et les guerres, non-dits et non-pensés de l’Histoire et de leurs histoires, planent autour de ces personnages incapables de communiquer entre eux, isolés dans leurs propre prison mémorielle, symbolisée par les murs reconstruits d’un petit appartement exigu à Boulogne-sur-Mer. Un appartement qui semble bien trop petit pour accueillir tous ces meubles anciens qui prennent toute la place. Car oui, Hélène est antiquaire. Évidemment.

Muriel ou le temps d’un retour, un film d’Alain Resnais, avec Delphine Seyrig, Jean-Pierre Kérien et Jean-Baptiste Thierrée. En DVD et Blu-ray chez Potemkine.

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