NewImages Festival : une réalité alternative testée et approuvée

Vous le savez : chez Cinématraque, on adore le Forum des images. Mais vraiment beaucoup. D’ailleurs, si vous n’avez pas encore lu l’article de Captain Jim sur le prochain cycle de films à venir du 30 septembre au 13 novembre, « Tant qu’il y aura du mélo », vous pouvez le retrouver juste ici ! Il aurait bien aimé se rendre à la 3e édition du Festival NewImages, consacré à toutes les formes de création numérique (films en réalité virtuelle, expériences immersives, réalité augmentée…), mais cette fois c’est bibi qui s’y colle. Pour vous dire que Renaud est fan, il a écrit sur les éditions 2018 et 2019 du festival, et maintenant il devient Sonic quand il met son casque Oculus sur la tête une fois chez lui.

Cette troisième édition, d’abord prévue du 10 au 14 juin, a bien évidemment été parasitée par le petit virus que vous connaissez tous, mais pour les équipes du festival, il était hors de question d’annuler totalement l’événement. C’est donc pour cette rentrée de septembre, du 23 au 27, que NewImages a fait son grand retour en même temps que d’autres grands noms du cinéma : Venise, Toronto, Deauville… Une édition à la fois déployée en ligne (les panels et sessions de pitchs comme toutes les expériences étaient disponibles) et physiquement, au Forum des images et sous la Canopée des Halles, comme d’habitude, même jusqu’à une piscine du 11e arrondissement pour une expérience aquatique (!).

Il aurait évidemment été difficile d’attirer le grand public, pour lequel le festival est toujours entièrement gratuit (!!!), en se contentant uniquement d’une édition en ligne, puisque tout le monde n’a pas une installation Steam VR ou un HTC Vive chez soi. Ce pourquoi le Forum des images a maintenu ses installations et est parvenu à afficher complet lors du week-end consacré à tous les publics. Protocole sanitaire oblige, les casques étaient nettoyés, désinfectés, balayés aux rayons UV (dans une Cleanbox !) : bref, tout virus était décimé !

On ne peut donc que saluer le travail de toute l’équipe du festival, qui a dû jouer des pieds et des mains afin de trouver les solutions adéquates pour maintenir la présence physique de l’événement malgré le fourbi protocolaire français – et probablement la crainte permanente d’une annulation de l’événement en cas d’augmentation du nombre de malades (parce qu’on est en super rouge, vous avez compris ? SUPER ROUGE !). Non seulement ça, mais aussi de rendre accessible à tous un panel de créations inédites et représentatives de l’avancée des nouvelles formes de narration immersives.

Si nous n’avons pas eu la chance de découvrir l’intégralité des installations déployées dans l’ensemble des espaces, nous nous sommes du moins focalisés sur une majeure partie des œuvres en compétition. On vous en parle ci-dessous !

Bodyless, Hsin-Chien Huang

Récompensé du Masque d’Or pour la meilleure œuvre en réalité virtuelle, Bodyless nous replace dans les souvenirs d’enfance de son réalisateur, dans le Taïwan des années 1970, où le peuple était déshumanisé et méprisé par les classes dirigeantes. Vous incarnez – vraisemblablement – l’âme d’un prisonnier dont la dépouille est abandonnée dans sa cellule, n’ayant que du papier journal en guise de couverture…

Vous devenez pleinement cette âme qui descend au royaume des morts : littéralement, vous volez. Et c’est très déstabilisant au départ – c’est l’une des premières fois que j’ai personnellement éprouvé une grande sensation de vertige et l’impression de tomber dans le vide alors que j’étais bien assis sur un siège. Cette expérience vous laisse prendre totalement possession de votre corps céleste lors du septième mois du calendrier lunaire, au cours duquel les esprits jaillissent à nouveau dans le monde des vivants, dans lequel vous pourrez glaner des informations ou redécouvrir des souvenirs. Et pourtant ce monde se dérobe à vous, perd ses couleurs, ses formes, pour vous abandonner dans un dédale de tours minimaliste aspergé (de produits désinfectants dans un monde COVIDien ?) par des soldats géants…

Bien qu’il soit profondément expérimental, Bodyless est sûrement l’un des films les plus immersifs qu’il nous ait été donné de découvrir cette édition, rendant son spectateur également acteur face à la chute d’un monde et la perte de ses libertés. Cette expérience est par ailleurs disponible gratuitement sur Steam !

The Book of Distance, Randall Okita

Autre expérience (quasi) autobiographique, The Book of Distance est un voyage à travers les souvenirs de la famille du réalisateur Randall Okita sur trois générations, depuis le voyage de son grand-père et de sa famille qui ont quitté Hiroshima et le Japon pour le Canada en 1935. Ce sont les photos, les lettres, tout objet relatif au passé de la famille qui donnent vie à cette expérience et recréent des moments clés du quotidien des Okita à leur arrivée sur un nouveau continent.

En plus de la narration assurée en voix-off ou incarnée par le réalisateur lui-même, le procédé déployé par The Book of Distance rend là aussi le spectateur acteur de ces gestes du quotidien, mais aussi des actes fondateurs de la vie de la famille : la fabrication de barrières sur le terrain de leur maison, semer des graines dans les champs, servir le repas à chacun, préparer une valise… Ce sera aussi à nous de prendre les photos que le réalisateur utilise pour créer ces différentes séquences. Des gestes qui ont une apparence somme toute banale, mais qui suffisent à nous impliquer au plus près de cette famille, dont les espoirs ont été balayés par la Seconde Guerre Mondiale et la montée du racisme.

Ferenj: A Graphic Memoir in VR, Ainslee Robson

Troisième et dernière expérience autobiographique de notre sélection, Ferenj: A Graphic Memoir in VR a par ailleurs reçu un Prix du Jury ex-aequo avec Gravity VR (et malgré son titre, celui-ci n’a strictement rien à voir avec le film de Cuarón). « Ferenj », c’est le terme de la langue maternelle de la réalisatrice, d’origine éthiopienne-américaine, pour « étranger » (et donc « foreign » en anglais, évidemment). Un terme qu’on lui a apposé, comme si cette dernière était trop éloignée de sa culture d’origine.

Par le biais de la photogrammétrie, Ferenj emmène le spectateur dans des lieux clés de la vie de la réalisatrice, du restaurant éthiopien de ses parents tenu à Cleveland aux rues de la capitale de l’Éthiopie, Addis-Abeba, au gré des monologues de la réalisatrice à propos des questions d’identité, de foyer, et du dialogue qu’elle entretient avec Taytu, réincarnation d’une déesse du même nom et personnification de cette identité dont elle a parfois pu se sentir éloignée. La seule difficulté est peut-être de bien capter les sous-titres des propos de Taytu, qui sont seulement accessibles sur un point précis dans la vidéo – et c’est par ailleurs l’un des défauts que relevait déjà Renaud sur d’autres œuvres l’an dernier. Pour autant, cette question d’identité, de remise en cause du mythe du « melting-pot » de la société américaine est des plus bienvenues, en particulier à un temps où la population états-unienne se déchire sur la question des crimes raciaux et à l’aube de la nouvelle élection présidentielle…

Legends of the Brush: The Girl and the Crane, SUTU

Premier épisode d’une anthologie programmée, Legends of the Brush est l’une des expériences sensorielles les plus originales de cette édition de NewImages dont le fonctionnement nous a un peu rappelé celui de Gloomy Eyes, qui figurait dans la sélection de l’an dernier. Au sens où l’on se trouve spectateur, de manière plutôt lointaine, de tout un monde qui émerge de l’obscurité et autour duquel nous sommes libres de déambuler, pour l’observer de l’angle que nous souhaitons.

Ici, nous sommes dans un monde ultra-coloré, bourré de néons et de musique techno, et l’on suit Hermanio, créateur de mode arrogant et dépité qui reprend goût à la vie après avoir sauvé un oiseau et rencontré une femme qui le remettra dans le droit chemin et lui redonnera goût à son métier.

Si l’intrigue de cette expérience est en soi assez convenue, The Girl & The Crane doit sa réussite à sa grande interactivité : le fait de pouvoir zoomer à quasiment tout moment sur l’action et à l’angle qu’on le souhaite permet de ralentir légèrement ce qui se passe, de camoufler un peu la musique ambiante et d’observer avec minutie les faits et gestes de notre personnage principal. Avec des récompenses à la clé, puisque le fait de zoomer peut déclencher des actions, animations et sons supplémentaires.

Look At Me, Wi Ding Ho

Ici, les relations amoureuses commencent un peu trop à ressembler à l’épisode « Nosedive » de Black Mirror… Vous savez, celui où Bryce Dallas Howard devient complètement matrixée dans un monde où tout le monde se note constamment et ne sort jamais le nez de ses appareils portatifs (oui on aime bien parler comme des boomers parfois) ? Dans Look At Me, c’est un peu le cas. Il ne se le cache pas non plus : Zhang est lui aussi accro à la réalité virtuelle, mais il a de plus en plus de mal avec le fait que sa petite amie le regarde à peine lorsqu’ils sont ensemble. Tout ce qu’il veut, lui, c’est retrouver un minimum de contact humain authentique dans une société hyperconnectée. À tel point que pour obtenir un tant soit peu de réconfort, le jeune homme rencontre d’autres personnes sur un chat virtuel (et c’est un peu le serpent qui se mord la queue, finalement), où l’on se regarde bien les yeux dans les yeux.

La réussite du film est justement de basculer d’un point de vue externe (lorsque Zhang est avec sa petite amie au restaurant ou au lit) à un point de vue à la première personne, celui de Zhang lui-même, lorsque quelqu’un le regarde – enfin ! – dans les yeux. Mais le regard n’est pas la seule interaction « réelle » du film : Zhang sera aussi plongé au milieu d’un club où tout smartphone est proscrit, et dont les participants se battent pour retrouver des sensations réelles. Un peu extrême, mais pourquoi pas ?

Saturnism, Mihai Grecu

Et si l’on vous plongeait au cœur d’une peinture de Goya ? Tel est l’objectif de Saturnism, tirée du bien nommé « Saturne dévorant un de ses fils« . Une expérience en réalité virtuelle courte mais (très) intense, à ne pas réserver aux plus angoissés d’entre nous… Puisque l’on est prisonnier de Saturne, dans un monde brumeux, gris, rocailleux, que l’on essaie de fuir à tout prix avant de tomber sur l’inévitable : la dévoration du fils puis… la votre. Oui, tout simplement. Si vous avez toujours rêvé de savoir ce que ça pouvait bien faire d’être dévoré tout cru, en revanche, c’est fait pour vous ! Il n’y a ici pas d’interactivité : simplement le fait d’assister impuissant à ce qui se passe et sentir l’angoisse venir. Autant dire que c’est la plus glaçante des conclusions…

Merci au Forum des images et à toute l’équipe du Festival NewImages de nous avoir régalés une fois encore cette année malgré le coronavirus, à Diana-Odile Lestage, l’attachée de presse du Forum pour l’accréditation et ses précieux conseils et son assistante Christie Laborde. Rendez-vous (déjà !) du 9 au 13 juin 2021 pour la quatrième édition !

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